Depuis que je suis arrivée ici, je n'ai plus faim ni sommeil. C'est simple, je bouffe plus, je dors plus. Non, je n'suis pas dépressive et encore moins anorexique ou insomniaque, seulement je me sens perturbée par certains trucs qui ne regardent que moi. C'est pas grave. Faudrait juste que je me reprenne en mains parce qu'en prenant le rythme de vie d'un vampire alors que je n'en suis pas une, c'est pas comme ça que je vais tenir toutes ces semaines. Comme d'habitude, je n'ai pas fermé l'oeil de la nuit, ou alors pour peut-être une heure ou deux seulement, alors, je me lève dans les cabines, alors que tout le monde dort, et sors de là. Sans un bruit je m'extirpe de la chambre des filles, et parvient à me faufiler jusqu'au charnier. J'aime bien la nuit. C'est calme, y'a personne pour brailler dans tous les sens ou venir me demander mon prénom pour la cinquantième fois. J'espère que les gens vont se calmer avec ça la deuxième semaine. Je fais attention à ne pas mettre les pieds là où il y a de l'eau, parce qu'aucune envie que ma queue de sirène apparaisse là maintenant, et d'un geste souple, je m'appuie sur les lavabos avant de m'asseoir sur le rebord. J'suis bien, là. Personne pour me saouler. Je vais attendre un peu ici, histoire de voir si le sommeil vient ou pas. Allez, viens s'il te plait. Me saoule pas. Limite je fais une prière au ciel pour que mes yeux se ferment par magie, mais ça ne marche pas vraiment. Dieu se fout vraiment de ma gueule. Je l'savais qu'il existait pas. Au moment où je me décide à bouger jusqu'à la salle de repos pour aller lire un bouquin ou deux, la porte s'ouvre et une petite blonde entre la pièce. « Toi non plus t'as pas sommeil ? » Lilou, son prénom. Je connais ceux de tout le monde maintenant.

Je regarde Lisa, enfin, j'essaye, là, dans l'obscurité. Elle est pas loin, je le sais, elle est à deux lits à côté du mien, en haut, elle aussi. "lisa ?" je murmure. Mais je ne distingue pas un seul mouvement, ni même un bruit venant d'elle. Elle doit dormir, je pense. Les autres aussi, elles dorment, elles ont l'air. Je tente une nouvelle fois de l'appeler, doucement, pour ne pas réveiller les autres filles, mais rien, toujours rien. Je soupire, contrariée. C'est que je n'ai pas envie de dormir, moi. Je veux pas, c'est tout, c'est une perte de temps, voilà, une perte de temps. Sauf que tout le monde dort, ici. C'est plus facile à la maison, même si Lisa dort, je peux m'occuper, je peux faire des choses, apprendre, chercher, des tas de choses, en fait. Mais là. Mais là, c'est différent. Et puis, elles dorment toutes, les filles. J'imagine que je devrais faire pareil, du coup. Je veux bien essayer, moi, mais, j'y arrive pas, là. Ca fait depuis quelques heures que j'essaye. Mais non. Je pense trop pour dormir, aux duels, qui vont venir, la semaine prochaine. Je ne sais pas comment ça va se passer. J'ai pas peur. C'est pas vrai. Mais je sais pas, moi. Et il faut que je parle à Maisie, peut-être. J'ai pas envie de penser à tout ça, mais ça envahit ma tete, là, tout ça. J'entends du bruit. Je tourne la tête vers le lit de Lisa, avec un peu d'espoir, mais non, c'est pas elle. C'est une autre fille. Je vois sa silhouette qui sort des cabines. J'attends un peu, j'hésite. Et puis, tant pis, je me lève à mon tour, doucement, pour ne pas réveiller les autres, je veux pas les déranger moi. Je sors des cabines, en nuisette, pieds nus. J'aime bien être pieds nus, de toute façon. Je la vois qui se file dans une pièce. Je me mords un peu la lèvre, parce que, j'hésite, encore. C'est peut-être pas bien, de faire ça, de la suivre, comme ça. Je ne sais pas moi, ça manque peut-être de respect, j'en sais rien, voilà, j'en sais rien. Mais finalement, je me décide, et j'entre dans la pièce à mon tour. Je secoue la tête, négativement, parce que j'ai pas sommeil, moi non plus. "je suis désolée." je lâche, en me pinçant les lèvres. "je. je t'ai suivie, ici, en voyant que tu ne dormais pas non plus, je suis désolée, enfin. pardon." peut-être qu'elle va se fâcher un peu, c'est pas une chose à faire, de suivre les gens, peut-être qu'elle voulait être seule, avoir un peu d'intimité. Je la regarde un peu, pour savoir si c'était mal, ou non de la suivre. Je la reconnais, maintenant que nous ne sommes plus plongées dans l'obscurité. Je sais juste qu'elle s'appelle Saana, que c'est une sirène, qu'elle est en binôme avec Reno, un satyre qui semble toujours en colère contre quelque chose. "mais j'arrivais pas à réveiller Lisa, alors..." je soufle, pour me justifier un petit peu, si jamais c'est mal, il vaut mieux que je me justifie, je crois.

Je le vois bien qu'elle est gênée, la Lilou qui vient d'entrer. Elle a pas à l'être, c'est pas important. D'accord j'avoue avoir été surprise par sa présence, par le fait qu'elle se soit montrée aussi rapidement après mon entrée ici, aussi. Mais je lui en veux pas ; pourquoi ? « Bah c'est pas grave, viens. » Je tapote délicatement sur le bord des lavabos près de moi, comme si c'était chez moi et que je l'invitais à s'asseoir pour taper la discute. C'est sûr que niveau confort comme salon de thé y'avait mieux, mais ces sièges de fortune devraient aller pour l'instant. Puis c'est pas que j'aie prévu avoir de la compagnie. C'est pas plus mal. J'aime bien être seule, mais parfois j'en ai marre, d'être seule. Genre, c'est bien d'avoir quelqu'un à qui parler, aussi, parfois. Peut-être pas pour raconter ma vie non plus, ça non, mais faire la discussion, un peu, raconter ses petites misères liées à l'aventure ou à la journée qui vient de passer. « C'est cool de pas être la seule. » je fais remarquer, simplement. Elle semble un peu intimidée, gênée, j'sais pas, doit y'avoir un truc entre moi et les gens qui passe pas, ils se lâchent pas avec moi. J'ai rien demandé pour ça. Mais s'il leur faut que je danse le logobitombo en string de guerre devant eux pour qu'ils arrivent à se sentir à l'aise avec moi, désolée mais ça n'arrivera pas. J'suis comme ça, on prend ou on oublie. Et j'en ai pas grand-chose à secouer si on m'oublie. La petite blonde se met à me parler de Lisa. Ah oui, Lisa. J'ai remarqué qu'il y a un truc, entre elles deux. Quoi, je saurais pas le dire. Mais il y a un truc, c'est certain. « Ah, mais faut la laisser dormir si elle est fatiguée, Lisa. » je réponds instinctivement sans me rendre compte de la stupidité de mes paroles. « Et.. y'a quoi avec toi et Lisa, au fait ? » Ma question reste en suspend et ça me gêne alors j'ajoute deux-trois trucs. « Vous êtes amies ? 'fin je veux dire, on dirait que vous vous connaissiez d'avant. »

Ca va, elle m'en veut pas, Saana, de l'avoir suivie. C'est pas grave, c'est ce qu'elle dit, ça doit être vrai, je pense. J'avance pour la rejoindre, je m'assois sur le rebord, à côté d'elle, je balance un peu mes jambes, comme ça. J'hoche la tête lorsqu'elle reprend la parole. "On pourra se tenir compagnie, les nuits, enfin, si tu veux, si ça te dérange pas. J'aime pas être toute seule, moi, ça m'dérange, d'être seule, vraiment seule. Je préfère avoir quelqu'un avec moi, c'est mieux, comme ça, vraiment, sinon, j'aime pas." je parle peut-être trop, et mal, je crois que je parle mal, aussi. Et vite. Un peu vite, aussi. Elle me dit qu'il faut laisser dormir Lisa. Elle a raison, je crois, c'est égoiste de vouloir la réveiller, pour avoir de la compagnie. J'allais répondre quelque chose, mais elle me pose une question, là, qui me bloque. Je me demande si elle sait, peut-être qu'elle sait. Reno, il nous a vu. Peut-être qu'il a répêté, je sais pas, moi. J'espère que non. Je ne suis même pas sûre qu'il a bien vu Reno. Je crois pas, au fond. Je sais pas, vraiment pas, je veux pas qu'ils sachent tout moi, ou pas maintenant, voilà, qu'on ait un petit délai, juste ça, un petit délai, avant qu'ils sachent tout. Je tourne la tête, autre part, là, je sais pas quoi lui répondre, voilà. Je suis pas sûre de vouloir tout dire. Et, aussi, je suis pas sure qu'elle demande tout, non plus. Et puis, elle est vague sa question, je sais pas ce qu'elle veut savoir exactement, moi, j'aime pas ça, quand c'est vague. Elle reformule sa question. Je suis un peu soulagée, elle sait pas, voilà, pas encore. Je souris un peu, je la regarde à nouveau. "oui, on est amies, c'est ça." enfin, je sais pas exactement ce qu'on est, je me suis jamais vraiment posé la question, moi, mais je l'aime, ça, c'est sûr, c'est certain, et puis, elle aussi, elle m'aime. Je crois que c'est suffisant. Après, pour trouver le terme exact, je sais pas faire, moi, ça, déjà que j'ai du mal à trouver mes mots, parfois, alors, là, c'est dur. Moi je trouve ça dur. "on se connait depuis des années." j'enchaîne, comme ça, pour apporter plus de détails, je sais pas. Peut-être qu'elle a eu sa réponse, je sais pas s'il faut que je développe, moi, elle m'a pas dit. "faut pas lui en vouloir à Lisa si elle est un peu sèche parfois, elle est pas méchante, enfin, faut pas lui en vouloir, elle dit des choses, parfois, mais c'est pas méchant, voilà, c'est une bonne personne, Lisa, juré, il faut pas lui en vouloir." je m'emballe un peu, peut-être qu'elle s'est montrée un peu froide avec Saana, peut-être que Saana ne l'apprécie pas. Il faut pas, ils la connaissent pas, Lisa, moi, je la connais. Je sais qu'elle s'énerve un peu contre les gens, parfois, mais je veux pas qu'ils se focalisent sur ça, elle est plus que ça, Lisa.

J'ai l'impression que c'est une épidémie cette année. On dirait que la moitié des candidats sont coincés / gênés / réservés, et que l'autre moitié sont blasés / agressifs / râleurs. A croire qu'il n'y a pas de juste milieu dans cette saison deux. A part peut-être Milo et Pipper, mes compatriotes de la mer qui ont l'air assez joyeux et affectifs. C'est bizarre, j'sais pas comment la Vieille Fée s'est débrouillée pour caster les gens cette année. Moi-même je me trouve dans la seconde catégorie de personnes. Enfin, je crois. Ça a l'air de vraiment perturber Lilou, que sa copine Lisa soit en train de dormir sans elle. A croire qu'elles sont inséparables au point de partager les mêmes horaires de sommeil. « Vous faites toujours tout ensemble ? » je demande, sans animosité aucune. C'est vrai, on dirait qu'elles sont comme les deux doigts de la main. C'est beau, une relation comme ça, en tout cas. J'en ai jamais connu. J'sais pas trop ce que ça fait et j'sais pas trop si j'ai envie de savoir. Non, je préfère ma liberté, je crois. Je sais pas. Elle semble perturbée, la petite blonde qui lève ses fesses pour s'asseoir auprès de moi. Décidément ça en fait des petites poupées à protéger cette saison. Je me demande quel âge elle a. Je vais pas lui demander. Je sens que ça la vexerait, je sais pas pourquoi. Intuition. Alors comme ça, elle m'a suivi. C'est ce qu'elle vient de m'avouer. « J'aurais pu trouver que ça faisait psychopate mais vu que c'est toi, ça me dérange pas. » je lui assure, en souriant un peu, avant de reprendre mon expression normale. Elle voulait réveiller Lisa, mais elle l'a pas fait. Lisa, ah, Lisa, ça a l'air d'être quelque chose cette Lisa. Elle me confirme qu'elles se connaissent depuis longtemps. Ça ne faisait aucun doute. « Et ils vous ont laissé intégré l'aventure ensemble.. » Heureusement qu'ils ne les ont pas mises en binôme, ça aurait été sacrément de la triche.

Elle me demande si on fait toujours tout ensemble. Je crois. Je ne sais pas trop. Non. Lisa, elle étudie. Moi, non. Mais je pourrais, peut-être, maintenant. Oui, je crois que je pourrais essayer. Avant, c'était compliqué, avec mes parents. Mais avec Lisa, c'est plus simple, beaucoup plus simple, je peux peut-être essayer. Je veux faire quelque chose, moi, quelque chose d'utile. Ou travailler, ce serait bien, ça, aussi, de travailler. "beaucoup de choses." je finis par répondre, parce que je crois que c'est vrai, ça. "il faut pas ?" je demande, à Saana. Si elle me demande ça, peut-être que c'est pas bien, d'être toujours ensemble. Je sais pas moi. Mais ça me va. Je suis bien avec Lisa, je veux pas qu'on me sépare d'elle, c'est tout. Je souris un peu, en voyant qu'elle sourit, elle aussi. C'est bien, j'imagine, qu'elle sourit. J'hoche la tête, lorsqu'elle reprend la parole. Ils ont pas eu le choix, de toute façon. Ils peuvent pas nous séparer, ils ont pas le droit, c'est comme ça. S'ils prennent Lisa, ils me prennent, c'est tout, sinon, aucune de nous, voilà. Mais je réponds pas ça, j'ai peur qu'elle pose des questions, Saana, des questions auxquelles je ne veux pas répondre, moi, pas encore. "c'est souvent, que tu n'as pas sommeil ?" je lance, comme ça. Moi, ça dépend des fois. Enfin, j'ai jamais vraiment envie de dormir, mais, parfois, j'ai besoin, voilà, vraiment besoin. Mais je veux jamais, j'ai peur de pas me réveiller, après, par exemple. Y'a pas de raison, temps que Lisa est là. Mais on sait jamais ? On sait jamais. C'est stupide comme peur, je crois. J'ai trop de peurs stupides. "tu fais des cauchemars ?" je demande ensuite, d'une petite voix. Peut-être que c'est ça, y'en a, c'est ça. Moi c'est pas ça, mais elle, peut-être.

Beaucoup de choses, qu'elle me dit. C'est ce que j'ai cru comprendre, oui. Peut-être même poussé à l'extrême, un peu. Ce duo m'intrigue, autant qu'il me fait peur. Les gens qui s'entendent à merveille et qui fonctionnent par deux naturellement sont toujours dangereux dans une émission comme la nôtre. « Si, si. » je réponds simplement. Elles font ce qu'elles veulent, je m'en fiche, je juge pas, moi, je posais juste la question. Pour savoir, pour pas mourir bête. Parce que ma curiosité est une garce et qu'elle me titille sans cesse, aussi. Ah ça non, elle me lâche pas, celle-là. J'suis juste spectatrice, moi, dans l'histoire. « C'est bien. » j'ajoute même. Parce que je vois bien qu'elle est pas sûre d'elle, cette petite blonde aux airs d'ange. Elle mérite de l'être, je pense que c'est une fille bien. Elle en a au moins l'air, en tout cas. Mes paroles neutres ont du mal à refléter mes pensées, mais je ne critique pas du tout leur relation, vraiment pas, je la trouve chouette au contraire ; cependant faut pas me demander de fangirler out loud sur leur amitié non plus. Ça non plus, les démonstrations excessives en public, je sais pas faire. En privé non plus, d'ailleurs ; j'ai du mal. La démonstration des sentiments tout court, c'est pas mon affaire. J'intériorise et c'est bien mieux comme ça. Sauf par les mots. « Par périodes. » Je crois que tout le bateau va finir par être au courant de mes problèmes d'insomnie passagers. Ça doit être au moins la troisième personne à qui j'explique ce souci. Du coup, je reste vague. Ils ont pas besoin de savoir, et c'est pas très intéressant. « Oui. » Des cauchemars, oui, j'en fais. Mais je me reprends aussitôt. « Enfin, ça m'arrive. » je m'empresse d'ajouter avant de hausser les épaules désinvoltement. Je pose mon regard sur mes pieds nus qui se balancent dans le vide. « Tu crois qu'il nous emmène où, ce bateau ? » Changement de sujet, done.

Peut-être que c'est pas bien, que je sois toujours avec Lisa, je sais pas trop, je me suis jamais demandé, moi. Peut-être que je suis un peu trop attachée à elle, je sais pas, je m'attache vite aux gens, moi, c'est vrai ça, et je m'attache beaucoup, peut-être que c'est pas une bonne chose, finalement. Avant, je pensais que si, moi, mais maintenant, elle me met le doute, Saana, c'est pour ça que je le lui demande. Moi, j'en sais rien, voilà. Mais elle me répond si, donc ça va, je crois. Elle ajoute même que c'est bien. D'accord. Ça me rassure, je souris, un petit peu. Mais je crois que ça n'aurait rien changé, qu'elle me dise que ce n'est pas une bonne chose, parce que, Lisa, je peux pas me séparer d'elle, moi, je peux rien y changer, on est comme ça, c'est tout, voilà. Même si je veux bien faire les choses, pour Lisa, c'est différent. Lisa, elle passe avant. On parle de son sommeil, maintenant. C'est par périodes, elle me dit. Elle doit être fatiguée, elle aussi, par périodes, si elle n'arrive pas à dormir. Elle fait des cauchemars. Oh. J'aime pas ça, les cauchemars, et je sais bien, que c'est pas plaisant, pas plaisant du tout. Quand on se réveille en sursaut, qu'on ose plus fermer l'oeil, qu'on est tout en sueur, tout essoufflé, et qu'on a peur de tout, là, d'un coup. Avant, j'en faisais, mais pas beaucoup, mais j'en fais plus, moi. Je la regarde, un peu désolée, parce que c'est pas agréable, voilà, je sais. Ma main s'approche de la sienne, pour l'attraper, comme ça, doucement. D'habitude, c'est ce que je fais, avec Lisa. Moi, ça me vient pas en tête, l'idée que je puisse pas faire pareil avec Saana. Vrai que j'aime bien toucher les gens, là, leur caresser le bras, la main, poser ma tête contre leur épaule, ou même les prendre dans mes bras. Je sais pas, j'en ai besoin, moi, d'être proche des gens. "ils sont sur quoi, tes cauchemars ?" je chuchote, presque. Mais elle préfère changer de sujet. Oh. "je sais pas." souffle, pour répondre à sa question, parce que je sais pas, moi, et je voudrais pas lui donner une mauvaise réponse, à Saana. "mais j'ai hâte d'arriver, je crois. je l'aime pas beaucoup, ce bateau." je lâche, ensuite. C'est vrai, ça, j'aime pas les lieux, j'aime pas les cabines, j'aime pas les couchettes, je peux pas dormir avec Lisa, elles sont trop petites. "tu sais, toi, où on va ?" je lui demande, ensuite.

J'ai des fourmis dans les jambes. Je me lève, je fais quelques pas dans la pièce, putain c'est petit, y'a pas de place, pas de place pour bouger, pour vivre, pour exister. On est pas censés être dans l'émission la plus regardée du monde magique, la plus classe, la plus cool ? Et on se retrouve dans un navire pourri ? Même moi la sirène des mers qui suis particulièrement à l'aise avec les marins et ce qui les entoure, je trouve ce bateau particulièrement atroce. Mal entretenu, vieux, étroit. J'ai pas signé pour Koh-Lanta, moi. Il était bien noté Golden Valor sur le contrat. « Sur le passé. » je lui dis. Mes cauchemars sont sur le passé. Si j'étais elle, je préférerais pas en connaître le contenu. Rien que d'y penser ça me donne le tourni. Voilà pourquoi je préfère ne pas dormir, pourquoi mon corps ne veut plus dormir. Marre des crises d'angoisse qui me réveillent en pleine nuit, fatiguée de lutter pour rêver d'autre chose. Alors ma tête a dit stop. Stop à tout ça. Je reste volontairement vague dans ma réponse à Lilou parce que crois-moi, tu ne veux pas en savoir plus. « Je sais pas non plus, mais j'attends de pied ferme le jour où l'on arrivera. » J'en peux plus, de ce bateau. D'être confinée dans une même cabine avec douze autres filles, aussi. Que des pestes pour la plupart. Heureusement qu'il y en a certaines comme Lilou, ou Pipper, ou Raisa. Des filles comme ça dieu merci il en existe encore une paire sur terre, et dans la mer. Puis un truc me vient à l'esprit. « Tu me la présenteras, Lisa ? » Elle a l'air de tellement compter pour elle. J'ai pas encore eu l'occasion de lui parler, juste de l'apercevoir pendant les activités et, elle avait l'air assez spéciale. Distante, froide, un peu comme moi mais dans une autre dimension encore.

Elle me répond qu'elle fait des cauchemars sur le passé, Saana. Je reste un petit instant silencieuse, à la regarder, comme ça. Je sais pas si j'ai le droit de poser plus de questions. je sais que ça agace beaucoup les gens, quand je pose des questions, beaucoup de questions, ils en peuvent plus, ça les énervent, d’habitude, ils préfèrent que j'reste silencieuse, je dérange pas, comme ça, en étant silencieuse. Mais je me les pose quand même moi ces questions. Depuis combien de temps elle fait des cauchemars comme ça. S'ils sont vraiment affreux, de quoi ils parlent, qu'est-ce qu'il s'y passe. Qu'est-ce qu'il s'est passé, aussi, pour qu'elle en fasse des mauvais rêves aujourd'hui. Mais je dis rien, je ravale mes mots, ceux qui veulent sortir de ma bouche, je me tais, je me force à rester muette, pour pas l'agacer, Saana. Elle non plus ne sait pas où est-ce qu'on va. Je préfère autant savoir, moi, je dis rien, je râle pas, mais je préfère savoir où on m'emmène, ça me gêne un peu, de pas savoir, comme ça. Elle aussi, elle attend de savoir, de voir où on va. Je crois qu'elle n'aime pas beaucoup ce bateau non plus. J'hoche la tête, pour montrer que j'écoute, mais, en vérité, j'écoute à moitié, voilà, seulement à moitié. Parce que je pense à ses cauchemars, moi, encore. Je peux pas me sortir ça de ma tête, maintenant. Je sais pas pourquoi, c'est pas si important, peut-être. Je suis curieuse, ça doit être ça. Je lève la tête vers elle d'un coup en l'entendant parler de Lisa. Elle veut que je la lui présente. J'esquisse un sourire. "Promis ! Tu vas beaucoup l'aimer, je suis sûre, tu vas voir." je réponds, parce que c'est vrai, ça, elle va l'aimer, Lisa. Je ne peux pas m'imaginer que quelqu'un ne puisse pas apprécier Lisa, de toute façon. C'est pas possible, ça. Je trouve ça drôle quand même qu'elle ne l'ait toujours pas vue, pour de vrai, parce qu'on dort toutes dans la même cabine, alors, quand même. Mais tant pis. "Dis, Saana... " je commence, un peu hésitante. Je sais pas si j'ai le droit, c'est ça, l'ennui. "quelqu'un t'as fait du mal ?" je me mordille un peu la lèvre, je la regarde toujours, vrai que je suis encore avec ça, avec son passé, à elle. J'espère que c'est pas ça, qu'on lui a pas fait de mal, mais j'attends, voilà.

J'me vois encore, là, dans mon lit, réveillée en sursaut et en sueur. Non, ça ne sert vraiment à rien que j'entre dans les détails. Alors je préfère changer de sujet. Et ça semble la réveiller un peu, Lilou, quand on parle de sa Lisa. Quelle affaire ça a l'air d'être cette Lisa. Oui, elle me répond que oui elle me la présentera. On va dire que je l'ai déjà croisée plein de fois mais jamais je n'ai trouvé de moment approprié ou même l'envie de lui parler. Mais l'éloge qu'en fait la petite blonde a fini par me faire changer d'avis, peut-être bien. C'était pas gagné. Beaucoup l'aimer, c'est pas sûr. Mais j'ai surtout hâte de découvrir pourquoi Lilou l'aime tant, cette fille. « D'accord. » Limite j'ai envie de lui proposer d'aller la réveiller maintenant, parce que j'trouve du coup qu'il est adéquat, ce moment-là, maintenant, dans le charnier. Mais je me rappelle ce qu'on a dit tout à l'heure: faut la laisser dormir, Lisa. « Si je ne m'entends pas avec elle, pour le bureau des plaintes je m'adresse à toi ? » je questionne, en un sourire. Puis la petite blonde recommence, avec mes cauchemars. Je sais pas pourquoi elle veut en savoir autant, je sais pas pourquoi ça l'intéresse comme ça. C'est pas intéressant. C'est moche, ça fait flipper et ça rend triste. J'veux pas qu'elle soit flippée ni triste, moi. C'est le genre de situation où tu dois comprendre qu'il ne faut pas insister. Mais j'lui en veux pas, à Lilou, j'lui en veux pas. Elle a l'air tellement sincère, tellement sympa. « Faut arrêter de parler de ces choses-là. Le passé c'est le passé c'est comme ça. » On croirait entendre ma mère. C'est sérieux, je deviens vraiment comme ma mère ? Je fronce les sourcils, puis prend un élan avant d'atterrir à nouveau les pieds au sol. Je fais quelques pas dans la pièce, comme si je cherchais un truc alors qu'en réalité je cherche juste comment retrouver la face. Puis je m'avance jusqu'au lavabo à nouveau, m'appuie les deux mains sur le marbre froid, et me regarde dans le miroir. Putain ce que j'ai du mal avec ce reflet.

Je secoue doucement la tête, lorsqu'elle me demande si elle doit se plaindre à moi, si elle ne s'entend pas avec Lisa. C'est pas envisageable, ça, dans ma tête, non, non. Les gens ne peuvent pas ne pas s'entendre avec Lisa. Lisa, c'est obligé qu'on l'aime beaucoup, c'est comme ça, je peux pas m'imaginer autre chose, moi, et je comprendrais pas, si on ne l'aimait pas, ma Lisa. "tu vas t'entendre avec elle, juré, elle est bien, Lisa, elle est vraiment bien." je me répète peut-être un petit peu, rien qu'un petit peu, mais c'est parce que c'est vrai, ce que je dis, il me semble, c'est tout vrai. Je la questionne à nouveau, sur ces cauchemars, pour savoir, et ça m'inquiète un peu, je crois, et je veux savoir, voilà. Mais elle veut plus en parler. Elle dit comme Lisa, à propos du passé. Les choses sont faites, et ça sert à rien d'y repenser, ça changera rien. Je reste un peu muette, du coup, maintenant. Je l'observe marcher un peu, dans la petite pièce. Peut-être que j'aurais pas dû lui en parler. Peut-être que maintenant, elle y repense, à son passé, et que ça va plus. Peut-être que je la rends triste, à cause de tout ça. J'ai encore pleins de questions, mais je me retiens de les poser, je veux pas la fâcher, Saana. Je la suis toujours du regard, lorsqu'elle regarde son reflet, là, contre le miroir. Je me mordille un peu la lèvre, je sais plus ce que je peux dire. "je suis désolée, pardon, je voulais pas... je voulais pas t'embêter avec ça. T'es triste, Saana ?" je demande, rapidement, dans un souffle, là, vraiment rapidement, je sais plus si je peux poser des questions, moi. Mais je me demande, quand même. Par rapport à mes questions, si ça la rend triste, ou si elle l'est avant, à cause de son passé, ou si elle va bien, vraiment bien, je sais pas. Mais je suis pas sûre qu'elle aille bien, vraiment bien, c'est pour ça, je me demande.[/color]

« C'est promis ? Je te crois alors. » Je fais, avant de poser ma main sur la sienne. Elle est mignonne, Lilou. Je me demande si ça lui arrive d'avoir des ennemis. Elle parait tellement adorable. Comme Pipper. Elles doivent s'entendre bien d'ailleurs, toutes les deux. Deux bisounours ambulants. Ça contraste au moins avec moi. Je relève la tête dans le miroir, puis me met dos à celui-ci. J'peux pas continuer à me regarder comme ça, j'peux pas c'est trop insupportable. Pourquoi faut-il qu'il y ait des miroirs partout dans cette foutue soit-disant salle de bain à la noix. Ah bah oui, une salle de bain c'est fait pour ça apparemment. Logique. Ça me fait le coup à chaque fois, quand je me rends chez des amis en ville. J'ai pas besoin de ça, moi, dans l'océan. J'le sais déjà que je suis canon toute façon. Haha non. « Je ne suis pas triste. » je répond sur un ton neutre. C'est plus de la tristesse, à ce stade-là. Moi j'ai même plus assez de larmes et de tristesse en moi, j'suis comme vidée. Depuis le temps. Sans doute pour ça que mon visage ne porte que rarement des expressions faciales. Y'a plus rien qui fonctionne, c'est comme si y'avait un truc de cassé en moi. Qui n'se répare pas, je pense. « Tu sais, des choses mauvaises arrivent parfois aux bonnes personnes. » Je sais pas comment lui dire, moi, à Lilou. Peut-être que si sa copine Lisa était là, elle capterait mieux le message. Mais j'vais pas lui dire ça comme ça. Pourquoi faut-il que même lorsque je ne suis pas chez moi, je pense à ça ? Que j'aie à parler de ça ? Mais c'est pas de sa faute, à Lilou, c'est pas sa faute. Ça semble la perturber, pourtant. Alors je culpabilise. Je me dis que peut-être que j'aurais simplement dû répondre que non, je fais pas de cauchemars, que c'est juste la pleine lune ou une mauvaise journée qui fait que j'ai du mal à tomber dans les bras de Morphée. Je me sens mal parce que ça va la travailler, maintenant, alors que faut pas, c'est pas important. Je me tourne vers elle avant de caresser ses cheveux. « C'est rien. Tu te sens prête pour le premier prime ? »