Bon, elle va se casser, oui ? Il ne reste plus qu’une fille dans la pièce, excepté Lilou et moi. J’étais pourtant sure qu’à cette heure-ci il n’y aurait personne. Ils devraient tous être dans la salle à manger normalement. Je souffle, montrant mon impatience et lance un regard désespéré à Lilou. Ce qui est pratique dans cette cabine, malgré le fait qu’ils n’aient pas mis nos lits à côté, c’est qu’on est toutes les deux en haut, un seul lit nous sépare. Du coup, on peut se voir, se rassurer, voyez. Pas que j’ai besoin d’être rassurée, j’ai plutôt besoin de savoir que Lilou est rassurée. C’est tordu, oui. Je ne sais pas si ça vient de son don ou de la manière dont je l’aide à « le contrôler ». Bon, bon, bon. L’autre n’est toujours pas partie. Ma tête retombe lourdement sur mon oreiller, si on peut appeler cela un oreiller. Ils ne nous ont pas gâtés de ce côté-là, ce n’est pas assez mou, loin d’être homogène et je peux jurer que c’est remplit d’acariens. Tiens, ça y est, elle s’est barrée. Un sourire se dessine sur mes lèvres tandis que je décide d’enjamber le vide qui sépare le lit d’à côté du mien, puis de réitérer l’opération vers celui de Lilou. C’est peut-être pas la meilleure idée que j’ai eu, mais nous n’avons sans doute pas beaucoup de temps avant qu’une autre candidate se pointe. Je manque de me ramasser plus d’une fois. Ça y est, j’ai atteint mon but. « Enfin, elle a pris son temps. » que je rage tout en reprenant mon souffle.

Vrai que je n'avais pas pensé à ça, moi, en participant à cette émission, je n'avais pas pensé aux autres gens, ou pas beaucoup, et au fait qu'ils seraient là, avec nous, tout le temps, constamment. J'ai l'habitude d'être seule avec Lisa, la plupart du temps, moi. Et puis, ça me va très bien, j'ai besoin de personne, si j'ai Lisa, je suis bien, moi, avec elle. Mais là, depuis qu'on est ici, il y a nous, et il y a les autres. Les autres, eux, ils sont là, constamment là, peu importe l'endroit, il y a toujours quelqu'un d'autre. Comme là, dans les cabines, aujourd'hui. Il y a cette fille. Et nous, Lisa et moi. Lisa souffle. Je souris un peu, face à son regard. Moi aussi, j'aimerai bien qu'elle parte, cette fille, moi aussi, je veux d'un instant avec Lisa, seules, toutes les deux juste nous, sans eux. Parce que y'a trop de choses que je ne veux pas qu'ils sachent, parce que toutes ces choses ne concernent que nous. Je ne quitte pas ma Lisa des yeux. Peut-être parce que j'aime bien ses yeux. Je ne sais pas, moi. Et puis, mon regard papillonne un instant sur la fille qui décide enfin de quitter la pièce. Je vois Lisa enjamber le vide deux fois pour me retrouver. C'est qu'elle sera toujours là, Lisa, toujours. Lisa est un peu en colère, je crois. Je passe ma main dans ses cheveux, comme ça. "c'est pas grave." je souffle, en la regardant, parce que, c'est vrai, ça, maintenant, on est seule, alors, ça va. "je crois que ça va aller, ici." je lâche, parce que, je crois qu'elle culpabilise un peu, parce que je ne voulais pas énormément venir là, moi, avant, mais je l'ai suivie quand même. Alors, voilà, je veux la rassurer là dessus, moi. "et puis, tu sais, il y a ce garçon." je commence, parce que, c'est vrai que depuis le prime, j'ai du mal à me sortir cette idée de la tête. "Ur, il s'appelle Ur. Il peut guérir les gens, la vieille fée l'a dit. " je m'en rappelle, ça, il est entré en même temps que Lena, et elle, elle peut faire souffrir les gens, c'est ce qu'elle a dit, la vieille fée il me semble. "tu crois que ça peut marcher avec moi ?" je me mords un peu la lèvre, je ne sais pas, peut-être que je m'emballe un peu vite, peut-être que mon problème, il peut pas le guérir, lui, je ne sais pas, c'est pour ça, je lui demande, à Lisa. C'est vrai, moi, j'ai de l'espoir, mais j'ai de l'espoir facilement aussi, je crois.

Une main de Lisa passe dans mes cheveux. C’est pas grave qu’elle me dit d’une toute petite voix. C’est là que je me rends compte que je me suis énervée pour rien encore une fois. Je lui offre un petit sourire d’excuse, je sais bien qu’elle aime pas ça, quand je m’énerve. Elle me dit qu’elle croit que ça va aller, ici, sur le bateau, dans l’aventure. « T’es sure de ça ? Tu me dis si t’en as marre, on part. » j’essaie d’analyser son expression, je ne veux pas qu’elle affirme ça pour me faire plaisir. L’emmener ici c’était tellement égoïste au fond. Si j’ai bien compris, cette semaine il n’y aura aucun duel ni entraînement. Je pourrais seulement m’inquiéter la semaine suivante. Elle n’a jamais vraiment aimé ça, la violence, les combats. Ça ira, elle m’a dit que ça ira, que je me répète. Puis elle me parle d’un garçon, j’arque un sourcil, intriguée. Ur qu’il s’appelle, son don est de guérir les gens. Oh. Elle n’a pas besoin de dire la suite, je comprends tout de suite où elle veut en venir. Un malaise s’installe en moi. On a essayé beaucoup de choses, pour la « guérir », ça n’a jamais marché et pour être honnête je n’y crois pas trop non plus cette fois. Ur peut guérir, oui, les blessures sans doute, les maladies peut-être, mais guérir un don, je ne sais pas s’il le peut vraiment. Enfin, si on peut appeler ça un don. Je reste silencieuse suite à sa question. Je sais que ça doit la troubler, mais je ne sais absolument pas lui répondre. « Je sais pas. » que je finis par lui répondre sans flancher. Je me demande si c’est bien de lui dire ça, peut-être que j’aurais dû lui dire que je n’y crois pas vraiment. L’espoir n’a pas que du bon. Le nombre de fois qu’on a vraiment cru que ça allait marcher, le nombre de fois où on y croyait vraiment dur comme fer et qui au final n’ont rien donné. C’est assez douloureux comme déception. Je jette un regard à ses yeux. Ils sont très cernés. « C’est aujourd’hui, hein ? » que je demande de manière réthorique. « Tu veux qu’on s’en occupe maintenant, pendant que personne n’est là ? » que j’ajoute.

Lisa, elle me croit pas, quand je dis que ça va aller. C'est vrai que moi, j'étais pas convaincue, au tout début, pendant la première soirée, parce que, je les connais pas, ces gens, et je veux pas me battre, moi, et ça m'intéresse pas, ce jeu, d'abord. Mais, c'est pour Lisa, et si elle y trouve un intérêt, c'est qu'il doit bien en avoir un, et puis, ça va aller, de toute façon, ça va aller, maintenant. "non, c'est bon, juré, juré, c'est bon, j'en ai pas marre moi. " c'est presque vrai, en plus. Et puis, cette semaine, elle est bien, on est pas obligé de se battre, cette semaine, on est obligé de rien du tout, moi, ça me va, ça. Quand je parle d'Ur, le silence de Lisa, je l'aime pas, moi, pas vraiment. Elle ne sait pas. Moi non plus, je ne sais pas, au fond, mais c'est pas si important, je crois. Je souris, un peu. "je peux essayer, dis ? de lui demander ? s'il veut bien, s'il accepte, on sait jamais ?" Peut-être qu'il voudra bien qu'on essayer, et que ça marchera, on sait jamais, c'est vrai, on sait jamais. C'est vrai que je m'emballe peut-être pour rien, moi, mais je veux essayer, rien qu'essayer, ça peut pas être une si mauvaise chose, d'essayer, je pense. Et tant pis, si ça marche pas, voilà, tant pis. Elle me pose une question. La question. "je peux attendre encore un peu, tu sais, je suis bien, là, c'est vrai, je suis bien, je te promets, je suis bien. je vais bien." c'est presque vrai. Bon, j'ai pas quitté ma couchette de la journée, mais je suis pas autant fatiguée, je veux dire, je pense qu'on a le temps, cette fois, c'est pas pressant. Mais c'est vrai que c'est l'un des rares moments où on est toutes les deux, avec Lisa. Je ne sais pas si ça va se reproduire bientôt, un moment comme ça. C'est qu'il y a trop de gens, ici, partout, tout le temps. Pas d'intimité, rien. "d'accord, t'as raison, oui, oui, c'est sans doute mieux maintenant." je réponds, doucement. J'hésite un peu, quand même, j'hésite toujours, quand il s'agit de le faire, parce que je le sais bien qu'elle ira pas bien, Lisa, après, vraiment pas bien pendant un moment. Mais c'est décidé, de toute façon, elle l'a dit, on va le faire, maintenant. Je me redresse un peu, je tente de lui sourire aussi, en même temps, à Lisa, pour lui montrer que ça va, que je suis pas mourante, pas là. Ma main glisse le long de ses cheveux, pour se poser là, sur sa nuque, et j'approche mon visage du sien, doucement, vraiment doucement. J'attends même une seconde, mes lèvres à quelques millimètres des siennes. Vrai que j'ai envie de l'embrasser, Lisa. Peut-être même plus, mais ça, on peut pas, de toute façon, pas ici. Mais l'embrasser. Mais seulement l'embrasser, c'est pas possible. Ou pas sur les lèvres. Mes doigts de l'autre main parcourent son bras, et mes lèvres se posent contre les siennes, délicatement, dans un premier temps. Mais forcément, après, ça change, j'y peux rien, moi, juré, j'y peux rien, mais ma main agrippe un peu plus fortement sa nuque, exerce une pression suffisamment forte, peut-être même que je lui fais mal, à Lisa. Mon autre main se colle contre son dos, pour qu'elle s'éloigne pas, qu'elle n'arrête pas ce baiser, jamais. Et mon cœur s'accélère un peu, je le sens, ce qui se passe, je la sens, son énergie qui entre en moi, là, comme ça, et je reprends probablement des forces, et des couleurs, mais ça m'empêche pas de la maintenir toujours fermement contre moi, et ça n'empêche pas non plus mes lèvres d'embrasser plus violemment les siennes, plus brutalement. J'en veux plus, plus encore, que ça dure longtemps, cette sensation de vivre, là, de vivre vraiment, j'ai mon cœur qui bat à cent à l'heure, à l'instar de celui de Lisa qui devrait battre moins fort, moins vide, mais, vrai que je ne m'en soucie pas. Je peux pas. Je veux pas. Je veux sa vie.

J’aimerais bien manger en fait, mais ce flan avait une tête bien moins attrayante que dans mon esprit lorsque j’ai claqué des mains. Sans parler de la banane, rien que de la regarder m’a donné envie de dégobiller dans la poubelle. Ca me saoule, dans cette foutue barque géante ma vie n’a plus de sens. Je n’peux ni dormir ni manger, deux fonctions nécessaires à la survie de l’être humain. Et quand j’ai faim et que je suis crevé, je suis particulièrement irritable. Déjà qu’à l’état naturel j’ai envie de bouffer une fourmi qui me grimpe sur le doigt de pied … Bordel, ça commence vraiment à me courir sur le haricot ‘la croisière s’amuse’. Il faut impérativement que je retrouve l’autre bridée pour lui demander des trucs de sirène pour ne pas avoir le mal de mer, elle doit forcément connaître des astuces, elle LE DOIT. Aussi je ne prends pas la peine de toquer à la porte des dortoirs des filles parce que je me doute bien qu’elles ne doivent pas être en train de se … BOUFFER LA BOUCHE ?! Je reste immobile sur le palier de la minuscule pièce, le regard ébahi par le spectacle que je découvre en faisant claquer la porte contre le mur. Attendez là, c’est le voyage en mer qui me file des hallucinations pas vrai, y’a pas deux nanas en train de se galocher comme deux mortes de faim dans la piaule des gonzesses ? Et si j’éprouve d’abord une sorte de désir sournois qui me réchauffe le corps, c’est bientôt la frustration et la colère la plus absolue qui s’insinue dans mon cerveau, me fait froncer les sourcils et gueuler « MAIS VOUS ÊTES OBLIGÉES DE FAIRE CA DEVANT MOI PUTAIN ? » Comme si je ne venais pas de les interrompre. Ces humains forniquent vraiment à tous les coins de rue, sérieusement c’est absolument fanta … répugnant. Me faire ça à moi, A MOI, alors que je torture quotidiennement la cuisse pour résister à la tentation. C’est parfaitement déloyal, sadique, irrespectueux. La blonde a l’air particulièrement ventousée à sa partenaire, la vorace, aussi j’attrape un coussin pour lui balancer au visage, histoire de leur faire comprendre qu’il y a un spectateur. « Oh les morfales y’a du public. » Je signale en grognant. « Vous avez été engagées pour faire grimper l’audience ou quoi ? » Sérieusement, y’a de quoi se poser des questions, c’est pas possible de se jeter sur quelqu’un aussi rapidement après le début de l’aventure. J'ai l'impression d'être dans un film érotique de série B, ça craint.

Je lâche pas Lisa, moi, jamais. Vrai que je prie pour qu'elle n'arrête pas cet instant, Lisa, pour qu'elle ne me repousse pas, qu'elle oublie, qu'elle ne puisse plus, qu'on franchisse cette limite, qu'elle n'ait plus la force d'utiliser son pouvoir. Pour que je prenne tout, là, tout de suite, que je la vide totalement de toute son énergie, Lisa. J'ai l'impression d'entendre du bruit à coté de nous, aussi, mais j'y fais pas attention moi, je m'en fiche, voilà, c'est pas mon problème, et ça m'semble assez loin, c'est camouflé par mon cœur que j'entends battre de plus en plus fort, de plus en plus vite, et puis je veux pas m'y occuper, de ça, du bruit, de ce qui nous entoure, même quand je sens un coussin s'écraser contre ma tête, ça change rien, j'agrippe un peu plus fort Lisa, j'veux tout, je veux pas qu'elle s'arrête, non, non, pitié, pas là. Et pourtant, là, d'un coup, brusquement, je me retrouve éloignée d'elle, à une vingtaine de centimètres, toujours sur le lit. J'essaye quand même de retourner vers elle, là, frustrée, mais je peux pas, ça marche pas, elle m'en empêche, avec son pouvoir. Et ça part, finalement, toute cette envie de lui prendre sa vie, à Lisa, ça part, et ça laisse place aux remords. C'est toujours comme ça, après. Les yeux écarquillés, je la regarde, ma Lisa, je m'en veux, encore, comme toujours, c'est pas bien, ce qu'on fait, c'est pas une bonne chose, ce que je lui fais. Y'a un truc qui m'fait revenir sur terre, qui m'fait décoller mes prunelles de celles de Lisa, et je tourne la tête vers la porte. On était pas seules. Y'avait quelqu'un. Y'a quelqu'un. Reno. Le garçon toujours en colère. D'ailleurs, il a l'air de l'être, là, encore. Mes lèvres s’entrouvrent un peu, mais je trouve rien à dire, là, y'a rien qui sort. Il a tout vu. Je regarde à nouveau Lisa, un peu paniquée. Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on dit ? D'habitude, c'est elle qui parle aux gens, quand c'est important, mais là, c'est différent, voilà. Je réagis, aussi. Faut pas qu'il la voit comme ça. Peut-être qu'il a pas compris, qu'il a pas tout vu, finalement. Faut pas qu'il sache, je veux pas qu'il sache. Je me lève du lit, rapidement, je saute par terre, là, je me cogne la cheville contre l'autre lit, mais c'est pas grave, je vais vite vers lui, faut que j'aille vite, avant qu'il comprenne, s'il peut comprendre, je sais pas si c'est évident à voir, j'en sais rien, moi. J'attrape son bras, là, et je le tire avec moi à l'extérieur des cabines, en fermant la porte derrière moi. "tu diras rien aux autres, s'il-te-plait, dis rien aux autres, d'accord, ils ont pas besoin de savoir, s'il-te-plait, s'il-te-plait, on faisait rien de mal, je te promets, dis rien" je murmure, à toute vitesse, avec ma main qui tient toujours un peu son bras, là, par crainte qu'il ne décide d'ouvrir à nouveau cette porte. J'ai menti, je sais qu'il faut pas, mais je veux pas que les autres sachent ce qu'on faisait, pas tout de suite.

Ok, cette scène est trop bizarre. Parce qu’en dehors du fait que deux candidates se roulent une galoche dans la cabine et que ça provoque une frustration à peine descriptible en moi, elles réagissent d’une manière totalement inadéquate. Soit t’assumes et tu me nargues, soit tu flippes et t’arrêtes de suite. Sauf que la blonde fait les deux en même temps, restant accrochée à la brune comme si sa vie en dépendait avant de paniquer à mort. Pourquoi elle a attendu que sa partenaire la décolle si elle réagit plus mal qu’une lesbienne au placard qui vient d’être surprise par ses parents ? Comme si elle ne m’avait pas entendu gueuler comme un veau, qu’elle n’avait pas senti le coussin s’écraser sur sa tête. Je veux bien que tu puisses être à fond dans un baiser, mais y’a des limites … Et elle saute sur ses jambes pendant que je lève les yeux vers sa partenaire qui ne bouge pas : deuxième chose étrange. La brune reste muette alors que la petite blonde se rue vers moi. J’ai l’impression, pendant une seconde, qu’elle va sortir un couteau pour me l’enfoncer dans le cœur sous le coup de l’émotion, mais à la place elle me tire le bras pour nous entraîner à l’extérieur. Comme s’il y avait quelque chose de plus que je ne devais pas voir, qu’elle dissimulait un truc super tordu. Alors forcément, ça attise ma curiosité. Si ça s'trouve la meuf là-dedans est en fait un pantin qu’elle anime en l’embrassant. Ca expliquerait pourquoi elles sont toujours fourrées ensemble, en dehors du fait qu’elles s’éclatent au pieu. Mais est-ce qu’on peut s’éclater au pieu avec un pantin ? Pas sûr. Je suis à deux doigts de la pousser sur le côté pour ouvrir de nouveau la porte, ne m’insurgeant même pas au contact de ses doigts sur ma peau, lorsqu’elle implore ma discrétion. Je n'capte pas trop son coup de pression, je ne suis pas certain que ce soit vraiment grave si les autres candidats étaient au courant qu’elle se tape la brune. « Tu sais je crois qu’au vingt-et-unième siècle, les gens sont quand même plus ouverts d’esprit sur le sujet … » Je fais remarquer en me dégageant de l’étreinte dont je prends enfin conscience. Et je me dis que cette panique incontrôlée est forcément source de quelque chose d’autre, de quelque chose de plus. ‘On fait rien de mal’ qu’elle m’a dit, ce qui signifie en fait ‘on fait quelque chose de mal’. Et ça m’intrigue, aussi je me dis que je pourrais peut-être profiter un peu de l’occasion. « Mais franchement, j'ai la gueule de mère teresa ? » Je tâtonne un peu en espérant qu’elle oubliera ma remarque précédente, essayant de lui donner une imagine négative de moi, celle d'un type capable d'aller confier ce qu'il vient de voir à tout le bateau. « Parce ce que t’as beau dire que c’est pas mal, ça dépend de l’appréciation de chacun. Si vous faites ça souvent … » J’y vais carrément au bluff pour pêcher les infos, sait-on jamais qu’elle continue de paniquer et qu’elle me lâche quelques indices supplémentaires. Enfin à tous les coups c'est juste une pauvre fille refoulée, j'ai tendance à me monter des films avec pas grand chose. Et là franchement, je me sentirais bien con. Mais faut dire qu'il y a un paquet de candidats pas nets sur bateau, alors forcément ... .

Je sais pas s'il a vu, moi, je sais pas s'il a regardé Lisa, s'il l'a bien regardée, ça m'obsède un peu, je crois, là, de savoir ça. S'il a rien vu, c'est pas grave, alors, vraiment pas grave, s'il a seulement vu le baiser, alors, ça va, je crois. Ça me dérange pas vraiment, que les autres sachent qu'on s'embrasse, avec Lisa. C'est pas ça le soucis, j'ai pas honte d'avoir envie de l'embrasser, moi, Lisa, et puis, je suis sûre que je suis pas la seule à vouloir l'embrasser, je suis sûre qu'eux aussi, ils ont envie, c'est ses lèvres, à Lisa, elles donnent envie d'embrasser, juré. Alors, voilà, il faut que je sache, quand même, pour être tranquille. Je commence à me dire qu'il ne va rien dire. Il parle des gens qui sont ouverts d'esprit, tout ça, alors, moi, je me dis qu'il l'est, et qu'il va rien dire aux autres. Il enlève son bras, là, je me mets contre la porte, voilà. Pour être sûre qu'il entrera pas, c'est tout. Il continue de parler, mais je ne suis plus très sûre de ce qu'il compte faire. S'il va ne rien dire aux autres, ou pas. Il continue, encore, et je crois qu'il sait, finalement. Je ne sais pas, vraiment pas. "s'il-te-plait. " je murmure, une nouvelle fois, comme ça. Qu'il sache ou pas, voilà, je préfère qu'il ne dise rien, moi, ce serait plus simple. Je regarde un peu, partout, qu'il n'y ait personne d'autres. Parce que si quelqu'un nous entend, ils vont tous savoir, je me dis, ils vont tous se douter que y'a quelque chose, quelque chose de pas bien, je veux pas ça. Je repose mon regard sur Reno, je sais pas ce qu'il a en tête, c'est ça, l'ennui, je sais pas, moi. Y'a ma main qui se repose encore sur son bras, là, doucement, j'ai l'habitude, moi, de toucher les gens, comme ça, j'serre un peu le tissu de son t-shirt, là, entre mes doigts, nerveusement. "s'il-te-plait Reno, je veux bien faire quelque chose, en échange, enfin, te rendre service, je sais pas, ce que tu veux, ça me dérange pas, moi, vraiment, je veux bien faire quelque chose, voilà, mais faut que tu me promettes que tu vas rien dire aux autres, juste ça, c'est tout." je parle un peu vite, et je regarde partout, en même temps, j'arrive plus à me focaliser sur Reno, parce que si quelqu'un d'autre arrive, ce sera le bazar, encore, ça ira pas non plus, si quelqu'un d'autre vient.

La pauvre n’a vraiment pas l’air bien. Mais au moins, elle, se montre polie, ce qui est loin d’être le cas de tous les candidats ramassés par la vieille. Faut dire aussi qu’elle se sent prise au piège, ce qui pousse souvent les gens à se montrer particulièrement aimable, mais j’ai l’impression que c’est dans sa nature. D’être fragile comme ça. Et insouciante, putain, parce qu’elle me reprend le bras en y agrippant ses petits doigts, tirant sur mon vêtement. Franchement, les gens sur ce bateau ont un sérieux problème, et si dans un premier temps j’aurais préféré qu’ils ignorent ma nature de satyre, j’hésite maintenant à me trimballer avec une pancarte : ‘attention bouc en chaleur’ autour du cou. Non parce que certains d’entre eux n’ont pas l’air de se rendre compte des efforts constants que je dois faire pour rester aussi désintéressé, me narguant à longueur de journée par des gestes aussi insignifiants que dangereux. Et le pire, c’est qu’elle larmoie en proposant de m’offrir quelque chose contre mon silence. Elle est sérieuse là ? « T’es consciente que tu proposes ça à un satyre ? » Je lui demande quand même, parce que son cerveau n’a pas l’air de fonctionner correctement. Dans ma caboche les mots ‘te rendre service’ deviennent ‘me déshabiller’ vous voyez, du coup c’est un petit peu emmerdant. Et je m’approche même de son corps érigé en barricade devant le dortoir, m’appuyant sur la paume de ma main que je plaque près de son visage. « Quand tu dis ‘quelque chose’, ça signifie 'n’importe quoi' ? » Je scrute ses yeux bleus avec une insistance gênante, tel un prédateur qui étudie sa proie, violant volontairement la distance de sécurité que je m’impose habituellement.

Qu'est-ce que ça change, que je propose ça à un satyre ? Ça me dérange pas d'aider un satyre, enfin, je pense pas que ça change grand chose, si ? Je sais pas trop. Je connais pas grand chose des satyres moi de toute façon. Comme les sirènes, tout ce que je sais, c'est ce qu'on m'a raconté, dans des histoires, quand j'étais petite, vraiment petite. Mais c'est tout. Et on en a pas rencontré avec Lisa je crois, il ne me semble pas. Alors je sais pas, moi, si ça change véritablement quelque chose ou non. "je sais." je réponds, simplement, parce que, oui, en théorie, oui, je sais que c'est un satyre, même si je sais pas exactement ce que c'est, moi, un satyre. Mais je réponds simplement à sa question, clairement, voilà.Il s'approche un peu de moi, y'a même sa main qui vient se poser là, tout près de mon visage. Et il me pose une nouvelle question. Il me fixe, c'est bizarre, la manière qu'il a de me fixer, mais c'est pas grave. Je décolle pas mes yeux des siens, du coup. Voilà, pour montrer que c'est pour Lisa, et que je peux le faire, moi, ce qu'il faut faire, c'est pas grave. Et je veux pas baisser les yeux, j'ai pas envie, voilà, je veux pas. "je crois, oui." je murmure, comme ça, rapidement. Je pense pas qu'il va me demander quelque chose de bien difficile. Je sais pas, en vérité. "enfin, non, c'est pas vrai." je rectifie. Parce que, je sais pas ce qu'il a en tête, alors, je préfère préciser, finalement, je crois que c'est mieux. "je veux pas que ça blesse quelqu'un moi." ah ça non, même si je ne pense pas qu'il voudrait faire du mal à quelqu'un, Reno, je précise, c'est mieux, voilà. Et je veux pas faire quelque chose de mal, tout court, finalement. Je veux pas être une mauvaise personne, ah ça non. Je me mordille un peu la lèvre, j'attends qu'il me dise, moi, ce qu'il aimerait, pour savoir, et je le lâche pas des yeux, comme ça, parce qu'il me lâche pas des yeux non plus, alors je continue, du coup, voilà.

Je rectifie, la personne la plus naïve de ce bateau n’est finalement pas notre Ariel au masculin, mais bel et bien l’humaine qui se tient là. N’importe qui dans sa position aurait perçu mes allusions clairement sexuelles, ce n’est pas possible d’ignorer ce genre de choses à son âge. Entre le poisson à la poitrine volumineuse, l’étoile de mer et l’ingénue que j’ai face à moi, j’ai l’impression de faire partie du casting des petits lutins du père noël. Encore les sirènes je veux bien, on va dire qu’elles ont un développement cérébral plus lent que les créatures terrestres parce qu’elles sont constamment soumises à la pression des fonds marins. Mais elle, n’a aucune excuse. Je pourrais poser ma main sur ses seins qu’elle s’imaginerait que je lui propose de tricoter. Ses parents ne lui ont pas appris à se méfier des pédophiles ? Parce que je crois bien que j’ai précisément la même tête que l’un d’entre eux là, à la fixer de mes yeux luisants de désir. Qu’elle soutient avec entêtement, et je commence sérieusement à me sentir mal. Enfin bien. Mais mal. J’ai limite envie de la secouer comme un prunier en lui expliquant que j’essayais de lui faire croire que je voulais la sauter –enfin si on est pointilleux j’en ai vraiment envie-. J’hésite même à continuer mon manège jusqu’à ce qu’elle comprenne où je veux en venir, mais je me dis que je pourrais bien me faire prendre à mon propre jeu. Parce que la nuit dernière, quand j’ai voulu faire une petite démonstration à ma partenaire, j’ai bien failli y laisser une plume. Aussi je décide de renoncer à lui faire prendre conscience des dangers qui l’entourent, après tout je n’suis pas son père, poussant un long soupir en récupérant ma main pour m’éloigner de la silhouette immobile. Mes yeux quittent les siens pour se poser sur la poignée de la porte, puis sur ses jambes campées sur le plancher. « Garde en mémoire que tu me dois un service. » J’annonce un peu sèchement. J’aurais bien envie d’un bon verre de scotch, là, tout de suite. Et mes doigts se glissent dans la poche de mon jean, serrant discrètement la peau de ma cuisse. « T’es au courant qu’ici tu vas devoir te battre, et donc faire du mal aux autres ? » Sans ça elle risque de ne pas aller bien loin. « Tu comptes te planquer en attendant que ça passe ? » Une chance que je ne me la sois pas coltinée comme partenaire, même si faire tout le boulot ne m'aurait pas fondamentalement dérangé. Parfois, il vaut mieux faire les choses soi-même.