Trois jours. Déjà trois jours que les vingt-trois autres candidats et moi avons embarqué dans cette folle aventure. Déjà les personnalités se démarquent une à une et les affinités se créent peu à peu. Pour ma part je n'ai pas encore trouvé de bestah4ever, les autres sans doute que si, grand bien leur fasse. En revanche, je crois avoir déjà visité le bateau de fond en comble. J'ai foulé tous les recoins de l'endroit, c'est ma façon à moi de m'approprier les lieux et de m'y sentir plus à l'aise. Les entrainements sont aussi éreintants que prévus. Logique lorsque la Vieille Fée nous met au garde-à-vous dès six heures du matin le premier jour. A en croire certains visages fatigués, certains ne tiendront jamais le rythme toutes ces semaines durant. Certains se sur-estiment vraiment. Comme d'habitude depuis que je suis ici, j'erre un peu partout, changeant de lieu pour rêvasser comme de petite culotte. Ouais je change de culotte tous les quarts d'heure. Quelques personnes sont dispersées sur le pont-batterie. A quelques mètres de là j'aperçois le triton paumé. En trois pas j'arrive à sa hauteur. Loin de moi l'idée de l'aider, en revanche le charrier un peu n'est pas contre mes idées. « Pas trop dure la vie hors de l'eau ? » Je souffle un demi-rire un peu moqueur mais pas méchant. Qui eût cru qu'un grand gaillard comme lui serait aussi déstabilisé par la vie humaine. « Tu ne viens jamais en ville ? » J'arque un sourcil, étonnée par les coutumes bizarres de celui qui est censé être mon compatriote de l'océan. A croire que certains sont plus casaniers que d'autres. Moi, j'aime bouger. « Au pire si vraiment tu ne le sens pas, l'émission je veux dire, tu peux toujours repartir à la maison tu sais. » j'ajoute faussement, en lui tapotant amicalement dans le dos et pointant de l'autre main l'océan qui s'étend devant nous.

J'pense que je commence à gérer un peu la chose, oui, ça vient, la vie humaine, je m'y habitue peu à peu. Je ne comprends pas pourquoi les gens ici sont tous antipathiques, renfermés, pourquoi ils sont obligés de parler mal des uns et des autres pour exister. Prenez Reno par exemple, j'ai l'impression qu'il s'évertue à balancer des horreurs à la gueule des autres, comme si ça allait lui donner de l'importance. Moi franchement, ça m'exaspère plus qu'autre chose. Je ne me sens pas très apprécié, la plupart des candidats me trouvent débile, c'est ce que j'ai entendu tout à l'heure... En écoutant une conversation entre une blonde nunuche et une deuxième blonde nunuche. Bon à la base, je matais seulement leurs fesses sans prêter attention au sujet de leur conversation, jusqu'à ce que mon nom y soit mêlé.

J'suis partagé entre l'envie de retourner dans l'océan et maudire tous ces tocards qui pensent avoir compris quelque chose à la vie, ou rester pour tous les écraser un par un. Mon dieu, vous m'entendez ? Moi qui ne suis habituellement que tendresse et gentillesse et qui ne jure que par l'amour et la paix. J'commence à être autant blasé que tous les autres individus qui partagent ma vie sur ce navire. Vous savez ce dont j'ai besoin ? Une bonne visite dans les profondeurs de l'océan. Nager au milieu des crevettes, discuter avec des gambas, jouer à cache cache avec des oursins, manger des algues fraîches en papotant avec des anémones. LA VIE QUOI. Je m'isole sur le pont batterie pour pleurnicher sur mon triste sort. « Ils sont tous jaloux parce que t'es un poisson.. » Je me répète sans cesse depuis un quart d'heure. Soudain, mon moment intense de réflexion est interrompu par une jeune femme que je reconnais être une sirène. Je peux le sentir.  « Pas trop dure la vie hors de l'eau ? » J'hausse les épaules. « J'y arrive petit à petit merci. Fin, j'vais pas te cacher que les fonds marins me manquent. Ceci dit, j'ai pu parler avec une tortue de mer tout à l'heure, ça m'a ressourcé.  » Elle était très agréable d'ailleurs. Natalia, c'était son nom.  « Tu ne viens jamais en ville ? » Oh.    « ça s'voit tant que ça ? Mince. J'ai dû rater quelque chose. Non effectivement. Ma famille n'aime pas trop les humains...  »  Et encore, c'est pire que ça. Selon elle, il est toujours temps pour moi d'abandonner.  « Nom d'un concombre de mer, dieu sait que j'en ai envie. Mais non, ça ira, j'vais rester je crois, histoire de vous embêter encore un peu...  » J'ajoute le sourire aux lèvres.

Je n'ai pas pris longtemps à comprendre que Milo était un triton ; le garçon n'arrête pas de se plaindre qu'il a du mal à marcher avec ses nouvelles jambes et à gérer ce qu'il y a entre, en fait pas besoin de lui parler que tu connais déjà toute sa vie. Je trouve ça dommage, avec ce genre de personne on a l'impression d'avoir vite fait le tour. Mais peut-être qu'il est sympa. Ça serait cool, en tout cas, parce que pour l'instant je n'ai pas créé beaucoup d'affinités positives sur ce bateau. Je l'observe. Il est étonnamment calme, limite ça me surprend. On dirait qu'il essaie d'analyser les choses pour une fois, au lieu de sauter partout et crier. Ça repose mes oreilles et mes yeux. Peut-être parce qu'il n'y a pas grand-monde sur le pont-batterie et qu'il ne ressent pas le besoin de faire le clown de service. C'est pas plus mal. Il me raconte qu'il a fait la connaissance d'une tortue de mer, ça l'a apaisé apparemment. Grand bien lui fasse. « A moi aussi ils me manquent. Tous les soirs tant qu'on sera sur ce bateau je vais aller piquer une tête, je pense. » J'ai beau passer beaucoup de temps parmi les humains, l'océan me rappelle sans cesse à lui. C'est inévitable, c'est chez moi. Mais certains devraient vraiment sortir un peu de leur casa et découvrir le monde, je pense au jeune homme qui se trouve face à moi par exemple. Dingue, de n'avoir jamais vu autre chose que l'océan dans sa vie. Il me demande si ça se voit tant que ça. Je hausse les sourcils en regardant par terre et en souriant, l'air de dire "désolée mais oui vraiment". « Pourquoi vous aimez pas les humains ? » Je me demande s'il y a une histoire de famille derrière cette confession ou si c'est juste un ensemble de préjugés et d'interdits qui veulent ça. Je n'ai jamais eu de mal à me mêler à eux, pour ma part, même si on reconnait toujours mes origines. « Pourquoi tu t'es inscrit si ça t'embête ? » Oui, ça fait beaucoup de questions et de pourquoi. Mais faut dire qu'il m'intrigue.

Saana m'intimide un peu, c'est pourtant une sirène elle aussi, j'devrais me sentir à l'aise avec une personne de mon espèce mais non. Elle est quand même beaucoup plus humaine que moi, ou Breiv. Elle doit sûrement fréquenter ce monde depuis des années et donc y être habituée... Woow... C'est assez impressionnant, je l'envie un peu j'dois dire. Elle m'avoue qu'elle aussi ira piquer une tête tous les soirs tant qu'on sera sur le bateau. « Oh c'est coool, tu devrais m’appeler la prochaine fois on pourra y aller ensemble, explorer les fonds marins... Tout ça...   » J'lui souris. Pour l'instant je n'ai pas eu l'occasion de sympathiser avec beaucoup de monde ici, j'ai plus l'impression que les gens n'aiment pas se retrouver en ma compagnie, ce qui me fait de la peine j'dois dire. Elle est curieuse et me bombarde de questions sur ma vie. « J'sais pas si je devrais te raconter mon histoire mais t'as l'air un peu plus sympathique les autres candidats alors pourquoi pas...  » Je m'assois sur le sol en position du lotus et m'adosse contre le rebord du bateau lui faisant signe de faire de même. « Disons que mes parents ont toujours eu très peur des humains, ils m'ont élevé en me faisant croire que ce monde était hostile et que si j'y mettais un pied l'on chercherait à me voler mes écailles ou me transformer en sushi. Puis un jour, j'ai rencontré Willy, il m'a prouvé le contraire. J'ai commencé à observer le comportement des gens sur les plages et puis j'me suis découvert une passion pour les objets humains. Quand j'ai entendu parler de Golden Valor j'ai tout laissé derrière pour tenter l'aventure qui me paraissait cooool ! Enfin j'ai un peu changé d'avis maintenant ceci dit.   » Parfois je parle un peu trop. Je reprends mon souffle. « Sinon j'ai gouté un truc trop bon, du PAAAAIN ! T'en aurais pas sur toi par hasard ?   »  

Pour une fois j'suis sympa avec quelqu'un qui à la base me paraissait pas si intéressant que ça, je sais pas ce que j'ai, enfin j'ai envie de dire tant mieux. Il me propose - je ne sais pas si c'est sérieusement ou pas - de l'appeler la prochaine fois que je pars nager. Seriously ? J'ose pas lui dire que moi, quand j'vais nager, c'est justement pour être tranquille, pour avoir mon moment de solitude et de retrouvailles avec la mer, tout ça. « Sûrement. » J'ose pas le brusquer parce que malgré ses airs, il me parait quand même un peu fragile. Déjà rien que le changement d'environnement semble le perturber à mort, alors si en plus les gens se montrent brutaux avec lui. Enfin je ne vais pas non plus me transformer en Mère Theresa pour lui, hein, n'ayez crainte. Au moins, il partage mon point de vue sur les autres candidats. « On dirait qu'ils sont tous aigris là-dedans. » j'ajoute, pour en rajouter une couche. Je le suis aussi, sans doute, mais ça je ne m'en rends pas compte, je n'suis pas assez distanciée de moi-même pour le savoir. Mais on me l'a déjà fait comprendre. Je m'en fous en fait. Alors je l'écoute s'ouvrir un peu à moi et me raconter sa vie. C'est fou ce que les gens peuvent être fermés d'esprit et plein de préjugés, comme les parents de Milo, justement, par exemple. « Tu diras à tes parents de sortir de l'océan et d'aller découvrir un peu le monde qui les entoure, ils verront que c'est pas si terrible que ça en a l'air, et qu'ça peut même être super chouette, parfois. » Je souris à demi. C'est pas des paroles en l'air c'que je dis. « T'en as fait toi-même l'expérience. » je souligne, quand il me raconte l'anecdote de la plage. Il me parait quand même un peu simple d'esprit, d'avoir cru que l'aventure Golden Valor serait un voyage tout rose peuplé de bisounours brandissant des pancartes free hugs. Ça reste un jeu, et il n'y aura qu'un gagnant. Je sais pas si Milo l'a bien intégré. Je hausse les épaules, sans paraitre moralisatrice non plus. Puis voilà qu'il change complètement de sujet, à croire que ce mec a la mémoire d'un poisson rouge, autrement dit trois secondes, et qu'il en oublie qu'on était en train d'avoir une discussion assez sérieuse dix secondes plus tôt. « J'ai pas de pain sur moi, non. » Je le regarde de travers. « C'est une urgence ? »

« Oh, j'pense pas les revoir, tu sais. Maintenant que je suis venu vivre dans ce monde, parmi les humains et que je participe à cette émission... J'pense qu'ils vont me déshériter. Tant pis si notre petite grotte en dessous de la barrière de corail ne me revient pas, je trouverai bien un endroit ou habiter sur terre, avec vue sur la mer.  » Ouais, ce serait l'idéal, je pourrais continuer à vivre parmi les humains tout en rendant visite à mes amis poissons, le rêeeeve. Bon, j'ai légèrement l'impression que Saana aussi n'est pas du genre sympathique, peut-être que son binôme est en train de déteindre sur elle qui sait. J'arrive facilement à cerner les gens habituellement, enfin surtout les coquillages, mais mon petit doigt me dit qu'elle juge un peu trop vite les personnes qu'elle rencontre. Elle me répond sèchement, qu'elle n'a pas de pain sur elle. Elle me regarde de travers et ajoute, « C'est une urgence ? » Un peu ouais. « Heeey !  » Je grogne un peu. « Pas la peine de le prendre comme ça, c'était simplement une question comme une autre. Faut s'relaxer un peu, tout le monde à l'air constamment constipé sur ce bateau. » Je fronce les sourcils et lui renvoie le même regard puis lève les yeux au ciel. On ne va pas s'attarder sur cet incident, la joie de vivre et la bonne humeur reprennent toujours le dessus chez moi. « Et toi alors ? T'as l'air d'avoir vachement d'expérience avec ce monde, tu y vis depuis combien de temps ? En tout cas j'te tire mon chapeau, tu te fondrais presque dans la masse... T'as pas des conseils à me donner par hasard ?  »

Finalement la conversation prend un autre tournant, je ne suis plus si sûre qu'il m'aime bien, ni plus trop certaine qu'il ait bien pris ma remarque sur ses parents. Pourtant, je n'ai pas employé un ton désobligeant ni moralisateur, je disais juste ce que je pense. Mais il reprend sa bonne humeur aussitôt. C'est dommage, que les parents de Milo ne veuillent plus le voir. C'est comme ces gays qui font leur coming-out et qui se font virer de chez eux, je comprendrai jamais. « Tu vis (vivais ?) dans quel coin ? » je lui demande du coup. « Si ça se trouve on était voisins sans même le savoir. » Quoi que, je pense que je l'aurais su, je l'aurais remarqué, si Milo était mon voisin de pallier. Si discret qu'il est. J'essaie de sourire un peu, j'en ai marre que tout le monde pense que je suis la méchante du casting. J'aime râler mais j'suis pas méchante, non, faut juste pas m'emmerder, mais j'suis pas méchante. Il fait remarquer que tout le monde a l'air constipé sur ce navire. Moi, j'aurais plutôt dit blasé. Mais coincé me parait être un bon adjectif aussi. Au moins, il convient autant aux timides qu'aux aigris. Ah, quelle joie de vivre en ce monde. Heureusement que le triton est là, finalement. Limite je le remercierais d'être naïf et extraverti comme ça maintenant, c'est la meilleure. « Ouais, t'as raison. » je fais, d'un ton peu convaincu. Puis, je me redresse, aborde mon plus beau sourire et d'un ton enjoué je dis « j'ai envie de bouger. » D'aller autre part, je sais pas où. Mais j'veux bouger. « Non je jongle tout simplement entre la terre et l'océan, mais je n'y vis pas à cent pour cent, je pourrais pas. J'aime trop la mer, t'es fou. Mais c'est gentil. Des conseils.. Je t'en donnerais au jour le jour, si tu veux. » Parce que là j'vois pas quel conseil tirer de mon chapeau en un claquement de doigt. « Tire un peu plus souvent la gueule, ça fait plus humain. » Vraiment.. « Comment tu t'es débrouillé pour savoir comment te comporter alors que t'avais jamais mis une écaille hors de l'eau ? » Ça m'impressionne, même s'il ne s'en sort pas super super bien.

Finalement je ne la trouve plus si antipathique que ça, Saana. C'est même tout le contraire. Ouais je suis une girouette, je change d'avis comme de boxer. J'pense qu'on est sur la même longueur d'onde vous voyez, quelque part. Même si elle a passé toute sa vie parmi les humains elle reste une sirène, elle seule peut comprendre à quel point l'appel de l'océan peut-être important. J'lui demande timidement si elle peut me donner des conseils, elle a quand même beaucoup d'expérience avec le monde des humains. J'suppose qu'elle n'a pas tout appris en un jour, comment se comporter, la civilisation tout ça, elle devait sûrement être aussi paumée que moi lorsqu'elle est arrivée. « D'accord, c'est noté, à partir d'aukourd'hui j'vais tenter de tirer un peu plus la tronche, d'ici une semaine j'aurais l'air aussi coincé que tout le reste du bateau !  » Je souris. Avant d'ajouter. « A la base, je nageais tranquillement dans l'ocean avec mon ami Willy lorsqu'on est venu m'annoncer que j'étais pris dans l'jeu. J'ai été mis au courant une bonne semaine avant vous. La production m'a hébergé et m'a fait suivre des cours pour que j'apprenne les bases de la vie en société, comment m'habiller, me comporter en public, utiliser une fourchette et un couteau, les toilettes...  » Je crois d'ailleurs qu'une semaine ce n'était carrément pas suffisant, pour l'instant je suis loin de me fondre dans la masse, j'ai toujours l'air paumé parmi tous ces humains. Aaaah que mon récif me manque.

Il a zappé ma question sur notre éventuel voisinnage, arf il est tellement perché que je lui pardonne, c'est pas grave. Puis avec mon partenaire maintenant j'ai l'habitude qu'on ne réponde plus à mes questions. Je fais quelques pas, j'ai des fourmis dans mes jambes humaines, c'est chiant, ça me le fait souvent quand je suis sous cette forme. Milo qui me demande des conseils sur la vie humaine.. à vrai dire je ne pense réellement pas être la mieux placée pour ça, étant donné que même lorsque je vis sur la terre ferme, je suis la plupart du temps seule - et très bien comme ça, d'ailleurs. Alors, je peux toujours lui donner des conseils sur l'attitude humaine, mais sur la vie en société, il faudra qu'il se tourne vers quelqu'un d'autre. Râler et avoir l'air grincheux, est mon premier conseil. C'est vrai, c'est fondamental. Tout le monde dans les rues du monde magique, surtout de la Capitale, semble pressé, stressé, énervé, à croire que tout ça a déteint sur moi peu à peu, même si mon caractère n'aide pas. Milo prend note de mon conseil ironique. C'est bizarre, mais je l'imagine très mal tirer la tronche, lui qui est toujours joyeux et enthousiaste. « Il faudrait plus de Milo dans le monde, moi j'dis. » Ça faciliterait peut-être la vie. Après il n'a pas non plus l'air d'avoir un cerveau archi développé, sans vouloir être méchante, mais on dit toujours que moins on est intelligent, moins on se rend compte de la dure réalité de la vie, et on apprécie du coup mieux cette dernière. Ça veut dire que les candidats qui râlent h24 comme moi sont plus fute-fute que les autres ? Bon j'arrête de partir dans mes questions existencielles, ça vaut mieux comme ça. Je retiens juste ça : « moi, à l'inverse, faudrait que j'apprenne à plus voir la vie du bon côté. Comme toi. » Il m'explique qu'il a pris des cours de bonne conduite. « Tu t'en sors plutôt bien. Au fait, comment t'as fait pour connaître Golden Valor si t'avais jamais mis une nageoire chez les humains avant ? » Non parce que la télé sous l'eau, ça n'existe pas.