Sourcils froncés, nez retroussé, je m'applique, cette fois, juré. Je me concentre, je ferme les yeux, pour n'avoir que ça en tête, seulement ça, rien d'autre, non. Je me mordille un peu la lèvre, je frappe des mains, une fois. J'ouvre les yeux. Mais rien, toujours rien. Je soupire, un peu déçue. Ça ne marche pas. Pas avec moi. C'est ma faute. Je fais mal. Je fais tout le temps mal les choses, là aussi, ça doit être ça. Les autres, ils y arrivent, je les ai vu le faire. Lisa aussi, elle avait du mal, au début, mais maintenant, elle y arrive. Mais moi non, toujours pas. C'est peut-être un problème de concentration, je me dis. C'est souvent ça, avec moi, je me concentre pas beaucoup. Alors ça marche pas. Voilà. Je ferme les yeux à nouveaux. Je veux un verre de jus d'orange, un croissant, un pain au chocolat, du lait, des céréales, je veux tout ça, tout ça maintenant. Je tente de me focaliser sur une chose, une seule, sinon, c'est un bazar pas possible, c'est peut-être pour ça que ça ne fonctionne pas, parce que je veux tout, en même temps.Un verre de jus d'orange. Voilà. Je me concentre sur ça. Un grand verre, avec du jus d'orange, frais. Je frappe à nouveau dans mes mains. J'ouvre les yeux. Il est là. Le verre. Il est plein, avec un liquide orangé. Je souris. Ça y est. Moi aussi, je suis capable de prendre soin de Lisa. C'est pour elle, ça. Parce qu'elle dort encore, depuis hier, depuis qu'on l'a fait, elle est fatiguée, c'est normal. C'est de ma faute. Faut qu'elle reprenne des forces. Et faut pas que les autres la voient comme ça, après, ils vont croire qu'elle est faible, c'est pas vrai, elle l'est pas, Lisa, pas elle. J'attrape le verre de jus d'orange, je l'apporte à mes lèvres, pour le goûter, quand même. C'est pas du jus d'orange. C'est infecte, immonde, et ça me fait grimacer. Je repose le verre sur la table, un peu fort, rageusement. Je peux pas prendre soin de Lisa. J'y arrive pas. Ça m'énerve, de ne pas y arriver, je devrais pouvoir le faire, pour Lisa, elle le mérite, Lisa, elle mérite tous les efforts du monde, mais ça ne marche pas. Je regarde le verre, comme si c'était lui, le fautif. J'envoie valser le verre, là, d'un coup de main. Il se brise par terre, et ce liquide, ce liquide orangé trompeur, il est partout, maintenant, par terre. Je pince un peu mes lèvres, je regrette. J'aurais pas dû m'emporter. Ça marchera encore moins si je m'énerve. Je lève la tête, y'a un garçon, là. Je l'avais pas vu, moi, juré, je l'avais pas vu. Je me serais pas emportée, sinon. Je me serais maîtrisée, voilà. C'est Shiva, le binôme de Lisa. Je me demande s'il a tout vu, s'il a vu mes essais, nombreux, mais lamentables. "pardon." je souffle, en regardant les morceaux de verre, par terre, en regardant mon bazar, ce que j'ai fait. J'aurais pas du m'énerver, j'aurais pas du casser le verre, c'était excessif, ça, comme réaction, je crois.

Je vagabonde tranquillement sur le bateau à la recherche de quelque chose à faire. Chose vaine, je ne me sens pas plus occupé qu’avant à naviguer de droite à gauche sur le pont. Je me retrouve à descendre les escaliers en direction de la salle de repos. Oui, parce qu’entre-temps j’ai pris la décision que j’étais affamé. Le matin, je mange. Bien souvent ce sont les odeurs du café chaud ou les bruits de couverts qui m’ouvrent l’appétit, malin comme je suis  à toujours m’arranger pour ne rien avoir à faire de moi-même. Sauf qu’ici, il n’y a rien de tout ça. Un claquement de doigt et on se retrouve avec du caviar sur un plateau d’argent. Je m’incline face à l’avancée magique qui travaille à nous faciliter la vie, mais… Où il est au juste le plaisir d’exploiter de pauvres gens pour qu’ils nous nourrissent ? Je pénètre calmement dans la salle à manger et m’arrête lorsque je vois la petite blonde pote de Lisa postée face à la table. Paupières closes, nez retroussé, sourcils froncés, elle vibre presque d’énergie tant elle se concentre. Je l’observe de loin, m’attendant à quelque chose d’énorme. Elle compte peut-être utiliser son pouvoir vu toute l’énergie qu’elle y met. Un jus d’orange. Elle fait apparaître un foutu verre insipide remplit d’un liquide orange. Non mais sérieusement, qu’est-ce que je fais là ? C’est presque criminel de lancer cette gamine dans une salle de duel en attendant que ses adversaires l’attaque. Si tous les autres sont à son image, à moitié sur le point de défaillir pour pouvoir prendre son petit-déjeuner, je n’ai pas fini de m’ennuyer. Elle goûte le jus et grimace instantanément pour le reposer vigoureusement. Parce qu’en plus il n’est même pas bon ? Non, mais franchement… Je m’apprête à ricaner et la rejoindre, mais je me stoppe lorsqu’elle envoie valser brutalement le verre. Euh… Pardon ? J’arque un sourcil de surprise ne trouvant aucune autre manière de réagir. Elle pivote légèrement, me découvre et je tente un sourire pendant qu’elle s’excuse sans que je ne comprenne pourquoi. Elle me fait un peu pitié Lilou. Je ne sais pas pourquoi, mais je réprime un soupire et m’avance jusqu’à elle les mains glissées dans les poches. « Ne pense pas qu’au fait que tu veux un jus d’orange. Imagine sa saveur, sa texture… » je souffle suavement en laissant traîner les derniers mots. Je suis habitué à tenter de réunir toutes ces sensations au moment d’utiliser mon pouvoir pour créer une illusion parfaite, mais j’imagine que tout le monde est capable d’en faire de même. En attendant je jette un coup d’œil au verre brisé par terre me demandant si le bateau contient également une fonction autonettoyante. Non, parce que ce serait super pratique là tout de suite.

Je m'excuse, pour tout ça, il vaut mieux s'excuser, quand on est pas sûr que ce soit grave, je pense, et je me mordille un peu fort la lèvre, en attendant, j'attends, voilà de voir sa réaction, s'il s'énerve ou pas. Mais il ne s'énerve pas, non, alors, j'imagine que ça va. C'est pas grave. Voilà. Il me parle de texture, de saveur, tous ces détails qui font un jus d'orange, un vrai, moi, je préférais avant, c'était plus simple, de préparer, au lieu de frapper des mains, comme ça. J'hésite un peu, et puis, finalement, je m'assois sur la table, là, comme ça. J'essayerai plus tard, pas là, avec lui, je veux pas échouer encore devant lui, moi. Je vois son regard qui dérive vers les débris de verre. "je nettoierai, je vais faire ça après, je vais le faire, t'inquiètes pas, je le ferai." ils doivent bien y avoir un balai, ici, toutes ces choses. Mais j'ai pas envie de nettoyer tout de suite moi, et puis, j'ai le temps, voilà, c'est pas pressant, je crois, ça ne doit pas l'être. Je balance un peu mes jambes, sur la table, mes poignets s'accrochent fermement contre le rebord. "tu peux le faire, toi, dis, s'il-te-plait ?" je lance, en le regardant, d'un coup, comme ça. "pas nettoyer, je veux dire, le jus d'orange, le faire apparaître." ce serait plus rapide, je pense, si c'est lui. "c'est pour Lisa." je m'empresse de rajouter, peut-être qu'il accepterait pour Lisa, je sais pas trop. Sinon tant pis, je me débrouillerai après, c'est pas si grave, je pense. Mes doigts se desserrent un peu contre le mur, et je commence à tapoter, comme ça, là, du bout des ongles. "dis, Shiva..." je tapote un peu plus fort, un peu nerveusement. C'est pas ma faute, je crois, je suis toujours nerveuse, de toute façon, c'est mieux quand y'a Lisa, mais elle y est pas, là, à côté de moi. "pourquoi tu fais ce jeu, toi ?" je demande, finalement. Parce que, je pense qu'il faut avoir une raison, moi, pour participer à ça, une vraie raison, une bonne raison. On ne décide pas de s'inscrire ici comme ça, pour rien, sur un coup de tête. Je crois pas. C'est vrai que je pose beaucoup de questions, que je parle énormément, et vite, aussi, et que je suis un peu curieuse, mais ça m'intéresse. Surtout s'il est le coéquipier de Lisa, je veux savoir, moi.

J’esquisse une moue dubitative lorsqu’elle m’assure qu’elle compte faire le ménage plus tard. Non, parce que moi à sa place je laisserais tout ça par terre, je récupèrerais mon jus d’orange et filerais en maugréant à qui veut bien l’entendre contre l’idiot qui a renversé un verre. Sauf que Lilou n’est pas moi et je m’en rends bien compte à la manière qu’elle a de se comporter ou de me parler. Je serais presque tenté de lui demander où sont ses parents, parce que les faits sont là : c’est une gosse. Une gosse incapable de prendre son petit-déjeuner toute seule ou de se passer de Lisa de ce que j’en ai vu. Elle s’accroche à la table comme à une bouée ce qui me fait réprimer un soupire las. Elle plante ses deux grands yeux dans les miens pour me demander de faire apparaître le jus et je ne vois pas comment je pourrais le lui refuser avec tout ça. Elle me précise que c’est pour ma partenaire bien que j’aie déjà pris pas décision, ce qui me fait esquisser un sourire. « Tu veux me faire passer pour un goujat ? » je plaisante calmement. Non, parce que si elle commence à lui apporter le petit déjeuner au lit à la Lisa, je vais être obligé d’en faire de même lorsqu’on partagera notre lit conjugal la semaine prochaine. Je ferme les yeux d’un air placide et je me concentre sur le goût du jus d’orange, son aspect, sa couleur, même le verre dans lequel j’aimerais le voir être servit. Je pense également chocolat, beurre et croustillant. J’ouvre les paupières et avise les trois verres et les viennoiseries sur la table d’un air satisfait. « Sers-toi. » je l’invite, mordillant déjà dans un croissant. Je mâche vigoureusement jusqu’à ce qu’elle me demande ce que je fais ici. Je finis de mastiquer, avant de lui répondre. « Pour gagner, pour la notoriété… » je réponds en toute franchise sans tenter de me trouver de nobles causes à défendre. J’espère bien me trouver un job après l’émission où je pourrais monnayer mes illusions au prix fort. « Pourquoi ? T’es là pour quoi, toi ? » je lui retourne la question avec curiosité, la bouche pleine après avoir pris un nouveau morceau de mon croissant.

"Ah, non, c'est pas ça, c'est pas ça du tout, je t'assure, c'est pas mon intention." je m'empresse de répondre, quand il me demande si je veux le faire passer pour un goujat. Et c'est pas vrai, je voudrais pas ça, moi, non, jamais. Mais c'est pour Lisa, c'est à moi de m'en occuper, maintenant, pour qu'elle aille bien, il faut que je le fasse, et puis, j'en ai envie. Je lui dois bien ça, à Lisa, ça c'est sûr, je lui dois tout moi à Lisa de toute façon. Je le regarde, Shiva, il ferme les yeux. Je me pince un peu les lèvres, je l'observe. Je suis peut-être pas autant concentrée que lui moi. Ca doit être ça. Je continue de le regarder, jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'il ouvre à nouveau les paupières, et je regarde la table, et tout est là. Je souris, je ris un peu. Moi, je trouve ça dingue, de pouvoir faire apparaître des choses comme ça. Je suis pas habituée, je crois. Mais je trouve ça dingue, vraiment. Il me demande de me servir, alors, j'attrape un pain au chocolat, comme ça. Il en restera suffisamment pour Lisa, je pense. C'est Lisa, la priorité, mais ça va, là, ça devrait aller. Je m'amuse un peu à couper mon pain en chocolat, avec mes doigts, en lui demandant pourquoi il fait ce jeu. Parce qu'elle me semble importante, cette question, moi. Pour gagner. Lisa aussi, elle le fait pour gagner, il me semble. Et pour la notoriété. Ah. C'est pas pour ça Lisa. Vrai que ça me laisse un peu perplexe. "mais ça changera quoi, la notoriété ?" je sais pas, moi, je comprends pas trop l'intérêt, ça me semble être plutôt contraignant, la notoriété, mais je m'y connais pas trop non plus. S'il la veut, j'imagine que c'est une bonne chose. Je mets un morceau de pain dans ma bouche, lorsqu'il me retourne la question. Y'a mon cœur qui s'accélère, là, un petit peu, rien qu'un petit peu. J'aurais pas dû lui poser la question, j'aurais du réfléchir, avant. Je peux pas dire pourquoi je suis là moi. Après, ils le sauront tous, que j'ai pas ma place ici, que j'ai vraiment rien à voir avec eux, et que je comprends même pas pourquoi on peut avoir envie de faire ça, comme jeu, c'est pas drôle, ce jeu-là. C'est douloureux, mais pas drôle. "pour gagner aussi." je finis par lâcher, comme ça. Je devrais pas mentir, vraiment pas, mais si je dis la vérité, ils vont m'éliminer du jeu, comme ça. Et puis, je veux pas gagner, je m'en fiche, ça m'intéresse pas, moi, la victoire, je veux que Lisa gagne, Lisa, ce sera très bien, si elle gagne. Je suis presque sûre que ça s'voit, que je dis pas la vérité, mais je peux pas la dire, la vérité, je peux pas, je veux pas, même si c'est mal, vraiment mal. Du coup, je mange un nouveau morceau, là, pour justifier mon silence, voilà.