Je crois qu’on m’a dit un jour qu’il y avait moins de tangage si on s’enfonçait dans le bateau. Ça me paraît logique, parce que si on est déjà au niveau de la mer il ne reste plus de mouvement possible du haut vers le bas. Pas vrai ? J’en sais rien en fait, je me demande si je ne viens pas de l’inventer pour me donner l’espoir d’aller mieux avant la fin de cette interminable semaine, de pouvoir manger normalement sans craindre d’être de nouveau surpris au-dessus des chiottes improvisées, de m’éclaircir les idées pour réfléchir à ce début d’aventure. Et je crois que ça marche assez bien, parce que malgré le bruit angoissant des vagues et l’impression de pouvoir être englouti par les flots à tout instant, je me sens un peu mieux. C’est peut-être psychologique, j’en sais rien, mais je vais continuer à y croire. Et je caresse la large chaîne enroulée autour du cylindre, la suivant des doigts en essayant de me représenter la taille de l’encre. C’est seulement là que je réalise un truc qui me paralyse. Putain de dieu, ne me dites pas que ce truc nous conduit tout droit sur … une île ?! Vous vous rendez compte, si ce foutu bateau nous débarque sur un lopin de terre entouré d’eau ? L’HORREUR, ce serait HORRIBLE. Dans la saison un ils avaient au moins un bosquet pour faire office de forêt, ce serait vraiment dégueulasse de nous coincer entre trois palmiers et des plages de sable blanc. Je déteste le sable. Je déteste les palmiers. Je déteste l’eau. Je crois que je recommence à paniquer, aussi j’essaie de me calmer en me disant que la vieille n’est quand même pas aussi sadique, qu’elle n’oserait pas faire un truc pareil, qu’au pire elle y aura aménagé une forêt artificielle pour nous. Sauf que plus je pense à la mémé, moins je suis rassuré. Et … Putain c’est dégueulasse je me suis foutu plein d’algue sur les doigts. Je récupère ma main pour observer la vase coincée sur ma peau, sentant mon nez me chatouiller au même instant. Je me retourne alors vers la porte en éternuant, secouant mes doigts qui projettent les détritus marins sur le visage du candidat qui vient de débarquer. Loup-garou, qui réveille mes allergies. « Putain de clébard. » Je ne manque pas de faire remarquer sans me soucier du fait que je viens de lui repeindre la gueule aux algues naturelles. « C’est bon pour la peau à c’qu’il paraît. » Et je hausse les épaules dans un geste désinvolte. C’est ma phrase pour essayer d’éviter les emmerdes, mais en fait je crois que je viens de me foutre en plein dedans.

Reno & Jea

Algae Mask

Le puits au chaîne, c'était devenu officiellement le nouvel endroit de retrait de Jea, il pensait que personne ne pouvait venir le gonfler ici et encore moins ces attardés mentaux qu'il adorait tant. Pourtant à chaque fois qu'il s'y rendait, il y avait toujours quelqu'un pour lui prendre la tête, on ne savait pas vraiment pourquoi. Par exemple là on se demande bien pourquoi Jea est au sol, sur Reno, prêt à lui arracher la gorge alors qu'il est censé être dans son petit endroit de zénitude et de recueillement. Mais pour cela il suffit de remonter juste quelques minutes en arrière.

C'était une journée parmi tant d'autres sur le bateau de Golden Valor : les humains faisaient des trucs d'humains, les centaures mangeaient leurs bottes de foins et les sirènes résolvaient des équations et des problèmes chimiques qui allaient changer à jamais le monde. Et mince, je suis même pas crédible. Bref une journée comme les autres où Jea en avait marre de croiser certaines tête à claques, c'est pourquoi il était encore une fois descendu pour se rendre dans cette fameuse pièce, pensant que personne ne s'y trouverait et que personne ne viendrait le rejoindre. C'est pourquoi il soupira un grand coup lorsqu'il remarqua Reno déjà présent sur les lieux. Ce dernier avait d'ailleurs une substance bien dégueulasse sur les mains, c'est ce qu'il sortait lorsque les Satyres s’adonnaient aux plaisirs solitaires ? Immonde. Encore plus immonde lorsque cet imbécile se retourne vers lui, éternue et lui envoie toute cette substance sur le visage. Ca sentait la vieille marée, il était conscient qu'il devait également se laver son engin de temps en temps ? Parce que là c'était juste insupportable.

Son premier réflexe fût de couiner comme un pauvre petit toutou à qui on venait de piquer sa baballe. Ouais ces algues en plus d'être dégoûtantes lui brûlait les yeux. Il entendit bien sûr la vieille remarque désobligeante de Reno et cela ne faisait qu’aggraver la pauvre situation dans laquelle le dernier s'était fourré. Il poussa un énorme hurlement digne des plus grands films d'horreurs... ou des pires plutôt, avant de bondir sur celui qui avait osé le traiter de la sorte, le plaquant au sol, se plaçant sur lui et lui agrippant les deux bras pour l'immobiliser. Il plaçait son visage à seulement quelques centimètres de lui, crocs apparents, yeux injectés de sang (étais-ce dû à la haine ou aux algues?) et gros filet de bave qui coulait en plein sur le nez de Reno. «  Tu sais ce qui peut être bon pour ma peau ici ? Un bon gros tas de viande comme toi ! Ça tombe bien, je meurs de faim ! » Il était pas vraiment dans l'humeur de rigoler le petit Jea, petit panda fragile va pas tarder à dévorer grand bambou stupide.

Le panda triste grogne dans mon dos et je me dis que merde, cette histoire de jet accidentel d’algues risque de mal se terminer. S’il commence à me chercher il va me trouver, et il n’a pas l’air du genre à préférer la diplomatie aux explications musclées. Pour cause, il beugle à la lune comme s’il appelait du renfort, et moi je lève les yeux au ciel, excédé. Il a vraiment besoin de faire ça ? J’veux dire, à quoi ça lui sert à part me péter les tympans. Je fais volte-face au moment où il se jette sur moi, basculant en arrière pour retomber lourdement sur le sol. PUTAIN ça fait mal, mais contre un loup-garou je ne fais pas vraiment le poids. Aussi je reste parfaitement impuissant lorsqu’il se vautre sur moi, contraint de me mordre violemment l’intérieur de la joue en sentant l’étreinte de ses doigts autour de mes bras. Merde, c’est pas vraiment confortable là, et je me tortille un peu pour essayer de me donner de l’espace. Même avec sa tête de panda triste, ses yeux flippants et ses crocs puants, je reste un satyre. Et se placer à califourchon sur moi c’est dans le top 3 des choses à éviter IMPÉRATIVEMENT. Heureusement qu’un truc me chatouille désagréablement le visage, m’obligeant à loucher vers mon nez. « PUTAIN MAIS JE RÊVE, TU ME BAVES DESSUS DUCON ! » Je hurle soudain, la veine de mon cou gonflant sous ma peau. Ok, finalement il a réussi à m’agacer, et le pire c’est que j’ai envie d’éternuer. Je pourrais bien éviter de me retenir pour lui postillonner dans la gueule, mais j’ai un minimum de classe –si on écarte ma première nuit courbé au-dessus des toilettes-. Et ce n’est pas sa menace en carton qui me calme, au contraire elle me fait grogner à mon tour –moi aussi j’sais faire-. « Couché Médor. » Je marmonne avant de faire remonter mon genou pour lui filer un coup violent entre les jambes. Tiens, cadeau. Et je le repousse sur le côté en profitant de l’effet de surprise, essuyant vivement mon visage en remontant le col de mon t-shirt avant d’éternuer. Dégueulasse. Mais je n’ai pas de temps à perdre, aussi je me redresse vivement pour m’éloigner de quelques mètres en pointant vers lui un index menaçant. « Allez casse-toi maintenant, c'est évident que tu fais pas l'poids. Chien galeux. » Ouais, c’est un ordre. Si j'évitais de le provoquer ça se passerait probablement mieux, mais j'peux pas m'en empêcher. En fait, je crois même que je serais un peu déçu s'il obéissait comme un brave toutou.

Reno & Jea

Algae Mask

Pour celui qui entrait subitement dans la pièce, la position devait leur paraître plus qu’inappropriée, surtout quand un satyre était impliqué. Mais vous savez, Jea était encore un petit panda triste jeune et naïf et il ne comprenait pas le danger que pouvait représenter cette situation. Pour lui cela se résumait à : tu m'as insulté alors tu vas payé. Très primaire comme réaction je vous l'accorde. Il était en train de lui baver dessus ? Il en avait complètement rien à faire... La bave de loup ce n'était pas bon pour la peau ? Jea affichait un sourire sadique leurs têtes toujours proches l'une de l'autre tandis qu'il lui répondait toujours aussi aimable et affectueux. «  T'aimerais bien. Je vais te planter mes griffes dans tes sales sabots, c'est toi qui va finir par rester couché pour le reste de tes jours !  Aaaaaaaaaaah ! Espèce de connard va ! » L'abruti, le lâche, le fils de nymphe ! Jea était au sol, en train de se tenir les roubignoles et de recommencer à couiner comme un pauvre petit chien apeuré. C'est qu'il lui avait fait mal avec son coup de genou mal placé celui-là. Jea se releva doucement tandis que l'autre se remis à éternuer. Non mais sérieux qu'est-ce qu'il avait ce timbré ? Puis voilà qu'il se met à le menacer un doigt en l'air, il ressemblait un peu à sa mère quand elle lui disait de ne pas rentrer si tard … Vraiment effrayant ! Jea se mit à pousser un rire bien sadique. «  Tu crois que c'est ton vieux doigt dégueulasse qui me fait peur. J'ai déjà eu mes vaccins contre le tétanos ou tout autres saleté que ton hygiène douteuse aurait pu me donner, donc je serais de toi je commencerais à la fermer avant que tu ne finisses sur le barbecue de mon oncle un dimanche après-midi ! », lui lança-t'il. Il était en bonne position, main sur le sol, regard maintenu sur Reno prêt à bondir à tout moment. L'autre allait comprendre pourquoi on ne devait jamais, au grand jamais s'attaquer à lui. «  Et sinon à part faire des coups bas comme une elfe apeurée, tu sais faire quoi ? Parce que si jamais on se croise dans un duel je te ferais la peau, prépare toi ! » Bien entendu, il grognait depuis tout à l'heure tandis qu'il maintenait sa position. Peut être que tout cela était un peu abusé ? Certainement mais bon, Jea n'était pas connu pour être dans la maîtrise de ses émotions et la subtilité.

Bon sang, j’espère que je ne ressemble pas à ça quand je beugle, mais j’imagine qu’un coup entre les jambes n’aide pas non plus à rester zen. Je l’observe tranquillement se rouler sur le sol en m’éloignant de la scène de crime, me préparant à une éventuelle riposte sans rien laisser paraître. J’ai même l’air plutôt détendu, appuyé contre la grosse chaîne en époussetant mes fringues rendues dégueulasses par l’épaisse couche de poussière collée au plancher. A croire que la vieille n’a pas décrassé son embarcation depuis des siècles. J’en aurais presque oublié la présence du chien si un autre éternuement ne me chatouillait pas les narines, se manifestant alors que je cache mon visage dans mon épaule. Putain d’allergie d’merde. Et quand bien même je n’aurais pas eu cette piqûre de rappel, le rire de méchant de dessin-animé du panda triste me tire de ma réflexion. Il me cherche là, non ? En fait ce qui est assez étrange, c’est que ma colère retombe comme un soufflet lorsqu’il déblatère ses conneries, parce que plus il s’époumone en vain, moins j’éprouve le désir de me battre. « C’est pas moi qui ai gémi comme une fillette de trois ans après m’être fait éclater les bijoux de famille. » Je souligne simplement en haussant un sourcil, parce que je le trouve un peu trop sûr de lui. Mais ce n’est pas étonnant, les bêtes à poils sont réputées pour avoir un égo à la mesure de leur manque de répartie, il n’y avait qu’à se pencher sur la saison précédente pour le comprendre. « Bon, on pourrait peut-être arrêter de se tirer les cheveux comme deux gonzesses qui ont vu la même paire de chaussures pendant les soldes ? » Je suggère finalement en constatant qu’il garde sa position de combat, parce que voilà, je change d’avis comme de chemise et que mes excès de colère peuvent être aussi violents que brefs. « Je ne sais pas toi mais ça m’dit rien de montrer de quoi je suis capable inutilement. » C’est vrai, comme ma partenaire n’avait pas souhaité me dévoiler le spectre de ses capacités, je n’ai aucune intention de donner à ce plouc l’occasion de me jauger en tant qu’adversaire. Ce serait une erreur stratégique monumentale. Putain, je crois que la brune commence déjà à déteindre sur moi, voilà que je me mets à réfléchir tactique. Elle serait trop fière, obligé.