Deux jours à peine passé sur ce foutu bateau, et j’ai l’impression que ça fait déjà un mois. J’ai fait l’effort de me traîner jusqu’aux cabines des filles pour chercher la bridée sous le regard réprobateur de certaines candidates qui s’imaginent que je me livre à un repérage visant à définir mes prochaines proies, mais elle a disparu. Je pousse alors un grognement en me dirigeant vers le centre du bateau, et je me dis que c’est peut-être une bonne chose étant donné le déroulement de notre dernière rencontre. Parce qu’elle va forcément finir par me rendre complètement barge, et je crois que je pourrais bien la frapper. Si on était sur la terre ferme, y’a longtemps que j’aurais trouvé un truc à dire pour l’empêcher de m’approcher avec son sourire à la con et ses blagues aussi foireuses que dangereuses, mais ici je ne maîtrise pas grand-chose. Et je déteste ça. Parce que je suis bien obligé de me coller aux autres candidats en maugréant dans ma barbe, histoire d’éviter de tomber à la flotte sans que personne ne s’en rende compte. Sauf que voilà, j’en ai franchement ras le bol de devoir me mêler à la foule, de pieuter dans une pièce qui tangue, de sentir l’œil vicieux de la mémé posé sur moi à travers les caméras qui n’ont sans doute rien loupé de mon dégobillage très classe dans les chiottes dès la première nuit. Bordel. Mais aujourd’hui je suis bien décidé à me démerder tout seul, me dirigeant d’un pas mal assuré vers le premier mât qui me tombe sous la main. Je m’accroche à lui comme Pénélope qui retrouve Ulysse après vingt ans d’absence, écrasant ma joue contre le bois. Je murmure même un « Merci mon dieu » à l’adresse du mât, me laissant glisser sur le sol. Là, impossible que l’expérience se renouvelle, que la mer m’engloutisse, que je me retrouve à battre des bras comme un moulin, que je boive la tasse. Cette putain d’eau ne m’aura pas. J’attrape un morceau de corde qui traîne à mes pieds sans me soucier du fait que j'ignore totalement à quoi il est rattaché, le passant autour du mât avant de le nouer sur ma taille. Voilà, je suis attaché à cette merde maintenant et je ne peux même pas apercevoir l’eau qui nous entoure. Parfait. Et puis là je me rends compte que ce n’est peut-être pas l’idée du siècle, parce qu’il y a un problème et qu’il nous fait un remake du Titanic, je vais finir comme DiCaprio … Et ça pourrait bien arriver plus vite que je l’imagine, parce que ce bateau craque plus que le plancher de notre vieille maison de la forêt. C’est seulement après avoir fait ce constat que je me décide enfin à lever les yeux vers le sommet du mât pour vérifier qu’aucun rat n’a l’intention de se jeter sur moi, et que je découvre une paire de fesses qui dégringole. PUTAIN DE MERDE, c’est quoi ce délire ? J’essaie de rouler sur le côté en vain, parce que eh, je viens de m’attacher à un PUTAIN de mât. Super idée mec.  

« WILLYYYYY » J’suis au bout de ma vie, j’ai besoin de parler à quelqu’un qui me comprend, mon meilleur ami hippocampe si possible. J’suis sur qu’il n’est pas bien loin, là, quelque part, dans l’océan. « Willyyyyy reviens, mec si tu bouges tes petites fesses jusqu’ici, j’te présenterai une belle blonde, elle s’appelle Breiv. Je sais que tu aimes les blondes. » J’ai beau me tenir sur le pont, hurler tant que je peux par-dessus bord, je ne vois rien venir. Naaah. Moment intense d’exaspération. « O.K » Je boude voilà. Je ne sais que faire pour exprimer mon désespoir, alors comme je suis un triton et que nous adorons chanter pour tout et n’importe quoi (c’est dans notre sang faut croire), je pousse la chansonnette. « Lalalalalalalaaaa » éclaircissement de voix, petites vocalises. Techniquement, mon chant devrait attirer tout le bateau mais là le pont est désert. TANT PIS. Ils ne savent pas ce qu’ils ratent. « Woow, une corde ! » J’m’arrête un instant et me laisse distraire par cet objet fascinant avant de poursuivre. « Ôoooo rage, ôoooo désespooooir. Beauuuuu gosse en perdiiition procheee du suicideeeeee » là j’tombe sur un mât. Wooooow, un mât.

Pour passer le temps je décide d’y grimper. Pour voir si j’arrive à contrôler mon corps d’humain. Ne pas tomber serait quand même une réussite. Bon vas-y. LANCE TOI MILO. Je m’accroche à une corde et entame une montée fulgurante vers le haut du mât lorsque j’entends un bruit venant d’en bas. Quelqu’un tire sur la fameuse corde. AArg, je perds l’équilibre. Naaan. Je tombe. Dégringole. Atterris fesse droite la première sur le visage du pauvre Reno. « Oooh, j’suis désoooolé. TOUT VA BIEN ? » Je m’jette sur lui pour l’examiner. « C’est terrible. Si tu as des vertiges dis le, avec le choc tout ça, tu as pu te déplacer le cerveau. »

Et voilà, la paire de fesses atterrit sur moi alors que j’essaie vainement de me tirer de là, et je pousse une sorte de bruit bizarre témoin de ma détresse pendant qu’il revient vers moi comme s’il n’en avait pas assez déjà fait comme ça. « Ça va c’est bon. » Je me redresse avant de repousser ses mains baladeuses en grognant. « Vire tes sales pattes, espèce d’inconscient. » C’est presque comme si j’avais les lettres S-A-T-Y-R-E tatouées sur le front avec mes oreilles pointues, et un satyre tu le tripotes pas comme ça à moins de chercher les emmerdes.  Quand je pense à tous les gens qui changent de trottoir, je n’comprends pas que lui ne se montre pas plus méfiant que ça. Il devrait. Ce type est vraiment aussi évolué qu’un gamin de trois ans, je me demande s’il n’a pas un retard mental ou un truc du genre, que la production aurait sélectionné pour les quotas. Une bridée, un handicapé, un fomme, ça expliquerait l’absence de noir. « Ah c’est clair que toi ça risque pas d’t’arriver un déplacement de cerveau. » Parce qu’encore faut-il en avoir un. « Putain d’étoile de mer. » Que je marmonne en me frottant vivement la barbe de trois jours que j’ai laissée pousser. Merde, va falloir que je pense à m’épiler moi d’ailleurs, putain comment je vais faire avec tous ces merdeux qui te dérangent toutes les deux secondes ? Y’en a forcément un qui va se bidonner et me traiter de gonzesse si je me fais choper avec de la mousse à raser sur le torse, c’est obligé. « T’essaies de faire quoi là, Ariel et Tarzan c’est pas le même dessin animé mec. » J’essaie quand même de lui expliquer la vie pour qu’il évite de recommencer ce genre de conneries. Le gars vient de découvrir qu’il peut marcher, c’est pas le moment de se mettre à grimper des mâts. Un vrai gamin. Et je crois que c’est ça qui m’évite de lui péter la gueule, cet espèce d’air béat de l’innocent débonnaire qui vit dans le pays des bisounours qu’il affiche en permanence. Je suis sûr que si tu lui demandais de tuer une mouche en échange de sa vie, il se sacrifierait le con. Et j'ai presque envie de lui dire que j'ai des vertiges pour qu'il recommence à m'examiner, mais je me dis que ce serait vraiment mal alors j'essaie de trouver un autre truc à dire. « Ça va mieux tes problèmes d'érection ? » Evidemment, je ne pouvais pas parler d'autre chose.

J'ai mal à la fesse gauche. C'est dommage, c'est quand même celle que je préfère. J'crois que je suis tombé sur une personne encore plus antipathique que Jea & America, c'est dire ma chance. Rah. « Je tentais juste de t'aider, pas la peine de le prendre comme ça...   » Peut-être que tous les satyres sont aussi asociales j'sais pas, c'est le premier que je rencontre, en tout cas il est loin de me laisser une bonne impression... C'est même tout le contraire.  « Mes sales pattes ? Tu veux qu'on parle de ton haleine de bouc ? C'est quoi votre problème sur ce putain de bateau, j'veux bien être gentil deux secondes mais à force d'avoir affaire à des mal baisés toute la journée, faut pas s'étonner si j'explose !   » Je connaissais pas cette expression,  « mal baisé » c'est Anne-Marie, la personne qui se chargeait de m'apprendre la vie en société qui me l'avait sifflé  pendant que nous étions en train d'étudier le chapitre « Insultes, jurons, faire la différence entre un connard & un bâtard » Je lève les yeux au ciel, ça suffit maintenant, j'en ai marre que tous les candidats de ce jeu passent leur temps à se foutre de ma gueule. Ok, je viens d'un récif paumé et je ne connais rien à la vie humaine mais si la situation avait été inversée et qu'ils étaient obligés de vivre sous l'océan, j'aurais essayé de les aider, MOI. À croire que les gens biens sont une espèce en voix de disparition par ici. « T'as un problème avec les étoiles de mer ? Contrairement à ce que tu pourrais penser, elles sont vraiment très intéressantes et cultivées, rien à voir avec vous en somme. » Je lui tends quand même une main pour l'aider à se relever, il me ferait presque de la peine, là, par terre. Il m'parle d'une certaine Ariel et qu'un Tarzan... Si je connais la première, le second m'est totalement inconnu. « Tu peux parler d'Ariel, la princesse des sirènes ? Avec ses cheveux rouges, ses belles écailles et ses gros nichons ? J'savais pas que tu la connaissais personnellement... Wow, mec t'as d'la chance. »  Il remonte un petit peu dans mon estime là... J'étais à deux doigts d'me casser lorsqu'il ose mentionner mes problèmes d'érection. « C'est assez compliqué à contrôler je trouve... Genre ce matin, j'me suis réveillé et mon entre-jambe était raide comme un manche à balai...C'normal tu crois ? Puis plus ça va, plus j'ai l'impression d'être excité par tout et n'importe qui. Tu contrôles ça comment ?   »

Je retire ce que j’ai dit, il tuerait probablement la mouche. Parce que sous ses airs d’étoile de mer décérébrée, il s’avère que le poisson sait ouvrir sa gueule pour se défendre. Bon, il a une répartie équivalente à celle d’un escargot, mais au moins il ne se laisse pas marcher sur les pieds. Sauf que voilà pauvre crétin, 1/ tu viens de tomber le cul le premier sur ma tête et 2/ si je dis ça c’est POUR TE RENDRE SERVICE. C’est incroyable ces sirènes, à croire qu’ils n’ont jamais entendu parler des satyres à Atlantica. Il serait capable de se pointer vers moi avec sa gueule enfarinée pour me toucher le petit oiseau en demandant c’que c’est. MAUVAISE IDÉE. Mais du coup j’essaie d’intérioriser, parce que franchement sa description des étoiles de mer est carrément désolante. Intéressantes et cultivées ? Je crois que j’affiche la même gueule qu’un mec à qui son voisin vient d’affirmer qu’il garde un martien enfermé dans son congélateur. Et là ça me traverse, est-ce qu’une étoile de mer peut communiquer avec les sirènes ? Ce serait révolutionnaire. Et j’attrape la main que me tend le triton avant de dénouer la corde, mais je reste quand même près du mât, au cas où. D’ailleurs je jette un regard légèrement inquiet par-dessus la balustrade de sécurité tandis que l’autre sushi me parle d’Ariel. Parfois je me demande s’il dit toutes ces conneries sérieusement ou s’il fait exprès de jouer les imbéciles pour qu’on le sous-estime. Mais je me dis qu’il doit être profondément naïf et gentil, que ouais, les gens comme ça existent encore. Et quelque part, je l’envie un peu. « Ouais je la connais bien c’est ma pote, même si depuis qu’elle est mariée à Eric elle donne plus trop de nouvelles. » Foutagedegueule.com. En même temps rentrer dans son jeu ça le rendra heureux, alors pourquoi pas. Ce serait bien plus compliqué de lui expliquer qu’Ariel n’est qu’un personnage de conte pour enfants. Et puis y’a des problèmes plus importants à régler, et qui se passent au niveau de son entrejambe. Que je fixe. Longuement. Trop longuement. C’est pas de ma faute non plus, il déblatère dix mille trucs à propos du matin et d’un manche à balai. Et quand il me demande comment je contrôle ça –alors que ça me paraît évident sur l’instant que ce n’est pas le cas-, je redresse la tête pour scruter ses yeux clairs. « Euh. » Merde, c’était quoi la question déjà ? « Bon avec moi ça marche pas, probablement parce que je suis un satyre et qu’un beau doigt de pied est capable de m’filer la trique, mais si ça t’arrives au mauvais moment tu peux toujours essayer de penser à un truc vraiment dégueulasse. » J’esquisse presque une grimace pour lui faire comprendre l’idée, penchant légèrement la tête en essayant de trouver un exemple concret. « Comme Jea qui te bave dessus, par exemple … » Oui, j’ai été particulièrement traumatisé par l’expérience de ce chien galeux aux babines dégoulinantes. « Au pire tu lui demandes si elle baise, tu sais les filles ici sont vachement plus libérées que sous l’océan. » Je dis ça en repensant au sushi à gros nichons (Breiv), et je me dis que je suis vraiment un gros bâtard de lui filer d’aussi mauvais conseils. Je crois même que, l’espace d’une fraction de seconde, je me sens coupable. « Tu veux que je t'apprenne à monter là-haut ? » Je pointe le sommet du mât, parce qu'avec un peut de chance ça pourra m'éviter de penser aux roulis du bateau, à mon envie de gerber et à son entrejambe.

« J'suis pas certain qu'elle soit mariée... pas que je sache du moins, y'a des rumeurs qui disent qu'elle se taperait un concombre de mer, mais après tu sais ça ne reste que des bruits de récif. » J'ajoute avec sérieux. Je me mordille les lèvres pour ne pas éclater de rire. J'ai l'impression que Reno est un chaud de l'entre-jambe, il me mate, c'est certain. Pire. Il me dévore du regard, comme s'il pouvait voir à travers mon boxer. Il me parle de son expérience sur les érections, apparemment il est dans le même cas que moi, il me conseille cependant de penser à quelque chose de bien dégueulasse pour me calmer. J'éclate de rire lorsqu'il évoque Jea. « T'as pas l'air de le porter dans ton cœur toi non plus. Oh, attends, il t'a bavé dessus ?  » Oh, mon dieu. « Je ne veux même pas savoir ce que vous faites dans l'intimité, non franchement ça ne m’intéresse pas.  » Je secoue ma tête pour chasser cette image dégueulasse qui me passe par la tête. « C'est noté, la prochaine fois que j'aurais envie de copuler avec Segen dans tous les recoins du bateau, je vais penser à Jea .. Ouais...  » Je m’interroge un instant. « C'est un peu étrange dis comme ça non ? » Décidément, il n'est pas si méchant que ça le Reno, il suffit juste de creuser un peu sous sa façade de bouc, c'est en fait un petit agneau... (Oui d'accord je m'emporte un peu mais j'ai tendance à voir le bien partout)  La preuve, il me donne même des conseils de séduction.« Oh mec, c'est vraiment trop sympa, dire que je croyais les autres candidats lorsqu'ils me disaient que t'étais un connard détestable hypocrite et sans cœur.   » J'viens l'enlacer un instant et lui donne deux tapes dans le dos, pour le remercier, c'est une coutume dans le monde marin. « Avec plaisir ! Comment on fait ? J'dois monter sur tes épaules ?  » Je rétorque avec un grand sourire innocent mais charmeur... « Alors.. J'attends ! » Oui j'suis plutôt impatient en fait.

C’est fou le nombre de mots qu’il peut débiter à la seconde, je n’étais même pas au courant qu’il était possible de parler autant. Je trouverais ça limite fatiguant si je n’étais pas obsédé par le torse du poisson qui s’offre à moi, sa clavicule qui se dessine légèrement sous sa peau et son sourire de débile. J’essaie de ne pas interrompre son récit passionnant sur le loup-garou, mais lorsqu’il parle de l’intimité qu’on pourrait éventuellement avoir le chien et moi je ne peux m’empêcher de tiquer. « T’es sûr que ça t’intéresse pas ? » Je marmonne limite dans ma barbe, un peu comme un type qui a peur de faire une demande en mariage et qui se lance alors que sa fiancée se livre à un monologue sur son shopping du matin. Et quand il recommence à parler de copuler je fais mine de l’écouter attentivement, genre je ne viens pas du tout de balancer une interrogation moisie qui me travaille depuis plus d’une minute. Mais en vérité je n’entends pas trop ce qu’il me raconte, parce que mes yeux se fixent sur sa bouche, et je me dis qu’il pourrait éventuellement la fermer et s’en servir pour autre chose. BORDEL, mais ça tourne vraiment pas rond dans ma caboche. Vous imaginez si je tombe en duel contre lui ? Non mais l’angoisse, heureusement que son binôme est une vieille conne ridée sur laquelle je vais pouvoir concentrer mes efforts. Et je relève mon regard alors que le ton de sa voix devient interrogatif. Merde, il vient de me poser une question ? « Bof. » Je me hasarde à répondre sans avoir la moindre idée de ce qui le préoccupe, en me disant que ‘bof’ c’est toujours mieux qu’une affirmation ou une négation. Imaginez qu’il me demande si je m’épile les jambes ou si j’ai envie de le baiser et que je réponde oui par inadvertance. Ce serait idiot. Et cette fois je me concentre vraiment, parce que même si 90% de ses paroles sont bonnes à jeter, je me dis que c’est toujours mieux que de m’exciter tout seul. Une excellente résolution qui me permet de me mettre à grogner. « Excuse-moi mais … qui t’as dit ça exactement ? » Je tente de me renseigner avec la ferme intention d’aller éclater la gueule du connard qui a osé répandre cette fausse rumeur. Parce que je ne suis pas hypocrite. Sauf qu’il continue de blablater et … IL ME TOUCHE. Le con me touche, il le fait exprès c’est sûr, ça se voit dans son regard malicieux à la con. Je le savais bien qu’il était pas aussi innocent qu’il voulait bien le faire croire. C’est de ma faute aussi, je le mate comme s’il était une statue grecque. Il va falloir que je remédie à ça. « AH NON ! » Je m’exclame un peu trop vivement alors qu’il s’emballe à propos de l’ascension du mât. « Non, tu montes pas sur mes épaules surtout. » Faut pas déconner non plus, 1/ je suis pas une putain d’échelle, 2/ ça risquerait de mal se terminer. « J’aime pas qu’on me colle. » Et je le repousse un peu trop violemment pour qu’il me laisse respirer, prenant la ferme résolution de ne plus lui donner la satisfaction de faiblir devant sa gueule de beau gosse. Je me suis entraîné trop longtemps pour me laisser distraire plus facilement qu’une fan à un concert de Justin Bieber. « Par contre j’te préviens, faut avoir un minimum de muscles. » Non, ceci n’est pas de la provocation. Et je m’approche de la corde avec tout le professionnalisme dont je suis capable, virant mes godasses pour les faire atterrir près du mât. Puis je me hisse sur la corde à l’aide de mes deux mains avant de la faire glisser entre mes jambes, plaçant mes pieds de chaque côté. Bras droit, bras gauche, pieds. Je recommence l’opération deux ou trois fois avant de baisser les yeux vers l’étoile de mer. « Tu captes ? » Je marque une pause en agitant le cordage sans me demander si à force de tirer dessus, on ne risquerait pas de se recevoir une voile en pleine gueule. « Tu peux aussi le faire sans les jambes et la tête en bas, mais vu que t’essaies de maîtriser ta forme humaine … » Ouais, ce serait moins utile quoi. « Tu m'rejoins ? » Ou pas, en fait. Et je continue jusqu'à arriver sur une petite parcelle en bois intermédiaire.

Spoiler:

Il me regarde assez bizarrement je dois dire, avec insistance, j'ai l'impression qu'il est … Ailleurs. Je tente quand même de faire comme si de rien n'était, j'suis certain qu'il veut me sauter dessus, je ressens ces choses là, puis il fixe ma bouche depuis à peu près un quart d'heure maintenant, ça ne trompe pas. Bon, après, je peux être totalement à côté de la plaque aussi.. ça doit être une coutume chez les humains de vouloir absolument copuler avec leurs interlocuteurs, alors j'fais de même et fixe son visage longuement, il a de beaux yeux le Reno. La balafre sur son visage lui donne un petit côté guerrier sexy & viril. Hum. Je m'égare. Bref il me demande timidement si je suis certain de me foutre du type de relation qu'il entretient avec Jea. Je réfléchis un instant. « Baaaah. Ouais, enfin je crois. Pourquoi tu souhaiterais le contraire ? Genre, que j'sois jaloux ?  » Comme je vous disais. Étrange. Je continue mon monologue pour combler le vide de la conversation, le satyre n'est pas très bavard, contrairement à moi. Putain j'ai soif, faudrait que je pense à ralentir mon débit de paroles un jour. Il se propose pour m'apprendre à grimper au mât. Quelle gentillesse. Il refuse que je monte sur son dos, complètement offusqué. « Pas la peine de le prendre comme ça, c'était une simple question.  » Encore un candidat traumatisé des relations sociales. « Tu m'fais penser à Breiv la sirène. Elle aussi elle n'aime pas qu'on la touche. T'as peur de quoi très exactement ? J'vais pas te mordre. J'suis un triton, pas un loup. » Bref je l'écoute attentivement. Il commence à grimper, j'imite ses gestes, en m'ondulant le long de la corde, j'ai un peu de mal au début, tombe une ou deux mais j'arrive tant bien que mal à le rejoindre sur la petite parcelle de bois intermédiaire. « PUTAIN, J'AI REUSSI. » Dans l’excitation je colle une nouvelle fois le satyre en le prenant dans mes bras. Je regrette dans la seconde qui suit parce que je glisse et perds presque l'équilibre. J'me rattrape comme je peux. « Ok excuse, j'avais oublié. Pas toucher.  »

Je ne pensais pas qu’il entendrait ma question, noyée au milieu de son flot incessant de paroles. En fait ce type est beaucoup moins con qu’il n’y paraît, et je me dis que j’ai eu tort de le sous-estimer. Mais ce n’est pas pour autant que je me laisse déstabiliser, lâchant un « mais bien sûr » suivi d’un roulement d’orbites exaspéré. Alors il recommence à blablater, blablater, puis à m’engueuler. Il n’a pas fini de souffler le chaud et le froid celui-là ? Le pire, c’est qu’il me compare à gros nichons, et franchement je ne vois pas ce qu’une prude apeurée et trop naïve et un blasé de la vie austère et râleur peuvent avoir en commun. Mais en fait, si, sauf que ce n’est pas vraiment pour des des raisons similaires. « C’est pas toi qui me fait flipper. » Restons sérieux deux minutes. Je me demande même comment cette idée a pu lui effleurer l’esprit, parce que franchement ce n’est pas le genre de type à la silhouette imposante qui te fait trembler de la tête au pied. « La sirène c’est parce qu’on l’a jamais touchée et qu’elle a peur de passer pour une godiche quand ça arrivera. » Oui, c’est évident. Tous les gens qui ont passé l’âge de vingt-trois ans sans jamais avoir baisé se sentent angoissés. « Moi, c’est différent. » Et puis je grimpe au mât en lui fournissant les instructions nécessaires, parce que je n’ai aucune envie de lui expliquer mes raisons à moi. S’il ignore que les satyres sont des créatures constamment assaillis par l’idée de s’accoupler, je me dis que c’est mieux comme ça. Je n’ai pas envie qu’il se moque de moi, qu’il me torpille de questions ou pire, qu’il en abuse pour s’amuser. Ce serait bien le genre de mec à venir me lécher l’oreille pour savoir c’que ça me fait. Si on peut éviter, c’est aussi bien. Ouais, d’ailleurs tout va mieux là, j’arrive à me concentrer sur sa montée chaotique et ça me ferait presque sourire. Le pauvre a beaucoup de mal, mais finalement pour quelqu’un qui n’est pas habitué à se servir de ses jambes je trouve qu’il se démerde vraiment bien. Limite un peu trop bien. Et je m’écarte d’un pas lorsqu’il se précipite sur moi, mais c’est déjà trop tard, il recommence à m’enlacer. CHIER. Je fixe mon regard sur le mât derrière lui en me pinçant la cuisse, mais mon calvaire ne dure que quelques brèves secondes puisqu’il a la brillante idée de se décoller brusquement. Ce qui a pour effet –totalement prévisible pour une personne normalement constituée- de lui faire perdre l’équilibre. Alors je le retiens en l’attrapant par le bras, basculant à mon tour en arrière sur la plateforme, le triton étalé sur moi de tout son long. Et là, je me fige. Ok, tout va bien, pas de panique. Inspire, expire. Détends-toi. Pense pas à son torse nu. Pense pas à son regard de merlan frit. Pense pas à son cul. Pense pas à ... MAIS POURQUOI MOI BORDEL ? « Dis, c’est pas du cinéma tout ça ? » Je l’interroge soudain en écartant les bras, histoire d’éviter de le toucher. « T’es vraiment un triton qui n’a jamais posé un pied sur la terre ferme ? » Parce qu’il pourrait vraiment en profiter pour qu’on lui passe tout –érections impromptues comprises-. Ce serait même un très bon plan, quand on y pense. Ouais, je vous ai déjà dit que j’avais des tendances paranoïaques. « Par contre si tu pouvais te vautrer un peu plus loin ce serait cool. » J’ajoute d'une voix faiblarde pour qu’il me laisse respirer avant de me mordre la langue. Et s’il fait la moindre réflexion au sujet de ce qu’il a lui-même du mal à contrôler et qui m'embarrasse actuellement, je l’étrangle avec la corde. Si seulement j'arrivais à me charcuter la jambe ...