En voyant cet immense terrain, j’ai une sérieuse envie de me défouler qui me démange. Le problème, c’est que j’ai eu la bonne idée de venir ici tout seul, et je n’ai pas l’intention de me lancer la ba-balle. Remarque, ça pourrait marcher. Je la jette sous ma forme humaine, puis je me transforme pour la rattraper sous ma forme animale. Ouais non, ce serait carrément pathétique en fait. Je me contente donc de fouiner aux alentours, repérant une petite cabane qui m’intrigue. J’y trouverai peut-être un truc pour pratiquer un sport en solo, bien que je ne connaisse aucun sport de ce type capable de faire transpirer autre chose que les neurones. Tout ce que j’y découvre, ce sont des balais alignés en rang d’oignon, et je me demande ce que ces machins foutent ici. Genre, ils veulent qu’on nettoie le terrain de sport avec ça ? Si ça s’trouve, c’est la vieille peau qui réserve ça pour une prochaine punition, et rien que cette pensée me dissuade de l’insulter à nouveau. Mais lorsque j’effleure l’un des balais et qu’il frétille nerveusement, j’esquisse un pas en arrière en comprenant leur véritable fonction. Oh je vois, ces machins sont réservés aux sorciers … Un sourire étire le coin de mes lèvres tandis que je referme ma main droite sur un manche, le conduisant au milieu du terrain de sport. J’ai toujours secrètement rêvé de me trimbaler sur l’un de ces trucs, l’ennui c’est que j’ignore totalement comment ça fonctionne. Alors je le glisse entre mes jambes et j’attends que ça s’envole, mais rien ne se passe. « Bon c’est quand tu veux, parce que là tu m’fais un peu mal aux c … » Je viens de donner une petite impulsion sur le sol, et le truc fait un bond qui me projette en arrière. Je me retrouve vite crispé sur le manche qui flotte bien à trois mètres du sol, accroché comme un cochon pendu. « PUTAIN C’EST QUOI TON PROBLÈME ? » Je ne sais pas s’il se sent insulté, mais le balai fait un tour sur lui-même, ce qui me fait lâcher prise. Aussi je tombe comme une pierre sur la pelouse, et me retrouve sur le dos, complètement immobile et le souffle coupé. Merde, je suis mort non ? Je ferme les yeux un instant, histoire de reprendre mes esprits, incapable de bouger le petit doigt.

Je suis en train de m'éteindre lentement lorsqu'une voix me tire de mon semi-coma. Je distingue une silhouette au dessus de moi, assez imposante, barbue et tatouée. Il me touche, même. Je le savais que j’allais me faire violer un jour, si je n’étais pas assez prudent. Ça devait arriver, inévitablement. A force de voir ma belle gueule traîner dans le château il n’a pas pu résister le bûcheron ! Faut le comprendre aussi, dans sa forêt il ne doit pas voir beaucoup de gens … Des animaux peut-être … Ouais non, j’ai vraiment pas envie de savoir. Et puis je me dis que c’est fou le nombre de conneries qui peuvent me traverser le cerveau en si peu de temps. Probablement dû au choc. Quoique … Je pointe un doigt accusateur en direction de l’objet qui flotte toujours au-dessus de la pelouse. « C’est … » Je reprends doucement ma respiration, essayant de me relever avec une grimace. « … ce truc là, il a essayé de me tuer. » Je ne sais pas vraiment si je dois croire à cette hypothèse, parce qu’un balai tueur, on n’a jamais vu ça dans les faits divers. En même temps il a vraiment eu l’air de se vexer le truc, quand je lui ai mal parlé. Plus réactif que la ventouse buccale. « Je suis sûr que la vieille l’a ensorcelé rien que pour m’emmerder. » Ouais sûrement, parce que je suis le nombril du monde. J’arrive finalement à me remettre debout en m’appuyant à moitié sur le loup-garou, me grattant le nez. « Tu sais en faire, toi ? » Du balai j’entends. Même si j’imagine assez mal le bûcheron sur l’un de ces trucs.

Il galérait pas mal le gars. Visiblement il avait plus de mal face à un balai volant que face à moi. Là mon ego en prenait un coup. Bah oui parce qu'il m'avait quand même foutu une raclée – enfin on s'était bien défendu avec Nico – aux duels. Même si Amarok l'avait bien aidé également. Il a l'air un peu sonné, il dénonce le balai en le montrant du doigt. Ce serait donc un balai tueur, hm. D'accord. Je le prends, le type, je le relève pour qu'il ait le droit histoire de reprendre un peu ses esprits. Il grimace quand il essaie de se lever donc je l'aide, normal. Puis il s'appuie sur moi pour se remettre debout et nous voilà tous les deux, face à face, deux loups face à face. Il maudit la Vieille, c'est toujours de sa faute à cette bonne femme, la pauvre quand même. Puis il me demande si je sais en faire. Je le regarde, prêt à éclater de rire. « Tu rigoles ? J'touche pas à ça moi » je dis. C'est franchement pire qu'un taureau à monter. Monter genre chevaucher. Ouais.. bref.. vous voyez. « Ca va ta main et ta cuisse ? » je demande, soucieux des dégâts que j'ai pu causer.

Pourquoi il me regarde comme ça le bûcheron ? Bon d’accord, un loup-garou sur un balai magique c’est pas franchement habituel, surtout un de son calibre. Mais vous imaginez à quel point ce serait brillant de nous y mettre ? Personne ne s’imaginerait que t’es capable de le manier, et y’a un sacré avantage à arriver perché sur ce machin. Enfin, je suis à peu près convaincu que la vieille peau ne nous laisserait pas l’utiliser de toute façon. Bref, le gars a sans doute raison de ne pas y toucher étant donné ma magnifique prestation … « J’te comprends. » Je grogne entre mes dents, fusillant le responsable de ma chute des yeux. Je me demande si ça vaut vraiment le coup de monter ce balai par rapport au risque de finir tétraplégique, mais généralement ce n’est pas ce genre de considération qui m’arrête. Et puis je souris lorsqu’il prend des nouvelles de mes blessures, haussant les épaules en levant ma main dans les airs. « Ouais, j’ai connu pire. Enfin j’suis pas sûr que la vieille m’ait complètement réparé tu vois, elle m’a sûrement laissé un os fêlé juste pour le plaisir. » Y’a pas à dire, elle continue de faire un angle bizarre et de gonfler, de temps à autre. Mais bon, pour l’instant ça ne me dérange pas plus que ça, et en fait je garde l’espoir stupide d’avoir tort. Ce qui ne m’arrive jamais, soit-dit en passant. « Ma cuisse en revanche s’est plutôt bien rétablie, j’étais déjà opérationnel pour me refaire botter le cul. » Je précise, faisant allusion au balai. Ouais parce qu’on a beau avoir gagné ce duel, je crois bien l’avoir moins abîmé que le contraire. C’est un peu plus difficile en conservant sa forme humaine, mais croyez-moi je ne retiendrai pas mes coups pour les prochains qui nous affronteront. « Je ne te retourne pas la question, t’as l’air aussi increvable qu’un pneu magique. » Je saute un peu pour attraper le balai qui est redescendu de quelques mètres, le calant sous mon pied pour l’empêcher de faire des siennes. « T’as discuté avec les autres loups du château ? Si oui, tes impressions ? » Je lui demande, parce que ce n’est absolument pas mon cas. Cosby, la gothique, la femme invisible enfermée dans son cachot … C’est étrange, parce que j’aurais pensé que ma nature me conduirait vers eux comme un aimant.