J’étouffe. Ca y’est, ça commence. La nuit est à peine tombée, le soleil vient à peine de se substituer à la lune, rayonnante, imposante, éblouissante... Sa lumière ne me parvient qu’à peine, se reflète dans mes pupilles dilatées qui la contemplent avec une appréhension à peine voilée. Je ne la déteste pas, je ne la crains pas, loin de là. Je ne suis pas louve. Pas plus que je n’ai peur du noir. Et pourtant, la nervosité continue de coaguler dans mes veines, de battre dans ma tempe, se propager comme une trainée de poudre le long de chacun des pores de ma peau, vicieuse et corrosive. Pourquoi ? Parce que je redoute ce moment où je devrais aller reposer mon corps infatigable et infatigué, ce moment où je dois faire semblant de me reposer, ce moment où je devrais me forcer à tenter de contrôler. Oui, tenter, parce qu’y parvenir relève du rêve, de l’illusion, de l’impossibilité. Dormir est presque une torture tant j’ai besoin d’être constamment en mouvement, en activité. Je ne suis pas normale et être magique n’aide en rien. Je soupire longuement. Pour autant je ne me plains pas, jamais. Jamais de vive-voix du moins. Quelque part je contiens. Ca me prend des heures. Des heures pour contenir, pour me mettre en condition, si bien que je suis toujours à l’extérieur, à faire des allers-retours le long du pont jusqu’à m’orienter vers le pont-batterie. J’ai entendu parler d’une rumeur. Une rumeur qui fait office de diversion. Alors, c’est d’un pas tout à fait décidé que j’aligne les pas. J’observe, je triture mes doigts, je remets une mèche derrière mon oreille, je m’attache les cheveux, je finis par les détacher de nouveau, je triture la fermeture éclair de ma veste avant de faire rouler mes doigts le long de mon bracelet ornant mon frêle poignet, les yeux rivés sur un canon, les oreilles à l’affut. Le bois craque, pourtant je suis immobile. Je fronce les sourcils. Il craque encore. Automatiquement… un fantôme ?! Je m’alarme. Je plisse les yeux, l’électricité pulse dans mes veines jusqu’à mon cœur, accélérant sensiblement sa cadence puis je ne peux m’empêcher de faire soudainement volte-face. Pour la forme j’échappe un cri en apercevant une silhouette féminine enveloppée d’une légère brume. « Désolé. » je me ressaisis. « Je pensais que tu… » Ca va sembler tellement ridicule que… « …faisait parti du décor » je termine de manière totalement incompréhensible. Ou suffisamment compréhensible pour ceux qui auraient oublié qu’avant les fantômes, il y’a vingt-trois autres candidats sur ce bateau.

J’aime beaucoup trop les histoires de fantômes. En réalité, j’aime me faire peur. Je suis tout à fait le genre de nana qui, pour faire passer une insomnie, se met à trois heures du matin devant un film d’horreur, seule, dans le noir. Je dois être un peu masochiste sur les bords. C’est une occupation comme une autre. Tout comme j’aime dépenser mon énergie tantôt utilement mais le plus souvent inutilement et avoir cette impression que ca a servi à faire descendre quelque peu cette jauge sur-pleine. Quoiqu’il en soit, il ne m’a pas fallu longtemps pour croire que la rumeur était vrai, ou plutôt le voir. En tout cas, une rouquine se tient à présent devant moi. Une rouquine de chair et d’os, bien loin du stéréotype du revenant. Déçue ? Moi ? Hm, je dois bien l’avouer. Après quoi, je fronce les sourcils lorsqu’elle m’accuse de considérer les candidats comme étant le décor. Je pouffe de rire malgré moi. Je ne veux pas me montrer moqueuse ou dédaigneuse mais, en y réfléchissant, c’est un peu ce que l’on est quelque part. Mais qu’importe ce n’est pas le propos. L’adrénaline redescendue, je reprends mes esprits et esquisse un sourire lorsqu’elle comprend ma référence. « Exact » j’acquiesce. Et, mon esquisse s’affaisse presque aussitôt lorsqu’elle me dit que les fantômes n’existent pas. De nouveau, j’ai envie de rire en la voyant pincer les lèvres. « Tu as, toi-même, l’air convaincue de ce que tu avances » je lance légèrement taquine. C’est que, chez certains, les traits du visage ne trahissent pas. « Pourquoi ca n’existerait pas ? Si je n’abuse, toi comme moi sommes humaines et pourtant nous possédons un grain de magie, de surnaturel. » je commence pensive tout en faisant les cent pas, impossibilité chronique de rester en place plus de cinq secondes d’affilées. « Sans compter que nous sommes entourée de sirènes, vampires, tritons, fées, loup-garou… » je poursuis dans ma théorie, lui jetant par moment des coups d’œil. « Alors pourquoi pas les fantômes ? » je lui demande de manière peut être rhétorique non sans planter mes iris dans les siens. Je veux pas rendre l’atmosphère plus glauque qu’elle ne l’est déjà. La petite brume lourde et basse, la nuit noire, un bateau paumé au milieu de l’océan font ça déjà très bien. Néanmoins, c’est que, dans une seconde vie, j’adore me faire l’avocat du diable pour cela que je ne peux m’empêcher d’argumenter dans ce sens. Je continue d’aligner les pas sans réelle direction faisant craquer le bois de manière plutôt inquiétante, attendant une quelconque intervention de sa part lorsqu’un nouveau bruit que je ne saurais encore qualifier m’interpelle. Je fronce les sourcils. « Ok, rassure-moi, c’était toi ça ? » je demande en regardant autour de moi.