Perchée sur le balcon du deuxième étage, Eukleia appréciait la brise fraiche. Elle se plaisait à surplomber la propriété avec les tentes piquées en son milieu. Ce soir-là, une fois son déjeuner terminé, elle avait eu l’envie insoutenable de se retirer, histoire d’apprécier une solitude bien méritée. Les disputes incessantes et les mises en avant prétentieuses avaient eu raison de sa patience. Ces candidats étaient pour la plupart d’insupportables gamins en mal de célébrité et cela avait le don certain de l’exaspérer. Elle avait hâte que l’aventure commence. Elle avait besoin de se dépenser et, plus encore, il fallait qu’elle leur montre, à tous, de quoi elle était capable. Elle, la sorcière qu’on décrivait toujours comme une frêle créature. La brindille que l’on peut briser. Elle n’était pas cela et voulait que les gens cessent de la voir cette manière. Dans un corps de femme peut se cacher un dragon endormi qui attend simplement d’être éveillé.
En attendant, elle savourait les doux rayons de soleil qui venaient dorer sa peau blanchâtre. Elle ne pouvait s’empêcher de penser au monde grisâtre qu’elle avait laissé derrière elle. Elle fronçait les sourcils. Elle avait toujours voulu terminer cette étape de sa vie, étape médiocre à son humble avis. Elle ressentait que c’était chose faite. Mais en était-elle alors satisfaite ? Des éléments de son enfance revenaient régulièrement s’infiltrer dans ses rêves de grandeurs. C’était ses faiblesses. Elle revoyait les instants de désarroi et les instants de doute. Elle soupira. Pourquoi se gâchait-elle les choses ainsi ? A présent que tout semblait rouler pour elle, elle devrait rayonner… Pourquoi n’était-ce pas le cas ? Il fallait que l’aventure commence. Elle le savait. Elle n’attendait que cela. Et ça ne devrait plus tarder… ce soir-là, le prime se déroulerait. Elle brillerait de mille feux. Elle leur montrerait à tous. Son sourire revenait petit à petit sur son visage. Elle ferma un moment les paupières. Elle entendait des bruits de pas derrière elle. Oh non. Eukleia n’avait aucunement envie que quelqu’un vienne la déranger. Elle avait besoin de faire le point avec elle-même, histoire d’être au top de ses capacités pour le prime à venir. Elle ouvrit les yeux. Tourna son visage. Et merde. Il ne manquait plus que lui… Sullivan. L’abruti qui lui avait valu une nuit désastreuse le 1er mai. Il avait fait fort le bougre : il avait enchainé une tentative pour la noyer, avec une brulure cuisante puis l’aspiration des lèvres de la jeune fille sans son consentement. Heureusement pour lui, le remède qu’il lui avait passé pour sa cuisse brûlée par une bestiole du lac avait marché. Pourtant, il était certain qu’elle n’avait pas envie de le voir. Elle ne voulait pas lui parler et encore moins en tête à tête. Elle s’exclama alors avant qu’il ne parle : « Petit un, tu embrasses aussi bien que l’anguille bariolée qui m’a sucé la cuisse l’autre soir, félicitations. Petit deux, non, je ne coucherais pas avec toi. Try again. Il parait qu’il y a pas mal de chaudasses dans le château, tente ta chance avec une de ces filles peu exigeantes. » Voilà qui avait le mérité d'être clair. Elle rejetait son regard dans la contemplation du parc. En espérant qu’il s’en aille.

Je suis un mec naturellement sociable, je crois que c’est ma race qui veut ça. Habitué à vivre en meute, toujours entouré d’un tas de gens que je ne peux guère éviter même si je le voulais. Pourtant, il en existe un bon paquet dont j’arracherais volontiers la gorge s’il n’était pas interdit de toucher à ses semblables. Ceux qui me toisent avec mépris parce que je ne maîtrise pas mon loup, ceux qui me pointent du doigt comme un pestiféré et qui m’humilient sans cesse, d’un simple regard. Pourtant à cet instant précis je recherche un peu de calme et de solitude, un endroit où je ne serais pas contraint de me confronter à un autre candidat, de devoir le jauger et répéter mon prénom, mon âge, ma race. C’est lassant. Je tente le balcon capricieux mais arrête mes pas sur le seuil en apercevant la silhouette accoudée qui contemple le paysage. Aïe, la ventouse, mauvais plan. Je ne sais pas vraiment ce que je suis supposé faire, mais l’idée saugrenue qu’on puisse enterrer la hache de guerre m'effleure l'esprit. Peut-être que maintenant, à tête reposée, elle sera plus abordable qu’à moitié noyée dans le liquide vaseux. Et puis ne faudrait-il pas que je m’assure qu’elle a récupéré tous ses neurones –si tant est qu’il y en avait à sauver- ? Parce que l’autre soir, à poil sur le bord du lac en train de me causer de hachis, elle n’avait pas l’air dans son état normal. Je m’approche du balcon juste pour vérifier et pose mon coude sur la rambarde, mon corps tourné vers la sorcière. Je m’apprête alors à l’interroger d'un "tu te sens mieux ?" tout à fait banal mais neutre, néanmoins elle me vole la vedette en plantant clairement le décor : moi ne veut pas de toi dans mon espace vital. « Ah, t’as retrouvé des vêtements à ce que je vois. » Je fais remarquer sans bouger d’un iota, le sourcil levé. Ouais ouais, comme entrée en matière de réconciliation on a déjà fait mieux. Je ne sais pas pourquoi, mais sa façon de me recevoir a presque chassé ma volonté de me racheter auprès de la ventouse. J’ai vraiment envie de me montrer sympathique voyez-vous, mais à chaque fois que je croise ce regard clair je ne peux pas m’empêcher de lui balancer des saloperies. « Il faudrait être aveugle pour vouloir coucher avec toi, simple expérience d'un mec curieux. » Je lâche en rapport à mon geste. « C’est quoi ton problème avec les baisers volés, ton papa te rendait visite dans ta chambre la nuit quand t’étais petite ? » Je ne suis pas sûr que sous-entendre que son père est un abuseur d’enfant est une excellente idée pour améliorer nos rapports, mais après tout, c’est elle qui a voulu jouer à la conne. Même si j’avoue que là, je viens de toucher le fond. Je n’ai pas pour habitude d’être comme ça, gratuitement exécrable, je le fais toujours pour taquiner ou tester, avec un sourire aux lèvres et en respectant certaines limites. Que là, j’ai complètement piétinées. Je suis persuadé que c'est à cause de ce foutu dernier quartier, y'a toujours trois périodes dans le calendrier lunaire où j'ai le même foutu caractère que ma forme animale : les jours qui succèdent aux premier et dernier quartier, et la pleine lune, évidemment. Je regrette mes mots presque aussitôt qu’ils sont sortis de ma bouche, mais je n’ai pas le pouvoir de remonter le temps pour les ravaler. Alors je soupire, agacé, tournant mon visage vers le décor qui retient toute son attention. En fait, je n'ai aucune envie de me battre encore avec elle. Pas comme ça, pas maintenant. Mais je ne sais plus comment faire pour empêcher l'inévitable, surtout dans un jour comme celui-là. Alors je me détache subitement du balcon pour rejoindre la baie vitrée, accélérant le pas en sentant le sol s'incliner sous mes pieds -saleté de vieille peau-. Mais cet idiot de balcon se met en marche comme un ascenseur horizontal, me plantant devant le mur extérieur du château, sans issue. Quelle salo*e, salo*e, salo*e.

Et il envoyait, comme d’hab. On ne pouvait pas le changer ce loup-là. Insupportable jusqu’au bout des canines. Eukleia tachait de ne pas l’écouter, et surtout, surtout, de ne pas lui répondre. Elle n’était pas prête à lui faire ce plaisir ce jour ci. Elle était bien dans l’optique de se préparer pour le prime. Alors, elle tentait de ne penser qu’à ça : le prime, le prime, le priiiiiiiiiiiiime. Mais la petite voix nasillarde de l’autre timbré à côté d’elle commençait à prendre de plus en plus de place dans son espace vital. Et alors, il avait dit ce qu’il ne fallait pas dire. Il avait insinué lourdement que son père était pédophile. Or, une règle devait être mise au point avec Eukle : ne JAMAIS parler de sa famille. Sauf si tu tiens à te faire une vasectomie gratos. Elle se retourna d’un coup. Elle n’avait même pas envie de lui balancer une réplique cinglante à la gueule. Elle le voyait fuir lentement vers la porte vitrée… mais non ; Ça ne se passerait pas comme ça. Il avait déclaré la guerre, et bien soit : elle était déclarée. Et il allait perdre. Alors qu’elle faisait un pas en avant pour lui attraper le bras, le château fit une petite faveur à la sorcière : le balcon se déplaça sur la droite de sorte à empêcher Sullivan de sortir. Il était coincé. Ils étaient coincés. Elle ne dit même pas un mot. Elle l’attrapa par le col, enfonçant ses ongles dans son cou et coinça ce dernier contre la balustrade. Sa tête pendait le vide. Elle s’écria alors, folle de rage : « Excuse-toi, espèce d’enflure. » Sans rien ajouter de plus. Elle espérait intérieurement que le château l’aide un peu plus en faisant disparaître la balustrade. Sullivan tomberait de plusieurs étages : et ça serait un accident. Génial non ? Elle s’en léchait déjà les babines de voir le louveteau crier au secours en tombant dans le vide. Etait-elle sadique et foncièrement méchante ? pas vraiment. Mais il avait fait la bêtise à ne pas faire alors… tant pis pour lui.

Oh vas-y, elle fait quoi cette folle dingue ? Encore un prétexte pour se coller à moi, à tous les coups. En même temps la pauvre, depuis qu’elle a goûté le fruit défendu elle doit en rêver toutes les nuits. Et je réalise au même moment combien les ongles d’une nana peuvent constituer une arme dangereuse. « T’as vraiment un gros problème, espèce de tarée. » Je réplique, désireux de consulter son dossier médical pour y dénicher des antécédents psychiatriques. J’ai la peau qui s’enfonce sous son emprise, mais je ne vais pas crier comme une fillette pour autant, j’ai connu pire. De toute façon, je suis bien trop concentré à scruter le bleu de ses iris qui chavire sous la colère. Je veux bien qu’elle soit excéder par mes mots, mais sa réaction est légèrement disproportionnée par rapport à l’offense. Je ne dis pas qu’elle ne l’était pas dans le lac, mais cette fois c’est différent. Cette fois elle est plus réactive, plus blessée, plus haineuse. Alors je me dis que j’ai peut-être touché juste, que ventouse a peut-être été abusée quand elle était petite. Merde, ce serait quand même un sale coup du sort de me faire une chose pareille –oui oui, à moi-. Mais quand elle me donne un ordre, -un putain d’ordre vous vous rendez compte ?-, je fais apparaître mes crocs et serre mes doigts autour de son cou gracile pour renverser la situation, laissant échapper un grognement bestial peu engageant. Contre ma force de loup-garou elle ne peut pas grand-chose, et c’est à son tour de se retrouver le dos tordu sur la balustrade. Alors, c’est amusant comme position, non ? Pourtant y’a un truc dans sa façon de me regarder, un truc qui a changé et qui me calme instantanément. Une certaine détresse peut-être, quelque chose qui me dit que j’ai très dangereusement titillé sa limite. Mes iris ambrés sondent ses yeux clairs et je relâche mon étreinte avant de lui briser l’os hyoïde, faisant disparaître mon apparence hybride. Je pose ma main sur la rambarde à côté de sa cuisse, la fixant droit dans les yeux. « Excuse-moi. » Je lâche simplement, d’un ton étrangement calme pour quelqu’un qui vient d’essayer de l’étrangler. Voilà, cette garce a eu ce qu’elle voulait, et elle peut en être fière parce que ça ne m’est pas arrivé souvent. Ça fait quand même deux fois dans ce jeu, je suis beaucoup trop gentil, ça me perdra. Mais je sais qu'il y a des choses avec lesquelles on ne joue pas, et j'ai comme l'impression que ça en fait partie. « C’est quoi le délire avec ton père ? » Je lui demande en m’écartant de sa silhouette pour aller m’asseoir contre le mur. « T'emballes pas j'essaie simplement de faire la conversation. » J'anticipe. « Mais si tu veux on peut passer le reste de la journée comme deux cons à se regarder en chien de faïence. » Je n'ai pas vraiment d'espoir qu'elle me confie ce qui visiblement la traumatise à ce point, mais au moins j'aurais essayé. Et bizarrement, je ne suis plus aussi agacé qu'avant. A croire qu'il suffisait d'un petit tour en équilibre sur la balustrade pour me remettre du plomb dans la cervelle. Je porte alors ma main à mon cou pour essuyer le liquide rougeâtre que je sens couler le long de ma clavicule, laissant échapper un autre soupir. Journée de merde.

La colère déformait son joli visage et la situation se retournait. Elle se trouvait à son tour collée contre la balustrade, les dents acérés et les iris ambrées de Sullivan devant ses propres pupilles. Il est vrai que sa force seule ne faisait pas le poids en face d’un loup garou mais elle n’avait que très peu réfléchi : son énervement avait pris le dessus sur sa réflexion. Soudain, il la lâchait. Elle lui planta son regard noir en plein dans ses yeux. Il reprenait une forme plus humaine. Elle le haïssait.
Eukleia se retourna, les mains posées sur la balustrade. Elle reprit lentement son souffle qui avait été coupé par la violence de Sullivan. Le chien. Il se prenait pour qui à la fin ?! Pourtant, il s’excusait et la tension descendait un peu plus. Elle voulait rester muette. Elle voulait s’éloigner de cette personne détestée. Mais, bien sûr, elle ne le pouvait, le balcon ayant bougé il n’y avait plus d’issue. Elle poussa un long soupir qui en disait long. « C’est quoi le délire avec ton père ? » l’entendit-elle prononcer dans son dos. Son cœur s’emballa à nouveau. Il cherchait quoi à la fin ? Comment pouvait-il croire qu’elle allait lui déballer toute sa vie comme ça ? Qu’il pense bien que son père l’avait violé, elle s’en foutait ! Son jugement ne comptait pas. Mais, une chose était certaine, elle ne voulait PAS parler de sa famille, de son enfance et tout ce qui avait un rapport étroit avec cela. « Ecoute, je te conseille de la fermer ou au moins de changer de conversation si tu ne veux pas perdre une partie de ton service trois pièces. » S’exclama-t-elle, les yeux toujours dans le vide. Elle était agressive, oui, mais elle voulait que les choses soient claires et qu’il cesse de s’aventurer sur le chemin de l’enfance d’Eukleia. Merde alors, ça ne le regardait pas. Et ce foutu balcon, allait-il enfin lui faire le plaisir de se remettre en face de la baie vitrée ? Elle n’avait aucune envie de rester toute la fin d’après-midi coincées ici avec l’autre idiot.

Spoiler:

J’ai touché juste, cette fois j’en suis certain. Je peux entendre son cœur rien qu’en me concentrant sur la veine qui palpite le long de sa nuque, dénudée par le vent. Et avant que ses cheveux ne retombent, je perçois clairement ces battements rapides et irréguliers, ceux qui trahissent une émotion forte. Désir, peur, colère. Je peux d’ores et déjà rayer le premier, à moins qu’elle soit amoureuse de son père –ce qui serait particulièrement bizarre mais après tout, on a bien deux frangins incestueux dans l’aventure-. Si je me fie aux traits de son visage et au regard noir qu’elle m’a jeté, j’en viens plutôt à la conclusion qu’elle ne le porte pas dans son cœur. Ce n’est pas comme s’il était mort et qu’elle ne souhaitait pas en parler à cause de la douleur que cela éveillait, c’est plutôt comme si elle cherchait à oublier quelque chose de plus … dérangeant. Je dois bien avouer qu’elle a piqué ma curiosité, et cette occupation me détourne de mes propres troubles de loup qui aurait dû me pousser à l’achever sur ce balcon. Je remarque qu’elle évite soigneusement de croiser mon regard lorsqu’elle m’ordonne de trouver un sujet de conversation différent, mais je n’ai pas l’intention d’abandonner aussi facilement. Pourtant je n’ai pas envie de l’entendre me hurler dessus une nouvelle fois, mais je n’ai guère d’espoir parce que d’aussi loin que je me souvienne, elle n’a pas prononcé une parole plaisante à mon encontre depuis le début de cette aventure. D’un autre côté je sens que je tiens quelque chose, et pour ça je suis comme un chien avec un os, déterminé à le déterrer à m’en faire saigner les pattes s’il le faut. Je tourne mes yeux bleus sur le bord du balcon, remarquant un mouvement étrange, la rambarde qui disparaît petit à petit. Merde, ce balcon n’a pas fini de nous faire chier ? Je jette un œil rapide à la sorcière, mais elle paraît bien trop plongée dans ses pensées pour se rendre compte qu’elle va basculer dans le vide dans moins de quatre secondes. J’hésite, juste un peu, me laissant bercer par l'idée séduisante de me débarrasser d’un candidat sans avoir à lever le petit doigt, mais mon corps se lève rapidement avant que je ne prenne la moindre décision. J’attrape son bras au moment où la balustrade s’efface, la tirant vers l’arrière. Je ne sais pas si c’est parce qu’elle recule trop vite ou si c’est parce que mes appuis étaient douteux, mais je me retrouve le cul par terre, la ventouse avachie sur moi comme si j’étais un bon matelas. Rah, tu vas voir que c’est encore moi qui vais m’en prendre plein la gueule ! « Ça fait trois fois que tu te retrouves collée à moi, je vais finir par croire que tu le cherches. » Ouais je sais : ta gueule. Enfin au moins, eh, je ne lui ai pas parlé de son père. Je me redresse légèrement, écartant ses cheveux emmêlés qui me chatouille la joue. « Tu sais l'avantage de confier tes sales secrets à un type que tu peux pas blairer, c'est qu'il ne risque pas de changer son comportement envers toi. Ni d'éprouver de la pitié à chaque fois qu'il te regarde. » C'est pas vrai ce que je dis ? Si, parce que j'ai toujours raison.

Ses yeux restaient fixés dans le vide. Elle ne voulait pas parler, il ne comprenait pas ça ? Eukleia se demandait vraiment quel pouvait être le problème de ce garçon. Du narcissisme ? Non. En fait, plus elle y pensait plus elle trouvait qu’au contraire ce gars-là avait un manque de confiance en lui. C’était pour ça, peut-être, qu’il avait besoin de se persuader que les demoiselles étaient toutes raides dingues de lui… ou pour ça encore qu’il se mettait en avant en jetant des répliques cinglantes et des critiques à chaque personne qu’il croise : pour exister. Certes, il existait aux yeux des autres en tant que rigolo ou que chieur, mais du moins existait-il. Eukleia comprenait cela, même si elle regrettait le fait que les producteurs aient accepté un énergumène pareil dans l’aventure. Mais il était assez facile de percer à jour un gars comme Sullivan, tout semble écrit dans son comportement, dans ses paroles et dans sa manière de se comporter avec les gens qu’il l’intrigue. Car la sorcière le savait, elle l’intriguait, sinon il ne chercherait pas à en savoir plus sur elle. Alors qu’elle était perdue dans ses pensées, elle sentit la main de Sullivan attraper son bras. Elle se retourna subitement en fronçant les sourcils. Qu’est-ce qu’il lui prenait, ma parole ? « Hé ! qu’est-ce que… » Puis, tournant son visage vers la barrière inexistante elle comprit qu’il venait peut être, un peu, à peine, de lui sauver la vie. Flute alors. Si elle s’attendait à ça. « Oh, heu… merci. » Elle se radoucissait. Bon, il l’avait pas laissé tomber dans le vide. Elle pouvait bien lui en être reconnaissante pour ça… mais était-ce parce qu’il avait une idée derrière la tête ? Comme, par exemple, lui soutirer des informations qui l’intriguaient ?... Il usait d’ailleurs de pas mal de stratégies, dont celle du ‘tu m’aimes pas, alors tu t’en fous, tu peux tout me dire’. Mais bien sûr. Elle avait compris que l’agressivité ne marchait pas avec ce loup-là. Il avait dû énerver tant de personnes qu’il se fichait comme de la première pluie de les voir s’énerver devant lui. Et puis, il l’avait à moitié sauvé. Elle pouvait bien être gentille pour une fois – sans pour autant dévoiler les choses qu’il voudrait tant savoir. Elle dit alors, de la voix la plus posée qu’elle pouvait offrir à un gars pareil : « Sullivan, je n’ai aucune envie de parler ça. Et encore moins avec toi. Si vraiment tu veux causer, parce qu’on dirait qu’en tant que véritable moulin à parole tu es incapable de te taire, alors change de sujet. » Eukleia espérait réellement qu’il finirait par lâcher le morceau ou ce serait ses propres nerfs qui allaient lâcher pour de bon. A moins que ce soit cela qu’il cherche outre le fait de connaître cette partie enfouie de la vie de la sorcière : s’inscrire comme méga-chieur dans l’esprit d’Eukleia. Elle ferma les paupières, essayant de savourer la douce brise qui venait caresser son visage et tentant également de trouver une solution à la situation actuelle. Ils étaient coincés, certes, mais ils n'avaient également que très peu d'espace. Obligés d'être à moitié collés l'un contre l'autre, elle savait qu'elle n'allait pas supporter cela très longtemps. Et qui sait ce que leur réservait encore le balcon...

Je m’apprête presque à ferme les yeux pour recevoir une gifle imminente, mais non, la sorcière me remercie. Oh mon dieu, est-ce qu’elle va bien ? Elle n’a peut-être pas récupéré tous ses esprits finalement … Enfin, cette marque de gentillesse ne dure pas longtemps puisqu’elle s’empresse de souligner à quel point ce serait terrible pour elle de se confier à un type comme moi. C’est vrai, j’essaie de lui soutirer des informations possiblement compromettantes, mais franchement à quoi ça va me servir ? Ce n’est pas comme si j’avais la possibilité de prendre l’apparence de son père, ou un truc du genre. J’ai aussi l’impression que cracher le morceau la déridera un peu la ventouse, parce que visiblement, elle dissimule des trucs qui la dévorent de l’intérieur. Des sales squelettes dans le placard. M’enfin, si elle ne veut pas de mon aide généreuse pour la débarrasser de ce fardeau, libre à elle. En plus elle utilise mon prénom en début de phrase, comme les parents qui sont sur le point de t’engueuler genre ‘Sullivan, viens ici s’il te plaît’ ou qui t’expliquent quelque chose de très important comme ‘Sullivan, est-ce que tu sais ce qu’est un préservatif ?’. Je ne comprends pas vraiment pourquoi elle s’écharne à me détester avec autant de vigueur, et j’ai bien compris que son taux de tolérance à l’emmerdement frôlait le zéro. Mais je lui ai quand même sauvé la mise deux fois au cas où elle aurait déjà oublié ce léger détail, pourtant elle ne me laisse pas le bénéfice du doute. Tant pis, je ne vais pas non plus la supplier à genoux. « C’est toi qui vois. Par contre si tu voulais bien bouger tes fesses de baleine ça serait sympa. » Je lui fais remarquer en la poussant sur le côté, me relevant sur le balcon qui bouge de nouveau. Je m’accroupis pour éviter une nouvelle chute, cet imbécile nous plaçant juste en dessous de la baie vitrée tant convoitée, à une hauteur évidemment inaccessible pour un être humain. Je me demande s’il y a un type derrière sa caméra qui s’éclate avec son joystick, et franchement cette image ne m’amuse pas particulièrement. « Bon. T’as pas un tour de passe-passe pour nous dérouler une échelle, voler, j’sais pas moi. » Je soupire en sachant pertinemment que c’est très improbable. Puis mon visage s’éclaire et je la fixe pour guetter sa réaction. « Sinon j’te fais la courte échelle. » J'ai bien envie d'ajouter une connerie du genre 'promis, je mate pas', mais je m'abstiens de justesse de crainte de rester coincé sur ce fichu balcon encore une heure de plus.

Eukleia fut soulagée de le voir lâcher le morceau. Bon, c’était accompagné d’une insulte mais c’était déjà ça. Mais… Baleine ? Hé ! faut pas exagérer quand même. « J’ai un cul de déesse, dude. On ne compare pas une telle œuvre d’art à des fesses de baleine. » Sortit-elle, prenant une expression faussement outrée. Ça va c’était de la petite blagounette à côté de tout ce qu’il lui avait fait subir. Et il n’était pas le seul à vouloir mettre ses nerfs à rude épreuve : il semblait que le gars qui dirigeait ce foutu balcon s’amusait comme un gamin à les brinquebaler dans tous les sens. Maintenant, génial, ils se trouvaient en dessous de la porte vitrée. « MERCI, ça nous aide vraiment ! » hurla-t-elle dans le vide, en espérant que le gars qui s’éclatait à faire bouger le balcon reçoive dans sa figure son regard noir. « Je vous jure, qu’est-ce que je fous sur Golden Valor moi ? Ce n’est pas une télé réalité de combat, c’est la compétition du plus de conneries faites et débitées en un jour. Il me semble que t’es à égalité avec le gars qui s’amuse à faire bouger le balcon. » Elle secoua la tête. Comment sortir de là maintenant ? Elle devait encore se préparer pour le prime, nom de Dieu ! Et évidemment, la demoiselle ne savait pas pratiquer la lévitation sur humains (et encore moi sur elle-même). Elle regarda en bas pour voir si elle apercevait une quelconque échelle qu’elle pourrait faire voler jusqu’à eux. Mais bien sûr, cela aurait été trop facile. Ils devraient se débrouiller seuls, semblait-il. « Aucun sort pour nous sortir de là, à en juger. Navrée. Tu ne veux pas hurler à la mort qu’on vienne nous délivrer ? » Proposa-t-elle avant de réfléchir un instant à ce qu’elle venait de dire. « Heu, non, en fait évite. » Elle pensait à la cuisante honte qui tomberaient sur eux si on les découvrait coincés et totalement impuissants… à cause d’un balcon. « Sinon j’te fais la courte échelle. » Proposa alors Sullivan. Eukleia réfléchit à cette suggestion. Bien sûr, cela semblait une bonne idée. Mais un problème se posait. « Tu ne vas pas pouvoir me porter assez haut pour que j’atteigne la poignée de la porte. Et puis, de toute manière, comment je ferais pour te permettre de passer à ton tour ? » Elle s’assit, désespérée. Une compétition de conneries, oui. « On est coincés, Sullivan. » Elle était coincée avec lui. Bordel, mais elle avait fait quoi pour mériter ça ? « Je crois qu’il va falloir faire un truc pour passer le temps en attendant que le balcon veuille bien remonter…. » Suggéra-t-elle avant de se reprendre, comprenant que sa phrase portait à confusion : « Il n'y avait rien d'ambigu dans ma phrase, je ne te proposais pas ce à quoi tu penses, petit tordu. Je suggérais une conversation qui, bien évidemment, ne traiterait pas de ce que tu voulais savoir tout à l’heure. » Elle se félicita d’avoir complété sa proposition : le loup en rut qui se trouvait en Sullivan aurait pu lui sauter dessus dans la minute même qui suivrait sa phrase.

Non mais attendez là, stop, arrêt sur image s’il vous plaît. Est-ce que c’est une blague, est-ce que cette fille a été engagée tout spécialement pour me faire tourner en bourrique, est-ce que ses règles viennent subitement de prendre fin ? J’ai presque envie d’aller raconter ça à quelqu’un, mais eh, c’est con parce que je suis coincé sur le balcon. Attendez la meuf elle n’en peut plus, ça fait deux fois qu’elle fait de l’humour. Genre ça doit être le record de toute une vie, ou alors elle l’a planqué juste pour moi –fallait pas chérie-. En fait ça me surprend tellement que je reste muet comme une carpe, presque dans l’attente qu’elle s’exclame un truc du genre ‘mais non je déconne espèce de connard, tu t’es cru à Disneyland ?’ Mais non, non, elle observe tout naturellement par-dessus le balcon, et elle me balance ça comme si elle n’avait pas passé sa vie à me hurler dessus. Mais bordel de merde, elle est complètement lunatique cette gonzesse ! Encore plus folle que ce que j’imaginais. Ah ces nanas, et après on me demande pourquoi je m’en méfie… En fait ce qu’elle dit c’est même hilarant, vous voyez en temps normal je serais en train de lui offrir un charmant sourire en enchaînant sur ses touches légères, mais là je me contente de suivre ses mouvements des yeux, limite la bouche entrouverte. J’entends à peine ce qu’elle me dit, mais bon, il faut bien que je me reprenne à un moment donné alors j’étudie la situation pour lui faire des propositions un tantinet réfléchies. Et puis je file de nouveau dans mes songes, parce qu’elle renonce même à sauver son cul si ça signifie me laisser seul sur le balcon. Alors je ne peux m’empêcher de m’approcher de l’endroit où elle est assise et je m’accroupis, tendant la main sur son front pour vérifier qu’elle n’est pas fiévreuse. A croire que je le deviens moi aussi, parce que je n’ai même pas songé à la sauter quand elle a suggéré de tuer le temps. Et pourtant, dieu sait que mon esprit tordu a de l’entraînement. A la place, je me contente de rester planté devant elle, ma main toujours sur son front, cherchant un truc intelligent à dire avant qu’elle ne change d’avis et décide de me cracher dessus. « C’était pas une anguille bariolée. » BORDEL, mais pourquoi j’ai dit ça ? Je dois vraiment avoir un problème moi aussi, parce que lui avouer que mon premier sauvetage était en fait plus ou moins bidon ne va pas servir mes intérêts. « J’ai tes fringues. » Je m’empresse d’ajouter pour éviter qu’elle ne s’attarde trop longtemps sur ma première révélation. « Jolie culotte en passant, un peu mémé les fleurs, mais je suis certain qu’elle sied bien à tes fesses de baleine. » Des conseils pour ruiner un début d’évolution positive dans une relation vouée à l’échec ? Appelez Sullivan, au 0820 000 001 … Non mais j’sais pas moi, elle avait l’air d’avoir de l’humour jusqu’à présent. Sinon le geek avec son joystick il serait sympa de m’aider un peu là, mais comme par hasard, il ne bouge pas le petit doigt.

Il avait changé de tête le Sullivan et la regardait désormais de manière bizarre. Eukleia lui scrutait le visage. Il y avait quelque chose qui clochait ? On aurait dit que ça venait de disjoncter au niveau de sa cervelle. Il répondait à peine à tout ce qu’elle disait et maintenant il se rapprochait d’elle pour lui tapoter le front. C’était un rite de loup-garou ou quoi ? Du genre pour lui signifier qu’elle venait d’accéder à la meute parce qu’elle avait fait un peu d’humour ? Oh merde, faites que ce ne soit pas ça. Elle n’avait aucune envie de devoir suivre des chiens mouillés par les temps de pleine lune. Elle grimaça et sortit doucement la paume de main de Sullivan de dessus son front. Elle l’observa un moment, il était carrément parti dans les vapes le pauvre. Elle se demandait même comment elle avait pu avoir peur de lui quand il sortait les canines en la poussant contre la rambarde, quelques minutes plus tôt. Ce gars était un peu détraqué. Et il ne tenait pas à ses couilles non plus, à en juger par la conversation qu'il venait d'engager... A croire qu’il aimait bien se foutre dans la merde tout le seul. En effet, il venait de faire une petite révélation en rapport avec leur petite entrevue qui avait mal finie dans le lac. Comment ça pas une anguille bariolée ?! Il essayait de changer de sujet, mais Eukleia ne se ferait pas avoir comme ça : « Qu’est-ce que tu racontes ? Comment ça ce n’était pas une anguille bariolée ? Pourquoi tu sors ça d’un coup ? » Il ne semblait pas vouloir répondre. « Hé, laisse mes culottes tranquilles et réponds à ma question ! » Elle fronçait les sourcils. Pourquoi avait-il toujours besoin de l’énerver ? Ce gars cherchait constamment le bâton pour se faire battre. Eukleia en venait à une conclusion : il était sado-maso. Ouais, sûrement.

Evidemment, la seule chose qu’elle retient est l’information malheureuse qui m’a échappée. Le truc de l’anguille, j’aurais dû l’enfouir au plus profond de mon cerveau dans une case inaccessible. Mais il s’est écoulé trop peu de temps pour que j’oublie ce coup foireux. Non mais j’y étais là, j’y étais. Elle s’était calmée et s’essayait même à l’humour, on se serait cru dans le monde des Bisounours et j’ai encore tout fait foirer. Comme d’habitude. « Tu veux pas la récupérer ? C’est pas que ça me plaise pas d’avoir un doudou, mais j’suis pas certain que ma partenaire sera ravie de l’héberger dans notre lit. » Je tente une dernière feinte en fixant la conversation sur sa culotte, histoire de tâter le terrain, mais je comprends que je ne m’en tirerai pas aussi facilement. « Ecoute, j’ai essayé de te le dire l’autre soir, mais t’étais tellement … enfin t’étais à poil en train de divaguer sur du hachis alors tu vois, je me suis dit que c’était peut-être pas le moment opportun. » Ouais parfaitement, après tout c’est entièrement de sa faute cette histoire. Si elle avait été lucide je lui aurais tout balancé et hop, on en serait resté là. Je l’avais quand même sauvée, un peu, juste pas du mal dont elle s’imaginait atteinte. Disons que j’avais légèrement exagéré les choses, rien de catastrophique. Et puis franchement, pourquoi je me justifierais hein ? Madame ne s’est pas gênée pour m’envoyer me faire foutre quand j’ai demandé après son père. Ça n’a rien à voir ? C’est vrai, mais je vous emmerde. Le balcon bouge, aussi je prie pour que le geek soit tombé amoureux de moi et mette fin à mon calvaire. Ce qui de toute évidence est arrivé –normal-, puisque la ventouse est désormais dos à la baie vitrée. « Oh tiens regarde, la porte ! Formidable, nous sommes sauvés. » Je fais remarquer avec une vitesse fulgurante qui me caractérise rarement. Mais je sens le regard pesant de la jeune fille sur moi, aussi je me relève sans toutefois m’enfuir à toutes jambes. « Franchement, ça sert à quoi de remuer le passé, hein ? T’es d’accord sur ce point je crois. » Ouais, parce que comme l’a dit une personne particulièrement éclairé : ‘je te conseille de changer de conversation si tu ne veux pas perdre une partie de ton service trois pièces’. En l’occurrence on peut rayer la dernière mention, quoique vu la taille de sa culotte j’ai des doutes. Et puis cette histoire d'anguille est-elle si importante ?

Il essayait à présent de l’embrouiller en parlant de sa culotte qui apparemment lui permettait de s’endormir le soir… ou de faire autre chose, mais beurk elle ne voulait pas le savoir. « Si t’as dormi avec ma culotte ou fait quoique ce soit avec, garde là hein ; je ne tiens pas réellement à la récupérer dans ces conditions. Mais je veux bien récupérer le reste. » Elle leva les yeux au ciel. « Maintenant, balance ce que t’as à dire sur l’anguille. » Ses sourcils étaient toujours froncés genre maman qui engueule son fi-fils qui a barbouillé les murs de peinture. Sauf qu’une maman ne s’apprête pas à asséner un coup fatal pour la stérilité de son fils quand ce dernier lui apprendra la vérité : c’est lui qui lui a jeté le pot de peinture sur la face l’autre jour, ce n’était pas uniquement le fruit du hasard. Sullivan essayait encore de noyer le poisson – pauvre petit innocent – sûrement pour éviter une nouvelle colère de la part d’Eukleia. Mais le balcon avait beau bouger et se remettre à la bonne place, elle ne comptait pas le laisser s’en sortir de cette façon. Il s’imaginait déjà sortir et gambader tranquillement dans le château. Il tentait de lui ressortir le fait qu’elle n’avait pas voulu répondre à sa question tout à l’heure concernant son père alors, elle se leva, prête à lui barrer le passage – oui elle pense vraiment faire le poids, ok ? et puis… il va pas la défoncer sur place juste pour ne pas répondre à une petite question – et dit : « Ce n’est pas du tout pareil, Sullivan, me prend pas pour une conne. Cette histoire d’anguille semble nous concerner tous les deux, alors bouge-toi de faire ces révélations, je n’ai pas que ça à faire. » puis, elle ajouta : « T’inquiète, je te laisserais vivant, au moins le temps du prime. Je ne voudrais pas rater la sentence que va t'infliger la Vieille Fée. » Pourquoi avait-il fallu qu’il l’énerve ? Elle commençait à le détester un peu moins mais non, il avait eu le besoin soudain de tout faire capoter.

Je ne peux m’empêcher de sourire pendant qu’elle s’imagine que j’ai dorloté sa culotte comme un ours en peluche. Rassurez-vous, je n’suis pas fétichiste des sous-vêtements, et puis je n’irais pas mettre le nez là-dedans, manquerait plus que j’attrape des saloperies. Mais elle coupe court à mon rictus en recommençant à me menacer, la gonzesse se met carrément debout pour m’empêcher de partir. Elle est sérieuse ? Elle n’a pas remarqué qu’elle fait au moins dix centimètres de moins que moi et que ma force vient à bout de sa silhouette de mouche quand j’veux ? Peut-être devrait-elle se repasser la scène de la balustrade, histoire de se remémorer les détails essentiels. Je soupire et croise les bras sur mon torse, parfaitement conscient que ça n’a aucun rapport. Pas besoin de me l’expliquer comme à un gosse de huit ans, encore et toujours en utilisant mon prénom pour donner plus de vigueur à ses propos. Ah ah, me laisser vivant, trop généreux. Et voilà que mes espoirs de réconciliation s’évaporent à nouveau. Et tout ça pour quoi ? Un putain de poisson ! Vous trouvez ça normal, vous ? On est d’accord qu’elle a quand même un caractère de chien, et pourtant c’est moi le clébard dans l’histoire. D’ailleurs, je ne suis pas censé être d’une humeur massacrante moi ? Ouais d’abord, elle me vole la vedette la nana, tranquille, faut pas se gêner. « Putain, pourquoi tu te focalises toujours sur le truc pas primordial ? Est-ce que si tu l’avais su aujourd’hui ça aurait changé quoi que ce soit ? » J’en doute, parce qu’au point où elle en était l’autre jour, une de plus ou une de moins n’aurait rien changé. « C'était méchant, mais pas aussi méchant que je te l’ai dit. » En fait ces fruits qu’elle a avalés étaient efficaces pour soigner une morsure d’anguille bariolée, et j’ai vraiment cru que c’en était une lorsque la bestiole m’a frôlé le mollet, mais j’ai bien vu en la sortant de l’eau qu’il ne s’agissait que d’un poisson ventouse –entre ventouses elles se reconnaissent …-. « Ta blessure est passée toute seule en réalité, ça n’allait pas dégénérer. » Ouais, j’imagine que l’intensité de la douleur était partiellement psychologique au vue de ce que je lui ai raconté. Mais la brûlure n’avait pas besoin d’être traitée par la prise de deux boules rouges. En gros je lui ai fait croire que je lui avais épargnée de ressembler à une adolescente en pleine crise d'acné, alors que je n'avais absolument rien à voir dans sa guérison. Ça va, y'a plus grave dans la vie, non ? Pas de quoi en faire un abribus.