LENA

Je sais que je me dois de faire bonne impression sur les autres candidats. Les brosser dans le sens du poil pour gagner leur confiance, faire en sorte d’apparaître sous mon meilleur jour avec mon plus beau sourire et me montrer le plus gentil possible. Sauf qu’il y a des illusions que même moi je ne peux pas maîtriser. Faire semblant de m’intéresser à leurs misérables petites vies commence à très sérieusement me faire chier. Je sens un mal de crâne affreux pointer le bout de son nez au moment où les sirènes commencent à se lancer dans de grandes tirades au sujet de la vie sous-marine. Par pitié, qu’on les fasse se taire, sauf que ça s’annonce résolument impossible vu l’enthousiasme qu’elles y mettent. Je m’extrais de la foule de candidats prétextant une envie subite d’aller me chercher un verre, avant de m’éclipser sans la moindre perspective de retour. Je pense avoir assez sociabilisé pour la soirée, je préfère m’offrir une pause dans les états d’âmes de mes camarades. A la place je m’en vais visiter calmement le bateau, furetant un peu partout en ouvrant chaque malheureuse porte qui croise mon chemin. C’est grand et en même temps pas tant que ça lorsqu’on prend en compte le nombre qu’on est à bord. Je vais devoir me coltiner des migraines tout au long de la semaine, espérons que le château soit plus enclin à l’isolement. J’entre dans une pièce à la volée, avant de tomber sur une jeune femme. Fait chier. Je ne me laisse qu’une demi-seconde pour la jauger, avant de revêtir aussitôt mon visage de contenance, un fin sourire aux bords des lèvres. « Bonsoir. » je clame d’une voix mélodieuse, m’appuyant sur mon épaule contre l’encadrement de la porte. « Qu’est-ce que tu fais ici toute seule ? Les autres font connaissance sur le pont. » je l’informe doucement comme si je me préoccupais de son asociabilité manifeste, bien que je sois tout à fait amène de comprendre le bien que ça peut faire de s’extraire de toute la bande de nuisances sonores.

Je ne me défais pas de mon léger sourire, malgré qu’il soit à présent manifeste qu’elle n’est pas ravie de me trouver là. Mais pour tout dire ça me fait ni chaud, ni froid. Ni même lorsqu’elle prend la parole pour me signifier clairement que je devrais me mêler de mes affaires, que lorsqu’elle s’excuse. Je sais que je devrais me mettre Lena dans la poche. Ce serait sûrement la meilleure chose à faire en vue du peu que je sais d’elle. Elle peut faire souffrir . Concis, efficace. En somme, j’imagine qu’il est assez évident qu'il vaut mieux être son ami que son ennemi. « Et ça me regarde parce que… » je commence en laissant ma phrase en suspend pendant que je cherche ce que le commun des mortels peut trouver d’intéressant dans les états d’âmes de leurs concitoyens. « Je suis un garçon sensible ? » je propose, main sur le cœur pour appuyer mes propos. Et non pas une grosse enflure qui tente de grappiller des informations sur les faiblesses de mes concurrents. Petit sourire pour faire passer le tout, avant que je ne me mette à pincer les lèvres d’un air faussement concentré pour l’écouter. Je ricane légèrement lorsqu’elle parle de piaillements et encore un peu plus quand elle ose me balancer ma question comme si de rien n’était. Si j’étais sincère de nature, je lui dirais qu’ils me filaient tous un atroce mal de crâne. Pas forcément dû au bruit ambiant et aux rires aigus atrocement irritant, mais plutôt parce que j’étais dans un tel état d’ennui que mon corps a réagi de lui-même en me donnant une migraine capable de m’extirper de cette situation. Sauf que je ne compte pas lui révéler tout ça. D’une parce que je passerais pour le pire des dédaigneux et que je préfèrerais que ça ne se découvre pas de sitôt. De deux, surtout parce que je suis conditionné pour être un mensonge ambulant, me jouant de la réalité et des illusions à ma guise. Je me la joue inspiré, laissant mes prunelles tomber dans les siennes avec  gravité. « Lena… » Je souffle tout doucement son prénom, détachant chacune de ses syllabes pour lui insuffler une importance sûrement exagérée, comme s’il s’agissait là du plus beau mot toutes langues confondues. « Tu sais, mon pouvoir… » je commence lentement, pesant chacun de mes mots pour qu’ils s’impriment dans sa petite tête. « …est de savoir si TU ne te sens pas bien, et… » Oui, elle et personne d’autre bien entendu. Je marque une légère pause faisant mine de réfléchir, avant de reprendre dans un petit rire maîtrisé, les paumes tournées vers le ciel comme si l’évidence était là. « Et, eh bien, me voilà. » Un vrai chevalier servant, mon costume blanc étincelant à l’appui pour parfaire mon image de gendre idéal, immaculé et angélique. Je lui adresse un nouveau sourire, cherchant à voir ses lèvres s’étirer à leurs tours pour témoigner de la réussite de mes tentatives de charme. « Ça va mieux ? » Non, parce que ça avait pas l’air d’être la joie lorsque je suis arrivé…

Elle commence à s’agiter nerveusement devant moi, pendant que je laisse mes yeux couler sur sa silhouette de son visage témoignant de son anxiété jusqu’à son pied battant frénétiquement beaucoup plus bas contre le plancher. Je la regarde avec un léger sourire avant de me décider à rentrer en scène. Je lui fais tout un numéro de charme, parlant en douceur et essayant de la faire se sentir comme la personne la plus merveilleuse du monde. Ce qui n’est sûrement pas le cas, puisque je suis à peu près sûr que ce rôle est déjà occupé avec brio par ma personne. Je vois bien qu’elle demeure assez septique, presque moqueuse au fil de mes paroles, mais je poursuis lentement en abordant mon sourire charmeur. Je crois même qu’elle commence à me trouver franchement lourd et exaspérant vers la fin, mais je passe outre ses sentiments pour m’arrêter, toujours appuyé nonchalamment contre l’encadrement de la porte. Je continue de l’observer fixement, penchant légèrement la tête pendant que je détaille du regard son visage en y cherchant un quelconque indice sur ce qu’il peut bien se trouver au fond de sa tête. Je me demande si elle commence à sentir l’influence que j’ai sur ce qui se trouve autour de nous. Je me concentre en essayant de me figurer une douce mélodie. Je suis sûr que c’est le genre de trucs qui devrait plaire à Lena. Léger, apaisant. Elle trotte dans mon esprit et je fixe la jeune femme en attendant de voir si elle parvient à distinguer le son que j’impose à l’environnement. Brusquement, son expression change pour afficher un air quelque peu perdu et surpris. J’esquisse un léger sourire satisfait qui me trahit peut-être parce qu’elle me demande aussitôt si je suis l’origine du ça. « De quoi ? » je me moque en feintant de ne pas savoir de quoi elle parle. Ceci dit ça n’a pas l’air de fonctionner, elle s’empresse de me poser une nouvelle question à laquelle je réponds par un simple haussement d’épaules négligé. Je la regarde avec une certaine curiosité quand elle mentionne son pouvoir, intrigué. « Je pourrais te faire souffrir aussi… » Mais ça équivaudrait à ce que j’endure également la douleur à laquelle je m’efforcerais de penser. On repassera pour la démonstration. Et on ne peut pas non plus dire que ce soit l’objectif que je souhaitais en utilisant mon don devant elle. Je m’imagine un léger coup de vent frais qui viendrait me chatouiller la nuque dont je tente de lui transmettre la sensation. « Tu sais, les magiciens qu’on trouve d’où on vient, ce ne sont pas tous des imposteurs. » j’explique en prenant en compte qu’elle doit sûrement vivre dans le monde des humains. Je mets une main derrière mon dos et y fais apparaître un hologramme de bouquet de fleur que je m’empresse de lui tendre. J’insiste tellement pour le lui refourguer que lorsqu’elle le prends, je le fais disparaître brusquement dans un sourire triomphant.