C’était apaisant. Les vagues tout contre la coque du bateau, s’écrasant en fracas et répandant leur écume blanche. Cela lui rappelait des souvenirs de parties de touche-le-bateau avec Pompom le poisson clown et quelques autres bestioles marines. Un jeu assez drôle. Du moins l’était-il avant que Louisa la murène finisse dans la pale d’un bateau. Aïe, voilà une chose bien gore pour clore un jeu où pourtant Breiv était sur le point de gagner. Elle ne s’en était pas remise pendant quelques semaines. Je veux dire pour Louisa pas pour la victoire. Bref, toujours étant qu’ils n’avaient plus tenté de touche-le-bateau depuis – enfin sauf quelques petits kamikazes. Des fous. Hum. Le vent se faisait de plus en plus important et, avec ça, il devenait de plus en plus froid. Breiv, qui n’était pas habituée à ce vent terrestre, frissonnait déjà et n’était pas loin de grelottait. Elle pensa qu’il serait peut-être temps d’aller chercher un gilet dans sa valise – même si elle n’aimait guère toutes ces couches de vêtements. Elle avait amorcé le mouvement pour se retourner quand elle se cogna contre… un torse, masculin. MASCULIN. Oh bordel. Contact. Contact physiiiiique. Non. Il fallait qu’elle se recule. Merde la proue. Bon, on se calme. Du cal-meuuuh. On se faufile sur le côté. OUAH PAS POSSIBLE. C’ETAIT QUOI CE BATEAU DE MERDE OU ON ETAIT OBLIGE DE SUBIR DES ATOUCHEMENTS SEXUELS ?! Ok, c’était la panique. Et elle commençait à en avoir sérieusement marre de paniquer. Elle n’osait même pas lever les yeux pour regarder contre qui elle était collée. Elle demanda seulement d’une voix penaude : « Tu… Je… Est-ce que tu veux bien te reculer ? je… ne suis pas à mon aise. » S’il ne l’avait pas remarqué c’est qu’il devait être aveugle : son cœur battait la chamade et elle était devenue rouge comme une écrevisse.

Putain de cœur qui battait trop fort. Foutues joues qui rosissaient trop vite, trop fort. Trop rouge. Et puis finalement, pouvoir enfin faire un mouvement, s’éloigner de tout ça, de tout ce qui fait peur. Inspiration. Expiration. Concentration. Trop de mots en –ion et trop de craintes, trop de conneries. Pourquoi fallait-il que son cerveau s’emballe ? Qu’il se démantèle dès qu’on se posait trop près d’elle, dès qu’on parlait ou regardait sa poitrine, dès qu’on discutait de choses obscène – ou moins obscènes ? Elle ne le savait pas. Mais cela la gênait. Incroyablement. Sans qu’elle ne puisse rien n’y faire. Et maintenant que le garçon s’était éloigné de sa poitrine, de son corps tremblant, elle se sentait mieux et, petit à petit, revoyait clair. Elle sentait à nouveau le vent chargé de sel. Elle pouvait lever les yeux vers le candidat en question qui lui demandait si elle allait mieux. « Oui. Merci. » Fut tout ce qu’elle réussit à aligner. Allez hop, un sourire et on panse tout ça. Allez hop, un sourire, oublie ce qui vient de se passer, j’t’en supplie. La gêne. Cette nouvelle gêne. Celle qui arrive quand on se sent ridicule. Breiv tentait alors de se concentrer sur les dires du jeune homme, ainsi nommé Johnny. Bien, un maladroit. Un garçon qui savait pas où il mettait ses pieds. Voilà qui était adorable. « Moi c’est Breiv. J’ai aussi du mal à tenir sur mes deux jambes vu que… en fait, je suis une sirène qui n’a pas souvent vécu en milieu terrestre et donc je ne suis pas habituée à ces grandes guiboles. » Le sourire de la jeune fille se faisait plus naturel. Elle avait toujours un peu froid, elle frissonnait, mais avait envie de faire connaissance avec ce candidat qui – et c’était un des seuls – ne lui faisait pas foncièrement peur dès la première entrevue. « Alors… Tu la sens comment l’aventure ? »

C’était bien de l’admiration qu’elle lisait dans sa voix ? Ouah, ce garçon était tout choupinou, à en juger par sa manière de lui parler. Voilà enfin une personne sympathique – et pas trop timbrée, comme pouvait l’être par exemple d’adorable Milo – au milieu de tous ces malades, psychopathes et autres fous présents sur le bateau. Breiv était presque surprise de rencontrer quelqu’un capable de faire la conversation d’une manière tout à fait nor-ma-le. Quoiqu’il parlait tout de même beaucoup mais cela ne gênait guère Breiv qui, ainsi, n’avait pas à parler. « Hé bien, voilà, c’est chose faite à présent. » dit-elle, pourtant surprise d’entendre que le garçon n’avait jamais vu de sirène de sa vie. Elle lui sourit. Il semblait fort enthousiaste concernant l’aventure et cela redonnait du baume au cœur de Breiv, elle qui se sentait presque découragée dès les premiers jours d’aventure. Il parlait, parlait, parlait et le sourire de la sirène s’agrandissait. Monsieur maladroit était réellement choupinou. Mais cela allait se gâter puis qu’à présent il lui demandait de donner son propre avis concernant l’aventure. « Je… Je ne sais pas. J’ai été un peu découragée par ces premiers jours. Faut dire qu’on est affublé d’une belle bande de psychopathes, des malades en tout genre. J’espère qu’ils finiront par calmer leur agressivité quotidienne par-parce que sinon… je vais avoir beau… beaucoup de mal. » Et voilà qu’elle se remettait à bégayer. Elle détestait cela. « Quant au bateau, moi ça me va. Je suis plus proche de l’eau comme ça, et donc je me sens assez bien. J’espère qu’il y aura un point d’eau à l’endroit où le bateau va nous déposer. » Sinon, l’aventure serait dure à vivre. « Mais bon, je… je ne sais pas vraiment si le prochain lieu sera mieux qu’ici, comme tu sembles le penser. Il parait que la Fée est un peu… sadique. Merlin sait où elle va nous envoyer. » Breuh. Elle n’avait même pas envie d’imaginer tous les endroits glauques où elle pourrait les obliger à dormir.

La Vieille Fée une sadique ? C’était de connaissance universelle – à en croire par le nombre de personnes qui lisent les journaux ou regardent la télévision, il n’y avait pas photo. On parlait d’une Vieille folle, d’un dragon, mais après tout, le jeu était comme cela et elle avait également un rôle à tenir. Quant aux autres candidats – dits spéciaux par Johnny – il était certain qu’eux aussi jouaient un rôle. La production ne les avait pas choisis par hasard et chacun mettait le paquet à en juger par leur manière de se comporter. Soudain, Breiv se demanda quel rôle elle-même jouait, un rôle décidé et mis en lumière par les producteurs eux-mêmes. Cela la turlupinait, mais elle préféra se concentrer à nouveau sur les dires de Johnny qui paraissait très enclin à faire la conversation pendant un bon bout de temps. « Je ne sais pas si on peut dire que toutes les créatures sont… spéciales. Mais en tout cas, chacun semble bien jouer son rôle. » Elle ne savait pas si le garçon comprendrait où elle voulait en venir, mais elle n’avait guère envie de s’étendre plus sur la chose. Johnny avait un côté… tout gentil. Du genre l’adorable personnage près à faire toutes les concessions et qui aimait tout le monde. Breiv se demanda si elle-même n’était pas un peu comme ceci – même s’il était certain qu’elle n’aimait pas tout le monde, il était vrai qu’elle se laissait tout de même souvent piétiner par les autres. Elle lui sourit quand il assura qu’il croisait les doigts pour le point d’eau. « C’est gentil, dis donc » Elle rougissait presque, tiens. Il fallait se reprendre. Il lui posait une question concernant sa vie sous l’eau. Petit pincement de cœur. « Par Merlin, ça me maaaanque. » Voilà, il fallait que ça sorte. «C’est réellement top. C’est pourquoi j’ai du mal à m’habituer à la vie en milieu terrestre. Les gens sont tellement… différents sous l’eau. J’parle des mentalités hein, pas des nageoires. Ici il semblerait que cela soit agression sur agression, c’est épuisant. » Il lui manquait en fait ce doux calme marin et ces gens sympathiques et énergiques.