L’obscurité t’entoure. Oppressante, suintant sur ta peau. Peuplées de milliers de montres épais, hideux, et certainement d’autant plus féroces. Ils perçoivent ta très sexy présence. Ils veulent te manger. Tu le sais. Tu le sens. Tu n’as jamais vraiment compris à quoi servait les livres, mais leur aspect te suffisait à comprendre qu’ils ne te voulaient pas du bien. A force, tu avais appris à t’en méfier. A t’écarter de leur route. Persuadée que tu étais qu’ils s’en prendraient à tes extensions si durement acquises à la moindre faiblesse de ta stupidité.

Tu détestes le noir. C’est un truc que tu peux pas voir. Où on peut pas te voir.

Et, ce que tu détestes, tu en as peur.

Blottie dans un coin de la bibliothèque, temple sataniste où tu soupçonnais se produire des rites anti-beauté nécessitant sacrifice de fard à joue et de crème de jour, roulée en boule sur le sol, des larmes relativement décoratives luisant sur tes pommettes, tu tremblotes.

Tu n’as aucune idée de où tu es. Et encore moins de comment tu y es arrivée.

Tout ce que tu sais, c’est que tu veux en sortir et ne plus jamais quitter la lumière. Mais que tu n’as strictement aucune idée de comment y arriver.

Tu tournes la tête, ne vois que des pages et des pages. De la pointe de tes orteils pédicurés jusqu’aux racines ré-oxygénées de tes cheveux, en passant par la simple petite culotte que tu portais, et tes principaux arguments marketting moulés dedans, et ton soutien-gorge, tu frissonnes vivement. A la limite de la convulsion, tu gémis un petit halètement qui aurait pu paraître érotique si tu avais cessé de t’obstiner dans ton trémolo de victime de viol.

Tu vois un truc qui bouge dans les ténèbres. Un truc un peu plus gros que les poussières et la quantité astronomique d’acarien qui traînait dans ce lieu, visiblement délesté par la femme de ménage surexploitée du château.

Tu couines de peur.

Tes yeux détaillent une silhouette dans le noir. Tu tentes de fuir. Tu es accroupie. Ton geste de survie se résume donc à un petit roulé-boulé vaguement ridicule.

-Vous êtes quoi ?

Ta voix est enfantine au possible.

-Genre, vous allez me manger ?

Nouveau frisson.

-Vous savez, je sais, je suis genre trop bonne, mais pas dans ce sens-là, hein…

Ton cœur te parait minuscule dans l’immensité obscure qui t’a avalée. Minuscule et beaucoup plus rapide qu’à l’habitude. En overdose d’adrénaline, il se contracte douloureusement dans ta poitrine, comme secoué de spasmes. De sentiment ?

Non. Oui. Sans opinion.

Tu l’observes. Lui. Personne d’autre. Car il n’y a personne. Sauf lui. Enfin. Tu supposes. Tu ne vois pas. C’est un peu le principe du noir. Tu ne vois pas, donc tu ne peux pas savoir. De toute façon, même si tu pouvais savoir, ce serait savoir quoi ? Savoir si c’est un mec ? Une fille ? Un lama ? C’est un mec. Tu le sais. C’est génétique. Tu as été programmée pour la reproduction et détraquée par le sexe. Tu as muté. Autant que ça te serve à quelque chose.

Mais ça a l’air de s’arrêter là. Tu sais qu’un pénis se balance entre ses cuisses, point barre. Est-ce que tu sais qui c’est ? Tu connais déjà la réponse à la question. Mais tu l’as oubliée. Tu es tellement habituée à tout ignorer sur tout que tu ne prends plus la peine d’interroger tes connaissances. Ton absence de compétences cérébrales est un fait admis de tous, toi, la première. Inutile de croire au miracle.

Soudain, tu sens son bras passer autour de ta taille. Tu ne tentes pas de te dégager, tu es déjà debout. Peut-être un peu trop près de lui. Peut-être pas.

Il s’écarte. Tu ne sais pas si tu le veux. Tu sais simplement ce que tu ne veux pas. Et ce que tu ne veux pas, c’est ne plus le toucher.

Tu poses ta main sur son bras, jauges son biceps avec l’assurance de l’expérience, te rapproches, intriguée.

Il ricane. Tu frissonnes. Ca se prolonge. Tu es contente. Tu aimes bien les frissons. Dans ton esprit, c’est un peur les orgasmes de ta peau. Et celui-ci était particulièrement violent.

« Puis-je mettre un nom sur cette jolie paire de... »

-Fesses ?, fais-tu, presque habituée.

Tu réduis considérablement la distance qui sépare vos deux bassins.

Il ne t’a toujours pas répondu. Tu t’en fous un peu.

« Prunelles ? »

Tu fronces tes sourcils clairs.

-C’est quoi, ça ? Genre, prunelle, c’est des prunes ? Des fruits ? Je suis pas un fruit.

Ta voix est presque chargée de larmes à ta dernière affirmation, comme bouleversée qu’on puisse te croire végétale.

-Mais… merci… enfin… je suppose…

Tu penches la tête sur le côté.

-Moi, chui’ Absinthe. Et… toi ?

Ta voix diminue doucement, ne devient plus qu’un roucoulement. Tu ne perçois pas bien ses traits dans l’obscurité. Tu as encore peur. Moins. Mais quand même.

« Ça t'arrive souvent de te promener dans cette tenue ? Pas que ça me dérange, loin de là. »

Tu te rappelles soudain de tes pouvoirs.

Le bout de tes doigts s’allume, émince en petites lamelles les ténèbres dans un craquement muet. La lueur vacille. Tu passes un pouce sur ta lèvre inférieure. La lumière semble s’y déposer. Ta bouche palpite, veilleuse tamisée et organique.

Tu sais ménager ton p’tit effet.

Maintenant tu y vois. Et ce n’est absolument pas pour te déplaire.

-Oui. Les vêtements, c’est genre très surfait, Darling.

Tu hoches la tête avec certitude, passes un doigt dont la luminescence diminue doucement le long de son col noir.

-Ca n’a pas l’air d’être ton avis…

L’index descend avec insolence de son torse.

-… Tu es beaucoup trop couvert…

Il s’arrête et hésite à sa taille.

-… pour une heure si tardive…