Y-O-G-A. Ce mot martèle mon esprit depuis plus de quarante-huit heures, et il est impératif que je me livre aux exercices relaxants de cette discipline avant de crever un œil à quelqu’un. Parce qu’entre la bridée complètement barjot (Pipper), le poisson intellectuellement aussi développé qu'une étoile de mer (Milo) et la fée clochette qui prend ses aises (Auxence), j’ai l’embarras du choix. Et si je ne fais pas ce putain de yoga, un accident va forcément arriver, comme la fois où j’ai shooté dans le vélo du p’tit voisin et qu’il s’est mangé le trottoir. En même temps il m’avait roulé sur le pied ce con, ses parents n’avaient qu’à lui apprendre à pédaler droit. Bref, ici y’a pas de groupes de gestion de la colère, pas de musique d’ambiance et pas de punching ball. Il ne me reste que la pratique de la méditation qui exige un silence absolu et une solitude quasi-introuvable au milieu de cette foule de créatures bruyantes. Aussi je fouille le bateau de fond en comble en faisant fi de l’angoisse qui m’étreint à chaque ballottement dont je suis la malheureuse victime, mes pupilles s’éclairant d’une lueur d’espoir en se posant sur l’escalier qui descend dans les entrailles du navire. Non pas que ça m’enchante de m’enfoncer là-dedans, mais je me dis que ça reste probablement le meilleur endroit pour me retrouver ENFIN seul. Je dévale les marches deux à deux avant de pousser la porte pour découvrir une salle bien plus vaste que la plupart des autres pièces du bateau, jonchée d’objets divers. Il suffira de pousser quelques meubles pour libérer de l’espace et ce sera parfait, étant donné que je ne distingue pas d’autre âme qui vive. Je me précipite alors vers une étagère que je tire sans ménagement pour la placer devant la porte, posant mes mains sur mes hanches en observant mon œuvre, particulièrement fier. « Le bonheur. » Je lâche en fixant la porte bloquée par le meuble, poussant même un petit soupir de soulagement.  

S’il y avait bien une chose qui plaisait à Breiv dans sa vie sur Terre c’était la possibilité qu’elle avait de lire des livres humains. C’était une chose bien singulière et pourtant c’était une des seules choses (avec les délicieuses pâtisseries que l’on pouvait trouver çà et là) qui l’enchantait réellement. Ainsi, au cours des quelques jours qui avaient précédé l’aventure, Breiv avait fait une sorte de stock de livres, tous plus différents les uns que les autres. Elle portait en main un livre empli de rêves qui poussaient à l’intérieure comme des plantes bien vertes, au milieu de la neige du jour le plus froid du monde : la mécanique du cœur, de Mathias Malzieu. Son cœur d’artichaut était ravi de pouvoir se plonger dans ce roman qui venait secouer rêves et imagination. Cependant, pour apprécier pleinement sa lecture, elle avait dû chercher pendant un moment un endroit calme. Finalement, elle s’était retrouvée dans la cale – tout à fait vide, à son grand bonheur – et avait trouvé un petit siège derrière une étagère. Ainsi, elle se sentait à l’abri, comme un petit cocon et son humeur s’apaisait. Malheureusement, cela ne dura guère longtemps et quelqu’un fit son entrée dans la cale et ne se dérangea pas pour attraper l’étagère et la déplacer juste devant la porte, sans même adresser un regard à Breiv. Elle l’observa faire sans ne comprendre où il voulait en venir avant de comprendre… qu’elle se trouvait complètement bloquée dans cette pièce avec… LE PSYCHOPATE. Ce gars même qu’elle avait remarqué en tant qu’agressif. Reno. Oui, c’était ça. Le mec allergique aux tabourets. Et… Oh non. Il allait peut être la tuer ou… la violer, l’assassiner puis la découper en des morceaux qu’il jettera dans la mer. Nooooooooooon. C’était la panique totale dans l’esprit de Breiv, d’autant que Reno semblait assez content de son ouvrage. « Non, non, non. Ne… Ne… Ne me fais pas d’mal. » Hum super convaincant. Elle regarda autour d’elle et attrapa une lampe qui se trouvait sur une petite table. « Ne… Ne t’approche pas, j’suis armée, o-ok ? » Encore plus crédible. Par Merlin, ma fille, il allait falloir être un peu plus effrayant. Il allait sûrement lui casser la tête comme il l'avait fait avec le tabouret. Boom un coup de pied, out la Breiv.

J’ai à peine barricadé la porte, fier comme un paon, que j’entends des petits bégaiement s’élever dans mon dos. C’est pas vrai, dites-moi que je rêve, que je ne viens pas de m’enfermer volontairement avec un autre candidat ? Je me retourne lentement, un air parfaitement exaspéré peint sur le visage, pour faire face à la blonde aux gros nichons qui me menace avec une … lampe torche. Est-ce que c’est une blague, ou c’est juste tous les poissons ont le QI d’une étoile de mer ? « Je crève de trouille. » Je lui signale d’un ton blasé, haussant un sourcil en croisant les bras sur mon torse. Non sérieusement, un rayon de lumière artificielle ça peut être gravement mortel dans un dessin animé. Mais à quoi elle pense cette pauvre fille ? Même moi j’ai l’air plus menaçant avec ma putain de flûte. Je me demande comment elle compte mettre ses capacités à profit lors des duels, si elle se démerde aussi bien pour trouver des armes de fortune. Remarquez, lancé en pleine tête l’objet doit faire mal. « C’est héréditaire le bégaiement, ou c’est juste un truc de sirène coincée du cul qui n’est jamais sortie de son bocal ? » Ouais, je suis peut-être un tout petit peu excédé par la situation c’est vrai. Moi qui espérais pouvoir faire mon yoga tranquille, il a fallu que je me retrouve face à Jackie Chan version bambi femelle sacrément bien roulée. Et je m’approche de son siège en longeant une autre étagère en attendant sa réaction, lâchant un « Bouh » en approchant légèrement mon visage lorsque j’arrive à sa hauteur. Sauf que je me dis que j’abuse peut-être un peu, parce que si elle décide de vraiment me frapper avec sa lampe torche ça risque de déraper. D'un autre côté ça m'arrange de la faire flipper comme ça, ça me ferait une tentation de moins à éviter.

Breiv serrait avec force la misérable lampe qui se trouvait dans ses deux mains, ne perdant pas des yeux le sérial killer qui s’était engouffré dans la cale et qui les y avait enfermés. Il n’y avait pas d’issue, elle était coincée. COINCEE. Il était assez dommage de mourir ainsi dans une telle aventure. Elle se mordillait les lèvres, franchement anxieuse et observant chaque mouvement de Reno. Douuucement. On respire. La voix du jeune homme était un brin… méprisante, et portait une touche de second degré. Bien sûr que non il n’avait pas la trouille, comment pourrait-il face à une fille comme elle qui comptait se défendre avec une lampe ridicule ? Pourtant, elle garda son ‘arme’ dans sa main jusqu’à ce qu’il parle de QI et de bocal. Elle soupira et baissa son bras. « Ah. De toute évidence, tu n’es pas venu me violer pour ensuite me découper en morceaux avec une hache. » Elle était soulagée mais en même temps franchement piquée au vif. Elle était bien consciente, en effet, qu’elle bégayait à chaque fois qu’elle se trouvait dans une situation gênante ou lorsqu’elle était très anxieuse. Le fait qu’il le fasse remarquer de cette manière était franchement blessant, d’autant qu’elle tentait réellement de travailler sur cela. C’est pourquoi elle préféra ne pas répondre à sa question pour éviter qu’il ne l’attaque encore plus sur ce point-là. Elle le vit pousser un petit ‘bouh’ histoire de se jouer d’elle et de jouer avec la situation. Il se moquait, bien sûr. « Aha, très drôle. Vraiment, je suis pliée de rire. » Elle posa la lampe et s’écroula dans une chaise posée près d’elle. Soudain, un questionnement lui traversa l’esprit. « Tu as une hache ? » Oui, il fallait qu’elle le demande, après tout.

Merde, visiblement mon petit effet ne dure pas plus d’une minute, mes mots brisant l’image merveilleuse qu’elle se fait des satyres. Le viol c’est récurrent, mais on ne m’avait encore jamais parlé de hache et de corps en menus morceaux. Peut-être parce qu’on vit dans la forêt > bûcherons > hache > meurtriers. Ouais. « T’es pas du genre à être bourrée de préjugés toi … » Je fais remarquer sur un ton sarcastique en détaillant le fourbis qui s’amasse sur les étagères. Une vieille boussole de navigation, un tas de serviettes de bain, des recharges de savon, des produits d’entretien pour le bois. Rien de bien intéressant. Aussi je préfère m’amuser à effrayer gros nichons sans grand succès, puisqu’elle a l’air désormais aussi terrifiée que moi face à sa lampe torche. Quoiqu’elle tient quand même à s’assurer que je ne trimballe pas une hache dans ma valise, et ça me fait lever les yeux au ciel. « Pas ici, on m’a interdit de la prendre. » Je hausse les épaules en affichant un air boudeur. « T’es déçue ? » Je l’interroge en arquant un sourcil. « Moi aussi. » Je précise en m’éloignant de nouveau, tirant sur une étagère pour dégager de la place. Puis j’attrape deux serviettes que je dispose sur le sol avant de m’asseoir par terre. « Bon, tu veux qu’on parle de ton absence de vie sexuelle qui fait rougir tes jolies pommettes gonflées chaque fois qu’on parle de cul, ou tu me laisses faire mon yoga tranquille ? » Je demande comme si elle devait choisir entre un sandwich au jambon ou un hot dog alors que je viens probablement de la plonger dans l’embarras le plus absolu. Mais il me semble évident qu’elle va s’empresser de désigner la seconde solution, et qu’elle ne songe même pas à nier les faits. Etant donné sa petite réclamation lorsque j’ai prononcé le mot ‘érection’, il est évident que la jolie sirène n’a pas souvent abandonnée sa forme de créature.  

De préjugés ? Breiv ne voyait pas franchement pourquoi il disait cela. « Hum, c’est juste que j’me suis dit que t’étais du genre un peu agressif étant donné que tu as failli décapiter un siège dès tes premières minutes dans l’aventure » Il fallait bien qu’il se rende compte qu’il avait un côté exécrable monsieur Bad Boy. A présent, elle n’avait qu’une envie c’était de se carapater et de trouver un autre endroit calme pour lire. D’autant qu’il faisait des petites blagues concernant une hache et que cela ne plaisait guère à Breiv – malgré le fait qu’elle ait compris qu’il rigolait. « Absolument déçue. » Allez, ça te dit de te taire maintenant ? Voilà ce qu’elle aurait répondu si elle en avait eu le courage. Mais c’était le genre de phrase qu’elle n’arrivait pas à prononcer. Notamment en face de personnes rencontrées que depuis peu. Malheureusement, il n’avait pas compris le message malgré les yeux baissés de Breiv et lui lançait directement une pique en pleine figure en parlant de sa façon de rougir lorsque la conversation virait sur… des sujets peu catholiques, disons-le ainsi. Et c’était de nouveau parti : elle redevenait rouge comme une tomate. « Fais… ton yo-yoga. » Elle n’osa même pas lui demander de bouger l’étagère pour qu’elle puisse sortir de cette pièce dans laquelle elle se trouvait à présent oppressée. Elle resta donc là, sans bouger, sans parler, n’osant même pas attraper son bouquin, comme un peu tétanisée par ce qu’il venait de lui dire. Les personnes terrestres n’étaient décidément pas très aimables. Personne ne lui avait encore jamais parlé comme ça et c’est pourquoi des milliers de questions traversaient son esprit. Si bien, que bientôt elle tint plus. « Cela se voit tant que ça ? » Elle ne savait pas si elle avait bien fait de poser cette question. Peut-être allait-il seulement en profiter pour lui en mettre encore plein la tronche, comme il semblait être l’as pour cela.

Oh, alors ses préjugés viennent de mon entrée sur le plateau et non de la race à laquelle j’appartiens ? Je hausse les épaules en faisant une petite grimace du genre ‘ouais ok’, m’installant sur mes serviettes dans l’espoir de lui faire comprendre qu’elle n’est pas la bienvenue. Et je me dis que la mettre mal à l’aise reste probablement le meilleur moyen pour la chasser, sauf qu’elle se contente de rougir bêtement en restant plantée là. Raaaah c’est pas possible, ces candidats sont tenaces. Mais son interrogation me fait presque rire, parce que ça a l’air de vachement la travailler la pauvre sirène. Elle confirme mes soupçons par la même occasion, et je me relève en l’observant. « Ben … c’est-à-dire que t’es encore moins à l’aise qu’une bonne soeur. » Je lui explique  en adoptant la position de l’arbre, fermant les paupières. Et j’ai bien l’intention de garder le silence pour l’obliger à quitter la pièce sans me préoccuper de fait de savoir comment, sauf que moi aussi du coup, ça fait marcher mes méninges. Je comprends bien que les membres de son espèce se trimbalent avec une queue de poisson la plupart du temps pour faire mumuse sous l’océan, mais … « J’capte pas, pour vous reproduire vous faite pas comme nous ? » Je demande sans ouvrir les yeux. Non parce qu’elle a l’âge de se balader avec un petit poisson dans le tiroir, aussi j’ai des doutes. Je ne suis pas un spécialiste en ichtyologie non plus. Et puis j’y pense, je ne suis même pas certain qu’elle sache ce que c’est qu’une bonne soeur. J’imagine qu’ils ont l’équivalent dans le monde aquatique, si ça s’trouve … merde. J’entrouvre un œil pour le braquer sur elle. « T’es une bonne sœur aquatique ? » Si c’est le cas va falloir que j’arrête mes ‘putain’ et mes ‘bordel de dieu’. Et de la titiller. Je suis pas pratiquant et toutes ces conneries, mais si tu respectes pas ces gens-là ça t'apporte un mauvais karma. Et le mien est franchement déjà bien pourri.

Elle n’avait pas pu s’en empêcher, de poser cette question. Elle savait que sinon, cela l’aurait travaillé pendant toute la journée, et c’était hors de question de rajouter plus d’interrogations dans son esprit déjà assez bien malmené. Alors, elle l’avait fait et Reno lui avait répondu d’une voix des plus exaspérées qu’elle était aussi à l’aise qu’une bonne sœur. Ce n’était pas un scoop, elle savait bien qu’elle n’était guère à sa place au milieu de ces conversations d’humains. On ne l’avait pas élevé là-dedans, on le lui avait dépeint comme un acte limite sataniste – j’vous jure – et maintenant elle devrait s’en accommoder et faire comme si de rien n’était ? Comme si tout cela faisait partie de sa ‘culture’ – entre guillemets ? Hum, plus facile à dire qu’à faire. Elle se renfrogna. Il fallait tout de même dire qu’elle n’aimait pas être tant ridicule. Pour des gens pour qui parler de sexualité n’était guère un problème, elle devait passer pour une sainte nitouche de première zone. Ou pour une bonne sœur, comme le disait Reno. A présent, voilà qu’il lui demandait comment ça se passait chez les tritons et sirènes. « Je… C’est une histoire d’œufs, j’crois. Comme les... poissons. » Ouah, elle n’en était même pas sûre, sérieusement. Elle se rendait bien compte qu’elle avait pas mal de lacunes, la pauvre. « Donc, ça n’a rien à voir avec… vous. » Il fallait bien qu’il comprenne que son comportement ne venait pas de nulle part. Elle sentit son regard se poser sur elle. Il lui demandait maintenant si elle n’était vraiment pas une bonne sœur aquatique. C’était du foutage de gueule là ? « Non... Je… Pas du tout. » Elle détestait s’embrouiller mais ce gars-là lui foutait les idées sens dessus dessous. « Pourquoi tu fais du yoga ? » Cela aussi lui trottait dans la tête. « Tu as du mal à canaliser tes émotions, non ? » Sans blague. J’pense que le tabouret s’en souvient.

Ah voilà qu’elle recommence à bégayer la blonde, mais je reste concentré sur mon yoga en attendant la réponse à mes questions. Et franchement, je n’suis pas déçu de la révélation qu’elle me balance en pleine figure. En fait j’abandonne carrément ma position de l’arbre sous l’effet de la surprise, ouvrant des yeux ronds comme des soucoupes. Enfin, elle n’a pas l’air très renseignée sur le sujet, ce qui me semble assez incroyable étant donné que l’éducation sexuelle des humains commence dès le plus jeune âge, mais elle peut pas se planter du tout au tout. « T’es sérieuse là ? Les sirènes pondent des œufs comme les poules ? Et t’es pas arrivée à maturité toi, pour pondre un œuf ? » Je hausse un sourcil en levant mes bras vers le ciel pour adopter une nouvelle position. Je comprends mieux les érections incontrôlées de l’autre étoile de mer, et franchement c’est regrettable. Les pauvres poissons ne ressentent pas le plaisir, c’est quelque chose de limite barbare. Pondre des œufs c’est un processus animal vous voyez. Je me demande s’ils font ça avec n’importe qui tant que ça assure la reproduction, sans amour, sans passion. S’ils se marient ensuite. Combien d’œufs peuvent éclore. Bref, les sirènes j’y connais rien moi, et j’ai pas franchement les moyens de me renseigner sur le sujet hormis les questions posées aux concernés. Mais j’ai moyennement envie de passer pour un con, alors je ferme de nouveau les yeux en murmurant un « C’est grave bizarre. » Parce que les espèces qui accouchent de façon classique sont quand même majoritaires dans le monde magique. Ouais. Bon. Après tout, pourquoi pas. Et j’attends une nouvelle fois qu’elle disparaisse de ma vue pour que je puisse accomplir mes exercices, en vain. Parce qu’à la place, elle préfère me poser une question aussi gênante qu’évidente, et je m’attends presque à ce qu’elle se mette à rire en affirmant que je pratique une discipline de gonzesse. Si elle ose faire ça, je l’encastre dans l’étagère. Mais elle n’en fait rien, aussi je lève les yeux au ciel en joignant les mains au-dessus de ma tête. « Oh non, j’fais ça pour rentrer en communication avec Dieu. » Ouais, je me fous un peu de sa poire mais faut dire qu’elle représente une cible idéale pour ça. Et si pour la bonne sœur aquatique j’étais absolument sérieux, là je suis carrément en train de la traiter comme une idiote. En fait, c’est surtout pour ne pas lui confirmer que oui, j’ai de sérieux soucis de gestion de la colère, parce que 1/ elle risquerait de me prendre en pitié et je déteste ça et 2/ elle pourrait aller le cafter à un autre candidat. « Quand t’auras découvert l’autre procédé de reproduction, t’auras plus envie de pondre des œufs. » Je fais remarquer en laissant retomber mes bras. Non parce que ça me travaille quand même, cette histoire. Mais je vais arrêter là, parce que de toute évidence c’est un sujet qui la met mal à l’aise et franchement, je ne suis pas le mieux placé pour lui donner un cours de sciences naturelles. « Bon, t’as l’intention de rester plantée là comme une potiche encore longtemps … » Et je suis sur le point de la prier de déguerpir le plancher quand les bonnes résolutions que j’ai formulées auprès de ma sœur avant de partir me reviennent en mémoire. Faire des efforts. Faire des efforts. « … ou tu me rejoins ? » Ca y est je l’ai dit. Merde. « Ca aide à se décontracter tu vois, à être plus cool. » Et dieu sait qu'elle en aurait besoin. Non mais je rêve, je suis en train de l'encourager à rester, à croire que je suis masochiste.

Alors que Breiv lui expliquait – à moitié, puisqu’elle n’en savait pas grand-chose sur la reproduction des sirènes – qu’il s’agissait d’œufs et non d’une reproduction comme celle des humains et autres mammifères, Reno écarquilla grand les yeux. La sirène ne savait guère s’il jouait l’étonné ou bien le choqué. Ou même s’il n’était pas tout simplement très amusé face à cette révélation – en laquelle Breiv ne voyait rien de drôle. D’ailleurs, elle n’aimait pas du tout cette conversation, elle se contenta donc juste seulement d’hocher la tête quand il répéta ses dires. Malgré le rapprochement très réducteur qu’il fit entre elle et une poule, mais elle préféra ne relever de peur de partir à nouveau dans une polémique des plus gênantes. Oui, c’était bizarre comme il le disait. Les yeux de Breiv se faisaient fuyants et elle changea de conversation ; parlant alors du pourquoi du yoga de Reno. Il contourna la question en répondant par une vanne franchement ridicule. « Ahah » répondit-elle, genre rire jaune. Il la prenait la cruche, cela se voyait. Et Breiv détestait cela. « Tu sais, ce n’est pas parce que je suis blonde et que je bégaie un peu par timidité que je suis forcément une cruche. Faut croire que je suis pas la seule à être bourrée de préjugés. » Hum. Oui, elle n’était pas une cruche. Pas une poule non plus, et encore moins une potiche. Voilà qu’il revenait sur un sujet des plus gênants, lui faisant comprendre qu’elle ferait mieux d’aller gouter un peu plus que les œufs de poissons chez le voisin, histoire de comprendre que cela lui plairait bien. Elle n’avait guère envie de répondre à cela et continuait à rougir de plus en plus fort. Rah. Maudites rougeurs. Hé ? Mais que ce passait-il ? Le psychopathe devenait-il sympathique – si l’on omet le mot ‘potiche’ glissé dans sa requête ? Voilà qu’il venait de lui proposer de se joindre à lui. Pour se détendre, disait-il. « Hum, donc on rentre pas en contact avec Dieu ? » dit-elle, moqueuse, en s’asseyant à côté de lui. « Je connais pas le yoga » voilà qui était étrange de faire du yoga avec Reno. D'autant qu'elle ne savait pas du tout comment s'y prendre. Elle tenta de se concentrer pour reproduire la figure qu'il faisait avec ses bras et jambes. Pas facile tout ça. Et c'était censé détendre ?

Oups merde, je crois que je viens de me faire percer à jour. Elle a oublié les gros seins dans son cliché, parce qu’une blonde à petite poitrine ne fait pas la même impression. Mais qu’elle se détrompe, c’est plutôt sa position de défense ridicule armée d’une lampe torche qui m’a fait supposer qu’elle n’était pas particulièrement fute-fute. Comme elle a supposé que tous les grands bruns balafrés à la mine renfrognée étaient des  psychopathes.  Mais c’est vrai qu’avec du recul, en y repensant bien, elle n’a rien dit de fondamentalement stupide –contrairement à son ami l’étoile de mer-. Aussi je me dis qu’elle mérite sans doute une petite chance d’être l’heureuse élue de mes premiers efforts de socialisation. « Si aussi, tu veux que je lui passe un message ? Parce que généralement les débutants ont du mal. » Je conserve un air parfaitement sérieux en me disant qu’au mieux elle gobe mes mensonges et formule un souhait, et qu’au pire elle s’imaginera que je poursuis dans l’ironie. Et puis je la vois se tortiller vainement pour essayer de m’imiter, l’équilibre lui manquant cruellement. « On peut commencer par une facile, le chien tête en bas. » Putain ces trucs ont vraiment des noms de positions du Kâma-Sûtra. Et j’écarte légèrement les jambes en attendant qu’elle reproduise mes gestes, l’observant du coin de l’œil. « Et puis là tu te penches en avant pour toucher le sol avec tes deux mains, assez loin de tes pieds. » J’esquisse le mouvement sans le faire, parce qu’à chaque fois que je me suis essayé au chien à tête en bas je me suis vautré comme une merde. J’ai les doigts qui glissent constamment vers l’avant, et je me dis qu’il y a de fortes chances pour qu’elle subisse le même sort. Alors je me décale d’un pas pour poser une main sur sa hanche et l’autre sur son poignet, histoire de la guider, mais mon regard dévie lentement et involontairement sur ses fesses. PUTAIN c’est pas vrai, je suis vraiment grave comme mec. Je savais bien que c’était pas une bonne idée de lui proposer de partager mon yoga, elle me déconcentre tellement que je serais incapable de trouver la paix intérieure. Du coup je me recule vivement en me grattant la mâchoire, posant mon cul sur le sol en adoptant la position classique du lotus. Ouais comme ça, aucun danger. « Et puis t’es censée te concentrer sur ta respiration, inspirer et expirer au bon moment, histoire de ne pas perdre l’équilibre. » Je déblatère un peu trop rapidement pour me focaliser sur autre chose, sans même la regarder. « Ça te relaxe, et après tu te sens vachement plus détendu. Blablabla. » Ouais, elle a saisi l’idée. Et finalement, j'ose un regard dans sa direction en évitant soigneusement les parties à risque. « Vous faites quoi sous l'eau, pour être plus zen ? »