Je m’dis que si j’arrive à dormir c’est gagné. Je n’penserais plus au roulis incessant de ce foutu navire, à mon ventre au supplice qui me reproche d’avoir ingurgité ce sandwich aux crudités, à l’angoisse d’un trou dans la coque à travers lequel l’eau s’insinuerait pour venir me noyer, à l’espace confiné ou aux éternuements dont je suis la victime à cause de ce putain de loup-garou qui s’est mal lavé. Et parce que tourner en rond toute la nuit ne va pas m’aider, je me traîne dans le dortoir des mecs en rasant les murs pour découvrir une cabine minuscule qui me file déjà la nausée. Oh merde … Sérieusement, ils cherchent à me tuer c’est ça ? Je mériterais une putain de médaille rien que pour cette épreuve, des dragmes en plus dans ma bourse ou même une place en finale. Je prends soin de laisser la porte entrouverte pour éviter l’impression d’étouffement, laissant retomber mon pantalon et ma chemise qui pue le champagne sur le sol de la piaule sans me préoccuper du fait qu’un autre candidat puisse la piétiner. Dans l’état actuel des choses, j’en n’ai rien à branler. De toute façon je m’habille jamais avec ces fringues de clown endimanché, je suis plutôt du genre débardeur/casquette/jean troué. Je ne me soucie pas davantage du fait que je porte le calbute pacman franchement pas très sexy que m’a offert mon neveu pour lui faire plaisir, parce que 1/ rien ne pourra détrôner le boxer hello kitty du type de la première saison, 2/ j’ai envie de gerber et 3/ j’arrache les doigts du premier qui touche ma couette. Et croyez-le ou non, affalé sur la planche de bois minuscule qui me sert de lit, je commence à fermer doucement les yeux. Et c’est à la frontière entre le royaume des vivants et celui de Morphée que je me sens brutalement écrasé par une chose aux os pointus qui me prend visiblement pour un matelas confortable. BON DIEU DE MERDE. Il ne m’en faut pas plus pour laisser échapper un grognement digne d’un homme des cavernes en me redressant. « Putain dégage. » Je marmonne en essayant de repousser l’intrus sans ménagement, avant de m'éloigner pour me coller contre le mur comme une bête effrayée. J’étais à deux doigts, à deux doigts de m’endormir paisiblement et d’oublier ce cauchemar … MAIS NON, il a fallu qu’un pauvre crétin vienne me chatouiller sous la couette. Et il pue pas le satyre en plus, alors je trouve ça franchement bizarre. « Si t’as envie de t’faire baiser va voir ailleurs. » Et je ramène mes jambes vers moi pour le pousser avec mes pieds en prenant appui contre le mur. « Putain de préjugés de merde. » Je continue de grogner comme s’il était évident qu’il était venu là pour ça parce qu'il me prend pour queutard qui joue de la flûte, sans m’imaginer une seconde que le type s’est tout bêtement trompé de pieu.  

T'entends alors enfin la voix du mec qu'était sous toi, et tu te poussais pas. T'en avais pas vraiment eu le temps, il te poussait déjà avec ses pieds, et tu résistais comme tu pouvais. Putain c'était un chaud lui. T'avais pas fait exprès, merde. C'était qui d’abord ? Et sans gêne, tu soulèves un peu la couette, voir de qui il s'agit. Ah mais c'était l'autre Reno là, et tu comprenais mieux pourquoi il était de mauvais poil. T'avais pas pu t'empêcher de sourire quant à sa gueule de merde une fois son entrée sur le bateau, la gueule du mec qu'avait le mal de mer. Il avait vraiment pas envie de partager son lit hein, si bien que tu te retrouvas finalement le cul par-terre, sur le plancher humide. Olah bijou. Calme-toi putain. Tu te relèves et te masse douloureusement les fesses. Comme si t'avais envie de baiser. Nan les satyres c'était pas ton trip, et ouais, t'avais des préjugés de merde à leur égard. Mais les préjugés étaient fondés sur des vérités. Puis c'est lui qui parlait d'érection sur le plateau, pas toi. De plus, sérieux, tu devais être le mec avec une activité sexuelle inférieure à celle de Steve Smith. Bon tu sais pas où il est mon pieu ? Ouais parce que t'étais crevé et tu risquais d'être aussi désagréable que lui. T'avais rien avalé, et le p'tit rosé pamplemousse et substance liquide cheloue pailletée te poquait la tête. Tu te rassoies finalement sur son lit, attendant qu'il daigne te répondre. T'façon tu le laisserais pas dormir tant qu'il t'aurait pas indiqué où était ton lit, s'il le savait.

Voilà, c’est ce que j’appelle du travail vite fait bien fait. Des petits coups de pied dans le cul et l’intrus atterrit illico sur le sol de la piaule. Je pousse un soupir de soulagement en constatant que mon périmètre de sécurité est de nouveau bien en place, me décollant du mur pour rependre ma position initiale. Sauf que le candidat n’a pas l’air décidé à me foutre la paix aussi facilement, ouvrant son clapet pour protester. « C’est moi que t’appelles bijou ? » Ce type est un grand malade. Ce type veut mourir. « Évite. » Je le menace en pointant mon doigt dans sa direction. Et il se rassoit carrément sur MON pieu, m’obligeant à retrouver ma place près du bois froid. « Pas là. » Je marmonne sèchement en attrapant le coussin sur lequel il s’est assis pour tenter de le récupérer. Sauf que je me retrouve le nez planté près de son épaule, de son parfum ou dieu sait quoi, et ce n’est pas une situation des plus confortables. Aussi je tire plus violemment que précédemment, le coussin se décousant progressivement pour répandre une pluie de plumes sur le lit. Bordel. « MAIS C’EST PAS VRAI, TU PEUX PAS FAIRE GAFFE ? » Oui je sais, c’est un peu de ma faute. Mais dans ma tête, c’est totalement de la sienne. J’entends quelques ‘chut’ de protestation émanant des lits adjacents, mais je n’y prête pas la moindre attention. Parce qu’à cause de ce crétin je suis en train de bouffer une plume que je recrache avec classe, et que mon coussin est désormais inutilisable. « File-moi le tien. » J’ordonne comme si j’étais le roi, plus excédé que jamais.

Bijou. Vieille habitude, c'était pas du tout déplacé. Nan mais Auxence avait une activité sexuelle similaire de Steve dans American Dad. Pour vous donner une idée. Rassure-toi, c'était pas affectif, loin de là. En fait tu souriais, parce que tu voyais comme il se retenait. T'étais pas con. Mais sadique, et s'il se montrait un peu trop chiant, tu saurais à peu près comment l'en dissuader. Il tirait frénétiquement sur l'oreiller coincé sous tes fesses et t'eus à peine le temps de soulever la fesse droite que l'objet de sa convoitise libéra des milliers de plumes dans un bruit de craquement. Nan mais malin le mec. Bra-vo. Et il gueulait, on aurait vraiment dit une meuf qui avait ses règles tellement il s'emportait pour un rien le pauvre. Alors tu faisais un mouvement de mains vers le bas, du genre "doucement". Nan sérieux, elle était où toute la testostérone du satyre à la gueule balafrée là ? Arrête de gueuler, j'suis pas sourd. Et sois pas agressif. Haha t'étais insupportable, il allait te détester. Comme s'il avait besoin que tu lui dises ce qu'il devait faire, alors que t'avais squatté, involontairement certes, son lit. Tu recrachas une plume avec beaucoup de grâce et d'élégance, et tu regardes le reste de son oreiller s'éparpiller sur le lit. Mais contrairement à ce qu'il pouvait penser, tu lui passerais ton oreiller, tu te fichais de dormir sans oreiller parce que lui, et c'était bel et bien lui, avait déchiré le sien. Quelques uns grommelaient après cette gueulante, et tu chuchotes : Bah vas-y, aide-moi à trouver mon pieu et je te file mon oreiller. Toi ça te semblait correct, mais tu le sentais venir gros comme une maison qu'il protesterait simplement par rancune. Tu te lèves alors, attendant que Reno bouge.

Non mais je rêve, ce type est un emmerdeur de première catégorie –oui, c’est moi qui dit ça-. Il me donne des ordres, carrément, sans se soucier du fait que mes hurlements son parfaitement justifiés dans la mesure où il vient 1/ de me réveiller, 2/ de m’écraser, 3/ d’éventrer mon coussin. Et non, ce ne sont pas des propositions alternatives mais COMPLEMENTAIRES. Je crois que je préfère encore le chien galeux prétentieux à ce petit merdeux sans gêne, parce qu’il est évident que le premier me collerait un poing dans la gueule là où le second se contente de me traiter comme une bonne femme enceinte aux hormones détraquées. Il n’y a rien de pire que de s’énerver contre un type qui conserve son calme, c’est parfaitement agaçant. Et puis pourquoi il insiste autant pour que je l’aide à trouver son pieu, honnêtement vous avouerez que c’est louche. Genre le mec a besoin qu’on lui tienne la main alors qu’il est capable de transformer son doigt en ver luisant, ça n’a franchement AUCUN sens.  « C’est quoi ton problème, t’as peur du noir ? » Je lui demande sèchement tandis qu’il libère ENFIN mon matelas, me permettant de respirer un peu. Mes muscles se décontractent tandis que je lâche un soupir à m’en fendre l’âme, rejoignant le sol à mon tour parce que si je ne l’aide pas il est capable de me casser les couilles toute la nuit. « Ramène-toi clochette. » J’attrape un barreau de l’échelle pour grimper jusqu’au lit placé au-dessus du mien sur lequel je pose mes genoux, attrapant les affaires éparpillées sur le matelas par un autre candidat pour les jeter sur le fé en contrebas –de façon parfaitement involontaire, bien entendu-. Puis je fais claquer mes mains comme un travailleur content de son œuvre : et voilà, place libérée. « J'ai trouvé. » J'annonce d'un ton faussement réjoui. C’est bien connu que les absents ont toujours tort, je n’allais pas non plus chercher un lit vide pour Monsieur. Et encore, qu’il s’estime heureux que je n’aie pas attrapé la cheville d’un type endormi pour le tirer de son pieu, parce que j’ai franchement hésité. « Tu veux que je te lise une histoire ? » J'ironise en esquissant un sourire débile du genre 'connard'.

Tu l'énerves, tu le vois, il fulmine. Et tu te contentais de garder ton calme, t'façon t'avais jamais haussé la voix sur quelqu'un, jamais. T'étais réputé, apprécié ou détesté pour ton sang froid. Tout dépendait des gens et des situations. Peur du noir ouais c'est exactement ça. Ton ton se faisait ironique. Oufti, comment t'étais rancunier là. Ca ne te ressemblait pas. Mais fallait dire que ce mec était insupportable, et que t'étais fatigué. Tu le regardes se lever du lit, hausses un sourcil. Nan mais il était pas con à ce point, dîtes qu'il ne l'est pas à ce point. Que ce soit ce lit ou celui de Reno, c'était en aucun cas le tien, et tu te ferais virer à la première occasion, comme maintenant. Alors tu finirais par voguer sur le bateau, de nuit. Nan, pas question, tu voulais dormir. Tu le suis sur l'échelle donc, puis le pousses sans gêne, attrapant finalement le rebord du lit pour te hisser à la force de tes bras vraiment pas musclés parce qu'il était trop gros, et t'assoies agilement sur le matelas. Tu le regardes de haut, d'un air faussement amusé. Blablabla, il déblatérait inutilement foule de mots à la seconde, et à sa question tu pris le coussin que tu lui devais, donc pas le tien en l’occurrence, et tu lui fous dans la tronche. Mange biatch. J't'écoute. Que tu lâches plus sérieux que jamais.

Oh alors c’est ça son problème à ce pauvre garçon, il n’a pas dépassé le stade des enfants de trois ans et il se pisse toujours dans le caleçon quand il fait noir. Du coup je me résous à lui dégager un pieu, non pas par bonté d’âme mais plus pour qu’il me lâche la grappe. Et ce connard ne me remercie même pas. « De rien. » Sérieusement, je trouve ça hallucinant. Il me réveille au milieu de la nuit sans dire pardon, et il s’installe sur un matelas que je lui offre sans dire merci. A croire que ses parents étaient des sauvages dénués de savoir-vivre habitant une grotte au fin fond de la montagne. Il me pousse même, m'arrachant un grognement, et attends sagement son histoire. Tu peux toujours attendre ducon. « Non mais tu m’as pris pour le père castooo … » Merde. Je m’écarte légèrement de mon perchoir en décrochant l’une de mes mains pour tenter de réceptionner le coussin qui atterrit sur mon visage, bien incapable de me retenir lorsque mon pied glisse sur le barreau de l’échelle, et je m’écrase comme une merde deux étages plus bas. Etant donné l’espace gigantesque –ironie inside- entre les couchettes la chute est plus longue et surtout plus douloureuse que prévue, mon dos heurtant l’un des lits avant de toucher le plancher qui craque sous mon poids. Putain. Putain. Putain. Je papillonne des yeux l’espace de quelques secondes, le souffle coupé par le choc, mes doigts se resserrant sur ce foutu coussin. Je vais le tuer. Fée clochette va y passer. Et je reste là, à faire le mort, en espérant invoquer son esprit altruiste et le faire flipper un peu. Il va se bouger le cul pour vérifier qu’il ne vient pas de me buter, pas vrai ?