Je sais pas trop ce que je fous là. Je sais que j'ai envie d'une clope, mais que mon paquet est fini. Je sais que j'ai la flemme de remonter jusqu'aux cabines pour m'en prendre un autre. Je sais que je suis fatigué, ce soir. Assez fatigué. Je comprends pas vraiment ce qui me tombe dessus. J'ai peut-être un peu le mal de mer. Le manque de terre ferme. J'ai pas de difficulté, d'habitude, à supporter les gens. Mais aujourd'hui j'me sens dépassé. Je fais tourner un morceau de sucre entre mes doigts et je commence à en enlever l'emballage. J'hésite un instant et puis le glisse dans ma bouche. Je me laisse glisser par terre et appuie ma tête en arrière. Yeux fermés je profite du silence. C'est aussi simple que ça. Mes doigts sont posés sur mes genoux. Trois. Deux. Un. J'me lance. Je sens la lumière se baisser sur la salle. Les souffles se faire plus faibles. J'entends les derniers murmures. Et moi je suis lancé. Mes doigts s'agitent au gré des notes. La sonate résonne et mon cœur s'emballe. Je suis concentré. Je réfléchis plus vraiment. Je vois les lignes défiler devant mes yeux, les strophes se succéder, les clés s'inter-changer. Le rythme s'anime. Je m'anime. Quelqu'un toussote. J'ouvre un œil, brusquement. Une silhouette, là, face à moi. Je mets un certain temps à la distinguer. Segen. Je sais que c'est elle. Je l'ai reconnue presque instantanément, quand on a présenté les candidats. Mais j'ai pas vraiment osé aller lui parler. Elle fait partie d'une période de ma vie bien trop lointaine. Je souris tandis que mes mains se posent à plat sur le sol. " Tu dors pas ? " C'est vrai qu'il est tard. Une, deux heures sans doute. " Je pensais pas te retrouver ici, Segen ", je murmure. Mes iris croisent les siens et d'un coup je me souviens pourquoi j'étais venu m'enfermer ici. Parce que j'angoissais. Et je suis pas certain que la voir me fasse du bien.