Je m’emmerde. On s’emmerde trop ici. Et il fait carrément trop chaud pour faire un tour en ville. En plus, je veux pas sortir, j’ai peur des gens, apparemment, on est un peu connu. Imaginez que je me fasse agresser parce qu’on m’aime pas, voyez. Ou qu’on me saute dessus parce qu’on me kiffe. Dégueulasse. Quoi que si ce sont des types musclés et canons qui me sautent dessus, JE DIS PAS NON. Mais je veux pas risquer d’attirer les lesbiennes. Et puis même, descendre toutes les marches sous une chaleur pareil, ça équivaut à un suicide. Soit. Je rentre dans la salle surprise, je m’étale sur un matelas. GROSSE LOQUE. Mais il fait frais et tout là. Et je vois Eukleia arriver. Eukleia. Ah, oui, Eukleia. « Je suis désolée. » là, voilà. Je me sens coupable, moi. Je suis trop généreuse en fait, trop bonne, à l’intérieur, là. Enfin, à l’extérieur aussi, c’est indéniable. « Tu méritais ta place en finale, tout le monde le sait. Tout le monde sait aussi que si tu n’es pas finaliste aujourd’hui, c’est parce que tu n’es pas jolie. Et moi, je trouve ça dégueulasse, révoltant ! C’est de la discrimination envers les gens comme toi ! » je défends la veuve, l’orphelin et les laids moi. Et en plus, je l’aime bien Eukleia, enfin, je la supporte quoi, c’est déjà pas mal de ma part. « Je suis prête à aller plaider ta cause envers la vieille morue ! C’est vraiment méchant pour toi, y’en a marre que ce soit toujours les laids qui prennent, franchement, c’est trop injuste la vie ! Et pire la télévision ! » je la regarde, le pire, c’est que je suis sincère moi, y’a pleins de trucs qui m’énervent, genre, les hommes, le sexisme, et aussi la discrimination envers les moches.

Il fallait dire que le mot ennui avait été à l’honneur depuis le début de Golden Valor et l’aventure était à présent d’autant moins palpitante qu’il n’y avait plus d’enjeu. Eukleia se contentait de voguer autour des derniers candidats et au milieu des éliminés rageurs sans très bien savoir pourquoi elle restait ici. A vrai dire, elle pouvait s’en aller quand bon lui semblait, mais elle n’en faisait rien. Elle restait dans le château car elle ne voyait pas d’autres alternatives. Elle ne savait pas vraiment ce qu’elle allait bien pouvoir faire dehors où la vie reprendrait, entre déceptions et mauvaises surprises. Elle devrait retrouver un boulot, se replonger dans une vie bien moins palpitante encore que celle qu’elle venait de vivre à Golden Valor. Elle trainait dans le château en ressassant ces idées presque noires. Ses pieds la guidèrent vers la salle surprise. Ce n’était pas une mauvaise idée que cela. Elle avait bien besoin de se poser tranquillement sur un matelas et de glandouiller telle une larve toute l’après-midi. Elle entra dans la salle pour y trouver… Fauve. Cette dernière portait sur le visage une de ces expressions qu’Eukleia n’aimait pas. Une nuance de pitié. Tout à fait insupportable. Mais pas plus que les paroles que la nympho du groupe prononça quelques secondes après. Eukleia fronça tout d’abord les sourcils avant d’éclater de rire. Elle s’assit à côté de Fauve. Elle était gonflée quand même cette fille. Mais la sorcière ne se vexait pas pour autant, elle savait bien que la nympho avait un large problème avec les filles. Genre elle était presque certaine que la simple proximité qu’elle venait d’instaurer en s’asseyant à côté d’elle la dérangeait. « Venant d’une fille qui s’est tapé deux fois Sullivan, je ne relèverais pas l’insulte. Tu ne dois pas avoir une très bonne vue ! » Dit-elle, avec un petit sourire. « Et puis, je doute que la grande manitou du château t’écoutes maintenant que tu viens de la traiter de Vieille Morue » Ajouta-t-elle, sur un ton presque taquin. « M’enfin, c’est adorable de prendre ma défense, Don Quichotte. » Ouais. Enfin presque. A vrai dire c’était la seule chose qui l’agaçait. Qu’on s’épanche sur sa défaite. Rah. « Mais je suis d’accord avec un point… j’aurais dû être en finale ! C’est certaaain. » Oui, elle en était persuadée. Mais si le duel qu’elle avait connu avec Tyger n’avait pas pris une tournure aussi… burlesque, les choses se seraient peut être passées autrement.

Elle éclate de rire. Pourquoi est-ce qu’elle éclate de rire ? Elle capte pas que je suis sincère et que je prends la défense des laids très, très à cœur moi ? Bon, pas autant que la domination de ce monde par les femmes, faut pas déconner, mais quand même. Oui, parce que les femmes doivent dominer le monde et écraser absolument tous les hommes, surtout les machos et les prétentieux à deux balles. Hm. Bref, elle s’assoit à côté de moi. Et elle me parle de Sullivan. Faudrait vraiment m’expliquer ce qu’ils ont tous à me parler de lui hein, genre, j’ai couché exclusivement avec ce type. Deux fois ? Ah, non, trois. Mais je doute que ce soit le bon moment pour lui signaler son erreur. Et j’en ai pas franchement envie en plus. Ca aurait été mieux de se taper Sullivan seulement deux fois, voyez. Beaucoup mieux. « mais quelle insulte ? » ah non mais oui, je crois pas que je l’ai insultée. « moi je veux t’aider, je te jure. » ah non mais carrément. « et je suis sûre que tu crevais d’envie de te le faire, Sullivan. » non mais ouais hein, moi j’étais persuadée qu’ils allaient se sauter dessus un jour ou l’autre, hm. Et là, je me rappelle qu’il l’a plantée au dernier moment. Ah bah oui, j’ai raison donc, c’est évident. « pourquoi est-ce qu’on parle d’un type aussi salopard que lui ? » non, ouais, on pourrait changer de sujet, ça m’irait carrément bien. Elle me trouve adorable, Eukleia. Je grimace. Bonne, sexy, canon ? Ok. Adorable ? Je suis pas une gosse non plus hein. Ah c’est dégueulasse. Enfin, même les gosses, c’est pas adorables, je trouve ça flippant moi, mais en général, les gens, quand ils parlent de trucs adorables, ils parlent d’enfants, alors je sais pas trop. J’hoche la tête, ouais, elle devrait être en finale. « en plus, je comprends pas qu’il y ait une majorité d’hommes en finale. » je lève les yeux au ciels. « enfin, tout le monde sait qu’ils n’ont aucune chance de gagner ce jeu de toute manière. » encore heureux.

Eukleia ne pouvait s’empêcher de se demander s’il ne lui manquait pas quelques neurones à Fauve. Faut dire qu’elle ne faisait pas vraiment la différence entre insulte et gentillesse. Ses parents lui avaient jamais appris que dire à une personne qu’elle était moche n’était pas preuve de bonté ? Apparemment pas. Nymphauve ne semblait même pas comprendre pourquoi Eukle parlait ainsi d’insulte. A croire qu’elle trouvait réellement la sorcière laide. Celle-ci leva les yeux aux ciels. Ouah, en plus d’être un peu conne, elle est également aveugle ! Ceci explique cela – soit le fait qu’elle ait couché moult fois avec Sullivan. Hein quoi ? Qu’est-ce qu’elle venait de dire ? « Crever d’envie de quoii ? » Ouah, les gens étaient vraiment… crédules. « Je n’irais pas jusque-là. Mais toi tu devrais me comprendre ! Une fois enfermée depuis quelques semaines dans le château, tu te réveilles au beau milieu de la nuit et, toi en nuisette, tu trouves un garçon à moitié nu dans la cuisine… Tu ne vas pas lui proposer de faire des petits fours, si ? » Mais crever d’envie était beaucoup trop exagéré. Il était vrai qu’elle avait eu envie de lui à ce moment là – avant de s’en mordre les doigts le lendemain et tout le reste de l’aventure. Mais vu les crasses qu’il avait pu lui faire par la suite, il était certain que cette envie n’avait en rien perduré. « Mais de là à coucher avec lui plus d’une fois ! » Ouais, il fallait dire que cela avait pas mal choqué Eukle d’apprendre que Fauve avait réitéré l’expérience. Tout d’abord parce qu’il semblait que Sullivan, avec le peu qu’il avait entre les jambes, ne pouvait pas être un bon coup mais également parce que… il s’agissait tout simplement de Sullivan, et comme Fauve s’empressait de le souligner, c’était un ‘type aussi salopard’. « Ouais, je sais pas pourquoi la conversation a dévié sur lui. D’ailleurs, tu ne le croiras jamais… mais il m’a fait des excuses ! C’est dingue, hein ? Tu l’imagines, lui, sous un clair de lune, près d’un feu, venir s’excuser pour toutes les crasses qu’il m’avait faites ? Je n’y aurais pas cru. » Elle sourit. Fauve semblait persuadée qu’aucun homme ne semblait pouvoir gagner la finale. « Hum, je ne suis pas aussi sûre que toi. Pense à toutes les bonnes femmes de quarante ans, seules devant leur télé ? Elles doivent saliver un max. Mais, dans ce cas, une question se pose… Pourquoi Sullivan et Nicola ? Ok, Nico est tout chou, m’enfin tout de même ! Je me demande comment ces deux-là ont pu finir en finale. »

Eukleia, elle a pas l’air de capter ce que je viens de dire. Enfin, moi, je crois plutôt que c’est genre, j’ai capté, mais je fais style pas du tout pour faire genre c’est pas vrai alors que c’est vrai. Ouais, enfin, vous comprenez. « crever d’envie de bai.. » j’ai pas le temps de finir ma phrase, elle enchaîne. Voyez que j’avais raison ! Ah, apparemment non. Ah, mais si, un peu quand même. Oh, ça va, elle chipote sur les mots, la meuf, quand même, on est d’accord que ça ne lui aurait pas dérangé de l’avoir entre les cuisses ce moment-là, voilà. Je crois que j’ai un flair pour ça. Je suis un radar à baise, voilà tout. « ça dépend si tu peux manger les petits fours sur lui tu sais… » quoi, mais, non, c’est pas une mauvaise idée, hm. Enfin, ouais, en fait, ça dépend, imaginez que ce soit le genre de petits fours qui sortent vraiment du four. Ce serait peut-être pas agréable de se faire à moitié brûler la peau par de la nourriture, hm. Et puis, le temps de laisser refroidir et tout, ça casserait carrément l’ambiance en fait. Bref. Elle me renvoie dans la tête le fait que je n’ai pas couché qu’une seule fois avec Sullivan. CA VA JE SAIS. Non mais. Je sais bien que c’est pas franchement ce qu’il faut faire. Et puis merde, je voulais pas, à la base. Enfin, si, mais voilà. « c’est pas de ma faute. » non, oui, clairement, c’est pas de la mienne, c’est uniquement de la sienne. « en même temps, s’il y avait un peu plus de quoi se mettre sous la dent ici ! » ouais, toujours ce même problème de manque d’hommes dans le château. « je sais pas comment tu fais pour te taper seulement Adonis moi. » genre, il lui suffit vraiment ? C’est possible ça de se contenter d’une seule personne ? Elle s’en lasse pas ou un truc comme ça ? Enfin. Bon, j’imagine que c’est encore moins mes affaires que l’espèce d’histoire entre Maia et Nicola, donc je garde mes questions pour moi. Et puis, qu’on se le dise, j’en ai strictement rien à foutre qu’ils finissent bien ou mal, eux deux. Alors que c’est vrai que Maia, ça me ferait chier quand même qu’elle pleure pour une malheureuse histoire. Et là, je fais une tête pas possible quand elle me dit que Sullivan lui a présenté des excuses. Non, sérieux ? Hallelujah, l’humanité n’est pas totalement foutue. « il voulait peut-être baiser. » ouais, c’est quand même bien plus simple de se dire que c’est qu’une histoire de baise, hm. Eh merde, pourquoi est-ce qu’il s’excuse pas, envers moi ? Genre, il a pas capté qu’il a foiré en me mettant contre Maia pour ce duel ? Putain, j’espérais au moins que de ne plus baiser lui manquerait, vous voyez, mais apparemment absolument pas. C’est pas grave, ouais. Vivement que je sorte de ce jeu en fait, ça m’énerve, là, je commence à attendre des trucs d’autres personnes, et c’est pas cool du tout, parce qu’on se retrouve forcément déçue, je le sais bien, ça. « Elles me font chier, ces vieilles. Et la solidarité féminine, elles ne connaissent pas ? Qu’elles ne viennent pas se plaindre des inégalités entre ces cons et nous hein, c’est pas avec des connasses pareilles que ça va changer un jour. Peut-être que Nicola, c’est le petit-fils qu’elles aimeraient avoir, j’en sais rien. » non, mais oui. Quitte à baver devant son écran, ok, je comprends que Sullivan soit en final alors, mais pas Nicola quoi, c’est plutôt le genre mignon comme un petit chiot, Nicola, pas sexy à vous faire baver quoi. Et encore, un petit chiot, c’est pas mignon, en fait, ça pue et ça bave, et ça fait ses besoins partout, et ça arrête jamais d’aboyer.. On va dire comme une peluche, vous voyez.