Je suis sur mon lit, les yeux fermés. Je prends bien toute la place, j'en profite, pour une fois qu'il n'y a pas Fauve. On va dire qu'elle aime bien s'étaler, le soir. Je m'imagine sur un nuage, un peu comme dans la pub kinder, et je souris bêtement. Je dois avoir l'air stupide, je ne sais pas s'il y a des gens dans le dortoir, mais après tout je m'en fiche. Mon ventre se met à gargouille, plusieurs fois. Ça casse tout. Je sors de mon moment de plénitude et me relève sur le lit. Il va falloir que je mange. Je quitte mon lit et me précipite vers les escaliers, puis enfin la cuisine. Quelqu'un y est déjà. Je le reconnais, Nicola. « Salut toi » Je lui souris en me remémorant le cours de pêche qui a fini par un plongeon involontaire dans le lac, avec le supposé animal de compagnie de la vieille. Mon ventre se remet à gargouiller, le traitre. Pitié qu'il n'ait pas entendu. J'en profite pour jeter un coup d’œil dans le frigo, histoire de cacher ma honte. Il n'y a rien de tout fait. Je soupire. C'est quand je vois les œufs que je sais ce que je veux. Des crêpes. Je fais dépasser ma tête de derrière le frigo et cherche Nicola du regard. « T'aimes les crêpes ? On en fait ? » que je lance d'un air enjoué. Ça tombe, il a déjà mangé un goûter, ou il n'a pas faim. Ce serait embêtant, c'est vrai, c'est bon les crêpes, mais c'est plutôt chiant à faire seul. Je n'ai jamais été très patiente. Je ne m'imagine pas rester seule une heure derrière la poêle, à faire sauter les crêpes une à une. Enfin, ça c'est plutôt un mythe, je n'ai jamais fait sauter une seule crêpe personnellement. Ça décollait pas de la poêle, j'avais trop peur que ça finisse en catastrophe.

Nico soupire. Ce magazine de meufs est vraiment trop chiant. Quand il l'a vu traîner là sur la table de la cuisine il s'est dit qu'il allait jeter un coup d’œil, histoire de voir ce qu'elles trouvent cool dans ces trucs people. Mais au bout de trois lignes il a eu sérieusement envie de se tirer une balle. Et patati patata de machin qui a cassé avec machin parce qu'elle a couché avec truc et nianiania. Et oh lala que la robe de l'été c'est ça et que le bleu sera vraiment pas du tout tendance cette saison. Au secours. Comment elles font ? Il finit par fermer le truc et le pousser à sa droite avant de s'étaler un peu sur la table, la tête posée sur ses bras croisés. C'est l'heure du goûter, il commence sérieusement à avoir faim. Le garçon finit par se redresser, il fait une petite moue en passant au rayon x la cuisine pour voir ce qu'il va pouvoir manger. Ses doigts tapotent un peu la table, comme s'il jouait du piano, et puis finalement il se lève, file au frigo et se prend un verre de jus de fruit. Pour commencer c'est pas mal. Il finit par se rasseoir sur la table, pris d'un élan de flemme dans ses recherches. Mais lorsqu'il entend des pas se rapprocher il relève la tête, plein d'espoirs de voir un quatre quart géant apparaître face à lui. Il sourit lorsqu'il voit Maia. " Coucou ! " qu'il lui répond, plutôt enjoué. C'est vrai qu'il est content d'avoir de la compagnie d'un coup, et puis surtout il est content de voir Maia. Ils ont pas vraiment pu se recroiser depuis le cours de pêche, dommage parce qu'ils avaient passé un bon moment malgré toutes les péripéties. Il la voit s'approcher du frigo et ça éclaire encore plus sont après-midi, il n'est donc pas le seul à être accro aux goûters dans ce château. " T'aimes les crêpes ? On en fait ? " C'est un flash d'émerveillement qui défile sur son visage. " Oh ouais " Il se lève rapidement de la table et file vers Maia. Son estomac commence à grogner à la simple idée du Nutella sur les crêpes chaudes. Ca le fait rire un instant et puis il prend un air un peu plus sérieux, solennel, sourcil haussé et moue résignée au visage. " Par contre je sais pas en faire, donc cette fois c'est toi le grand manitou. Je suis un bon élève tu vas voir ! " Et ni une ni deux il lève les bras et attrape la farine et le sucre dans une armoire. Bon il sait quand même quelques trucs, il a essayé d'en faire une fois chez lui, mais ça a viré à la catastrophe. Il n'a pas assez de patience pour la pâtisserie Nico, faut suivre trop méticuleusement les recettes et ça le gonfle. Lui il préfère inventer. Mais avec une bonne compagnie il est motivé. " Alors on commence par quoi, chef ? " Il sourit, puis l'air de rien attrape une pincée de farine et la lance sur Maia. Bon élève, mais toujours un peu dissipé faut croire. Il prend un air innocent et se met finalement en position de travail.

Han, il aime les crêpes, il veut faire des crêpes. Si je ne me retenais pas, je serais en train de trépigner sur place, pressée de commencer. Surtout pour le résultat en fait, des crêpes fumantes avec du nutella qui fond dessus. Miam. Il me dit qu’il ne sait pas en faire, que je devrai lui apprendre. J’espère qu’il ne sera pas trop critique sur ma manière de cuisiner, parce que j’ai toujours eu tendance à tout faire à l’arrache, pour que ça aille plus vite. De toute façon on s’en fiche de la façon de faire, c’est le résultat qui compte et si c’est plus rapide, c’est encore mieux. Il sera un bon élève qu’il me dit, je ris. « T’as intérêt, sinon je serais obligée de te fouetter avec … » Je regarde un peu autour de moi pour trouver l’objet approprié. Je doute qu’il y ait une règle par ici. Je remarque un rouleau à pâtisserie. « AVEC CA » que je lui dis, faussement menaçante, tout en attrapant l’ustensile. Nicola attrape la farine et le sucre dans l’armoire du haut, pendant que je m’occupe du sucre vanillé, de la levure, de la maïzena, de l’huile et du sel. Je me colle un peu à lui pour les attraper, tant qu’à faire, je sens même son parfum, il sent bon. Je souris intérieurement. Je pose le tout sur la table, puis vais chercher un verre que je remplis d’eau, du lait dans le frigo, sans oublier le rhum et les œufs. « Je crois que tout y est » Il me demande par quoi on commence. Je réfléchis. Je ne commence jamais par quelque chose en fait. « Peu importe l’ordre, faut tout mettre dans le saladier et on mixera après avec le batteur électrique, ça va plus vite » Je lui cache que je suis très mauvaise cuisinière et que c’est la seule chose que je sais faire. « 200g de farine si je me souviens, le sucre ça doit être pareil, pas beaucoup de maïzena, trois œufs et quelques cuillerées pour le reste » Je reçois de la farine en plein visage. Il ne peut y avoir qu’un coupable. Je me retourne, indignée, puis quand je le vois prendre un air innocent, je ne peux m’empêcher d’afficher un sourire. C’est pas juste ça. Ça me fait penser à mon chat, il est tellement mignon que tu ne peux lui en vouloir, même s’il fait des bêtises. Ça me donne une idée tiens. « Maintenant, il faut que tu fermes les yeux, sinon ça marchera pas. » J’attends qu’il s’exécute, puis je plonge mon doigt dans la farine. J’étouffe un rire et me rapproche. Je pose mon doigt sur son nez pour lui faire un museau blanc, je lui dessine ensuite des moustaches sur les joues. Il a déjà rouvert les yeux. Je souris. Voilà, un chat.

Je ris quand je l'entends couiner, lorsqu'il comprend ce que je suis en train de faire. Il a les plus belles moustaches du château qu'il dit. Il a raison, il me plait bien comme ça. Il me dit ensuite que j'en ai partout, moi, et que c'est pas chic. Pas beau quoi. Arg, j'allais lui demander de m'arranger ça, quand il me coupa l'herbe sous le pied. Mes yeux s'agrandissent un peu quand je sens sa main se poser sur ma joue. Oh. Il promène un peu son pouce dessus. Je me retiens de rougir, ça ne ferait pas bien, de s'exposer, comme ça. Enfin, peut-être que je rougis au final, je ne sais pas. C'est mieux maintenant, qu'il me dit. Je lève les yeux vers lui et souris. On reste un petit moment bloqués dans cette position, ce qui n'est pas pour me déplaire, jusqu'à ce qu'il se détache et se retourne pour éternuer. J'étouffe un rire. Quand il se retourne, je vois que ses moustaches sont presque entièrement effacées. C'est la farine qui l'a fait éternuer, que je déduis. Voilà que je m'en veux de l'avoir transformé en chat, peut-être qui si je ne l'avais pas fait, ce moment aurait duré plus longtemps. Il n'y a plus qu'à forcer le destin. Je l'entends annoncer qu'il verse la farine dans le saladier. Oui, les crêpes. On fait des crêpes. J’ai faim maintenant. Petit à petit, nous mettons tous les ingrédients dans les quantités qu'il faut. Voilà, tout est dans le saladier, il ne reste plus qu'à mélanger les ingrédients entre eux. Je cherche le batteur des yeux, il est placé à côté de Nico. J'hésite un instant puis me colle un peu à lui en me penchant pour attraper l'ustensile. Je m'appuie sur son épaule pour ne pas tomber en avant, la tête dans le plat. Avouez, ce serait dommage. Lorsque j'ai le batteur en main et que je suis revenue à ma place initiale, je lui décoche un sourire. « Tu veux mélanger ? » J'ai toujours trouvé que battre les oeufs c'était excitant. Ces jaunes qui se mélangent, le blanc qui s'ajoute au ménage, cette fusion profonde.. Je me demande si ça le sera encore plus si c'est Nico qui s'en charge. Imaginez, la symbiose parfaite. Epuisée par cette réflexion intense, je dépose ma tête sur son épaule et ferme les yeux, bercée par le bruit du batteur. Une chose est sûre, ce n'est pas la berceuse du siècle. « Elle est agréable ton épaule, comme oreiller » que je lui dis doucement après quelques secondes. Un peu dur à mon goût, mais c'est bon signe. Epaule dure signifie abdos en béton et corps-photoshop.

Il l'observe ajouter le reste des ingrédients du coin de l’œil. Il se concentre, Nico. Essaie de tout bien faire minutieusement. Sans blague, maintenant qu'il a envie de crêpes il est pas prêt à tout gâcher à cause d'une fausse manip. Et puis ça le ferait pas. C'est pas bien compliqué de suivre les commandes de Maia. Il s'applique, il prend son temps, histoire de profiter le plus longtemps possible de ce moment. C'est vrai que c'est agréable de sentir sa présence à ses côtés. Il sait pas vraiment ce qu'ils font, mais il peut pas dire que ça lui déplaît. Elle se colle un peu à lui, attrape le batteur, lui propose de mélanger. Il sourit, hoche la tête. Oui, pourquoi pas. C'est marrant, il a toujours trouvé ça marrant. Un coup on a tous les ingrédients et cinq minutes plus tard tout est réduit en une pâte uniforme, homogène. Et puis il a toujours aimé goûter la pâte. Un petit plaisir de gamin, sans doute. Il pose sa main sur celle de Maia, l'effleure, finit par saisir le batteur et le brancher. Finalement il l'introduit dans le grand saladier et l'allume. L'espace d'une seconde quelques giclées de pâte leurs atterrissent dessus. " Ah putain. " qu'il murmure, puis il se rattrape et tout commence a bien se mélanger. Il se mord la lèvre pendant qu'il observe lentement le mélange se faire. Ses yeux comme captivés par le tourbillonnement. Et Maia vient s'appuyer contre lui, sa tête sur son épaule. Il sent un sourire timide se glisser sur ses lèvres, tandis qu'un frisson lui parcourt l'échine. Apparemment son épaule est agréable. Ouais, sans doute. Lui ce qu'il trouve agréable c'est ce contact entre eux. " Attends on va voir si toi aussi t'es confortable. " Et il penche un instant sa tête, pour la poser doucement contre celle de la jeune femme. Pendant quelques secondes il dit plus grand chose. Un peu absorbé par le rythme du batteur et cette espèce de bulle qui semble les avoir capturés. Limite il pourrait fermer les yeux lui aussi. Mais son attention reste rivée sur le batteur et lorsqu'il sent que le mélange est à juste niveau, il se redresse. Il éteint le batteur et le pose sur le côté avant de se retourner un peu vers Maia, toujours posée contre lui. " On fait quoi maintenant ? Faut attendre ? On goûte pour voir si c'est bon ? " Il hausse un sourcil et puis trempe la pointe de son index dans le liquide. Ca a une bonne gueule en tout cas. " Voilà. " Et l'air de rien il vient poser son doigt au coin des lèvres de la jeune femme. " Oh bah mince, tu t'en es mis partout. " Bah quoi ? Il sourit un peu. Elle est mignonne avec sa trace de pâte à crêpes près de ses lèvres vermeille.

Toujours les yeux fermés, la tête posée sur son épaule, je l'entends dire qu'il veut voir si je suis confortable, moi aussi. Je ne peux m'empêcher de sourire. Lorsque sa tête se pose contre la mienne, c'est comme un courant électrique qui me parcourt, mais en tout doux. Cet endroit où l'on se touche est comme des millions de plumes. Ce devrait être dur, mais non, c'est chaud et agréable, comme le chocolat. Quand il se redresse j'émets un couinement de mécontentement. Non non, pas tout de suite. Encore un peu. J'affiche un air boudeur, toujours collée à lui. Il se tourne vers moi et me demande ce qu'on doit faire maintenant, s'il faut qu'on attende, qu'on goutte. Je ne sais pas trop à vrai dire, je n'ai jamais attendu avant de faire cuire les crêpes, mais mes yeux s'illuminent lorsqu'il évoque la seconde option. J'allais répliquer quand il vient me mettre de la pâte à crêpe sur le coin des lèvres, avec son index. J'en ai partout qu'il dit, avec son petit air innocent. Ce petit air agaçant, mais tellement mignon. « Eh ! » Je me redresse et affiche mon mécontentement en faisant la moue. J'allais lécher la préparation rendue sur mes lèvres, mais j'ai une meilleure idée. Il n'y a pas de raison que je sois la seule tâchée. Je passe mes bras autour de son cou, me mets sur la pointe des pieds et m'approche doucement, comme si j'allais l'embrasser. Au dernier moment, je dévie sur le côté et frotte mon coin de lèvre sur sa joue. « Oh, zut, t'en as partout toi aussi. Je me demande comment c'est arrivé jusque-là. » Je ris, reste un peu comme ça, pour profiter de l'étreinte, puis je lui lèche la joue. Il a parlé de gouter, il faut bien que je lui donne mon avis, comprenez. « Pas mauvais, on s'est bien débrouillé » que je lui dis en me détachant. Je lui tire la langue puis me dirige vers l'armoire du bas, pour prendre une poêle. « Je fais jamais de pause entre la préparation et la cuisson, en fait. » Je la pose sur une plaque chauffante et appuie sur les boutons pour l'allumer. « T'as déjà fait sauter des crêpes ? » J'ai envie de réessayer, tiens. J'espère juste qu'on ne redécorera pas tout le plafond, je doute que la vieille fée serait heureuse de voir ça.