Ça manque un peu de trucs cools dans cette salle de remise en forme. C’est vrai, y’a bien un punching ball magique qui peut prendre la forme de n’importe quel candidat histoire de te motiver à frapper, mais je n’ai pas vraiment envie de suer aujourd’hui. Je me ferais bien un truc pépère du genre une partie de pouilleux ou des échecs, sauf que je préfère rester seul. Aussi je cherche une activité qui se pratique en solitaire et qui n’implique pas un balai –vu mes derniers exploits en la matière-. Et là, je trouve l’idée de génie : des fléchettes. Ouais, c’est carrément puissant. Alors je descends dans la cuisine pour choper trois petits couteaux, puis je vole un t-shirt blanc dans le dortoir des diamants sur lequel je dessine une cible approximative mais relativement ressemblante. Bon je vais pas non plus calculer les angles hein, ça suffira. Je remonte avec mon équipement de fortune, non sans oublier la photo prise par le Tigre de la ventouse et du bûcheron sous la douche, la plantant au milieu du rond à l’aide d’une punaise. Juste pour me motiver un peu vous voyez, c’est toujours mieux d’avoir la tronche d’une meuf qui a participé à ton humiliation en direct pour péter les scores. Je suis pas rancunier non, c’est juste que ça me fait du bien. Et puis je suis sûr que la production va adorer que je jette un peu d’huile sur le feu, genre cette rivalité entre elle et moi ça doit faire grimper l’audience. Je me recule de quelques mètres, attrapant le manche de mon premier couteau en fermant un œil. PAF. Merdique, j’arrive même pas à toucher le cliché. Je réalise tout juste un 4. Je grogne un peu avant de saisir ma seconde fléchette improvisée qui ne fait pas beaucoup mieux : un 12. Sérieux ? Bon allez faut que je me concentre là. Cette fois je fixe la cible pendant près de dix secondes avant de me lancer. WOW, en plein dans le mile ! Dans l’œil de la ventouse, putain j’aurais pas pu mieux faire, je suis trop un beau gosse. Je souris, franchement fier de mon coup, lorsque je perçois le bruit de pas qui se rapprochent dangereusement de la salle de remise en forme. Merde c’est pas possible, on ne peut jamais être tranquille ici. Je m’approche rapidement de mon jeu en tirant sur la photo au moment où la porte s’ouvre, un petit morceau restant planté, piqué par la punaise. Je la froisse dans ma main, faisant volte-face pour découvrir l’identité de l’intrus. OH PUTAIN, quel coup de pute du destin. J’espère qu’elle n’a pas eu le temps d’apercevoir mon petit manège, et j’essaie de l’embrouiller avant qu’elle ne puisse se poser la moindre question. « Tiens tiens mais qui voilà, tu viens travailler tes fessiers ? » Je lui demande en haussant un sourcil, ma main glissant dans mon dos. « Sage décision. » Je me tourne vers la cible pour récupérer mes couteaux avant de me rapprocher de ma position de tir, et d’elle par la même occasion. « Ton dos, ça va mieux ? » Je me renseigne quand même histoire de me montrer courtois, parce que je l’avais quand même salement amochée pendant notre entraînement, et je me demande même si elle n’a pas perdu son duel à cause de la fatigue.

Eukleia ressassait un peu. Elle avait encore perdu son duel. C’était… pitoyable, et elle s’en voulait énormément. Elle qui voulait montrer de quoi elle était capable à la face du monde, elle ne faisait pas réellement de prouesses depuis le début de l’aventure. Les dents serrées, elle râlait contre elle-même, couchée sur son lit dans le dortoir des diamants. Ouah. BON. Il était peut-être temps pour elle de se bouger à nouveau et de se mettre dès à présent à l’entraînement. Elle avait besoin d’une remise en forme. Il fallait qu’elle fasse chauffer ses muscles, pour ne plus compter uniquement sur sa magie. Elle sauta de son lit et commença à se rendre dans la salle de bain, histoire de regarder sa tête de déterrée. Hum, tout cela n’était pas fameux. Elle se tourna un peu. Son dos était encore plein de cicatrice, en souvenir à ce magnifique entraînement qu’elle avait effectué en compagnie de Sullipute. Même après avoir subi ses griffures, elle n’avait pas été capable de battre son adversaire en duel. Elle attacha ses cheveux et se rendit dans le vestiaire. Hé ! Mais qui venait de mettre à sac sa valise ? Elle fulminait. Les gens avaient peut-être envie qu’elle vienne les tuer avec les étouffant avec des rillettes dans leur sommeil. Elle fouilla dans ses affaires. Il lui manquait son tee shirt blanc de sport. RAAAAH. Elle en attrapa un autre, prête à découvrir – après son entraînement – qui avait osé se servir dans sa valise. Elle n’allait pas tarder à en être informée. Elle marcha d’un pas décidé jusque dans la salle de remise en forme où quelqu’un se trouvait déjà. Et merde. Pas lui. Comment était-il possible qu’elle ait autant de poisse à elle toute seule ? Elle venait en effet de tomber sur Sullivan. Celui-là même qui lui avait déchiqueté le dos au précédent entraînement. Sympathique, ce gars-là. Ses mâchoires se serrèrent un peu plus. Et encore, encore, encore plus quand elle aperçut ce qui se trouvait près de lui. « J’hallucine là ? » Son T-shirt blanc marqué au feutre rouge d’une croix… ET UNE PHOTO D’ELLE AVEC ADONIS. Il jouait aux fléchettes avec sa tronche ? Elle savait que c’était un véritable psychopathe. Qui avait accepté de faire rentrer ce fou furieux dans le château ?! Alors qu’il lui demandait comment allait son dos, il tentait de cacher sa cible portant la tête d’Eukleia, déjà bien amochée par une fléchette en plein dans l’œil. « En fait, t’es un abruti c’est ça ? » demanda-t-elle, d’une voix plate. Ouah, c’était quand même dingue de croiser un spécimen pareil. Elle secoua la tête, totalement désespérée, n’ayant même pas le courage de s’énerver devant tant de bêtise clairement affichée. Sullivan était une plaie. Et ce n’était pas nouveau.

Ok. C’est la merde. Je crois bien qu’elle m’a capté avant que je n’ai le temps de réduire la photo en bouillie entre mes doigts vu la tronche qu’elle tire. Merde c’est dingue, j’ai toujours une poisse de malade quand ça la concerne. C’est à peine croyable, limite je soupçonne le boutonneux de m’avoir jeté un sort. Je lui lance quand même le regard du parfait innocent en haussant un sourcil genre, quoi qu’est-ce que j’ai fait ? Mais bon, j’ai pas l’impression qu’elle gobe le poisson, alors je me gratte l’oreille un peu embarrassé. « Genre tu le découvres que maintenant. » Non parce qu’elle ne s’est pas gênée pour me traiter de noms d’oiseau depuis presque six semaines … « Je suis un mec jaloux en fait. » Ouais ça peut toujours passer ça, style je la kiffe secrètement et de la voir se taper le bûcheron ça me met dans des états pas possibles. Je crois bien que quelque part ça me fait un peu chier en plus. Si jamais je l’emmerde maintenant, je risque de me faire casser la gueule par son garde du corps armoire à glace. Enfin ce n’est pas comme si j’avais déjà été méchant avec elle, sauf pour son père, ça avait été un peu dégueulasse ce coup là, j’avoue. Mais bon moi j’ai jamais voulu la blesser, c’est pas de ma faute si elle passe sa vie à gueuler. « Enfin je suis étonné que vous ayez pu faire quelque chose étant donné que t’as l’air de la meuf perpétuellement indisposée. » Je me tourne vers elle, pointant mon index vers son visage. « Là. La petite ride au milieu de tes sourcils. » Si si, le pire c’est que c’est vrai, ça trahit toujours sa contrariété. Je lance un couteau sur ma cible sans même la regarder, un joli 18. Et puis je m'approche d'elle, me plantant à quelques centimètres de son corps. Je fixe longuement ses beaux yeux bleus, tordant légèrement mon cou, d'un regard provocateur. « Tu me trouves exaspérant. Absolument exécrable. Détestable. Un vrai chieur. Un emmerdeur. » J’attrape la main de la sorcière pour lui donner mes deux autres couteaux avant de m’avancer vers le t-shirt, dos au mur. Voilà, maintenant y’a ma tête au centre de la cible. « Tente ta chance. » Je lui dis simplement, un sourire au coin des lèvres. Elle en crève d’envie je suis sûr, de me planter un putain de couteau entre les deux yeux. Je lui offre la chance de sa vie, à condition qu’elle sache la saisir. Mais j’ai pas l’intention de la laisser faire hein, qu’on se le dise. J’ai des réflexes plutôt impressionnants, si jamais elle est douée aux fléchettes.

Un coup de flippe ? Je laisse échapper un rire moqueur. Elle est sérieuse là ? Je devrais l’enregistrer et lui repasser le truc à chaque fois qu’elle me traite de prétentieux. Parce que la meuf n’envisage pas une seconde que le problème puisse venir d’elle, genre de ses lèvres gonflées à l’hélium ou de son cul de mammouth par exemple. Genre j’ai flippé, la bonne blague. Enfin ça l’aide sûrement à mieux vivre avec le fait d’avoir été abandonnée comme une conne, du coup je ne vais pas lui enlever cette illusion. C’est fou comme elle parvient à m’exaspérer elle aussi, mais je m’abstiens de le laisser paraître, la plupart du temps. Elle s’obstine tellement à me mépriser que ça en devient étrange. Sérieusement, y’a un truc pas net dans cette histoire. Je suis presque sûr de ne pas avoir été odieux au point de mériter ce regard indigné et cette lueur assassine qui doit la faire hésiter à me planter un couteau dans l’œil. Je lui ai déjà demandé vous voyez, mais sa réponse ne m’a pas convaincu. Ça n’tient pas la route. Je lui évite une chute mortelle, je la sauve d’un sanglier affamé aux dents pointues, je la laisse me frapper, je la porte gentiment jusqu’à son lit en lui bandant le dos après l’entraînement alors que j’aurais pu la laisser agonisant au milieu de la fête foraine. Et pourtant elle fait une fixation sur mes paroles en éludant totalement mes gestes. Je crois que je vais abandonner hein, le dialogue sous-jacent qu’elle piétine allègrement. Trop subtil pour elle apparemment. Elle n’a pas non plus l’air de se rendre compte que sa tentative de me tuer avec une attaque d’insectes, celle de m’allumer dans l’unique but de s’amuser, celle de m’humilier devant des milliers de téléspectateurs aurait pu lui valoir bien plus que de simples sarcasmes. Sérieusement, c’est quoi son PUTAIN de problème à cette fille ? Y’a clairement un truc qui cloche dans sa caboche. Est-ce que je ressemble à quelqu’un envers qui elle éprouve une haine profonde et irréversible ? Est-ce que c’est parce que j’ai eu le malheur d’évoquer ses parents ? J’en reviens toujours aux mêmes questions, c’est exaspérant. Ou alors c’est juste une grosse pimbêche. Sauf que maintenant je m’en branle un peu en fait, je me suis habitué à son agacement systématique quand je me trouve dans les parages et je l’ai accepté, comme une sorte de résignation. Et je ne me prive pas d’enfoncer le clou puisque de toute façon, elle a choisi son camp avec moi. Alors je ferme ma gueule, et je reste parfaitement immobile quand elle jette les couteaux en direction de ma silhouette. J’ai le temps de m’apercevoir qu’elle ne vise pas mon visage ou un autre organe vital, et le reste je peux encaisser. Mais elle décide d’épargner mon corps pour se contenter d’épingler mon t-shirt, et ça encore souligne l’étrangeté de son comportement. Putain si elle me trouve aussi exaspérant, pourquoi elle ne profite pas de cette occasion ? J’attends qu’elle achève son petit discours en silence, ne manquant pas de laisser échapper un rire bref lorsque le troisième couteau m’entaille légèrement la peau. Parce que ce qu’elle dit c’est quand même hilarant. « Ça tombe bien parce que j’en veux pas des amis, et certainement pas des comme toi. » Ouais parce que visiblement, elle ne l’a pas encore pigé que ça ne m’intéresse pas, que je ne suis pas ici pour m’entourer et faire des rencontres. Que c’est la raison même de tous ces adjectifs et que par conséquent, sa question est mal posée. Il suffirait de la retourner pour avoir la réponse. C’est parce que je ne veux pas être ami avec elle que je m’évertue à demeurer aussi exécrable. Et parce que ça m’éclate aussi, effet secondaire profitable. Et avec elle, ça fonctionne bien mieux qu’avec n’importe quel autre candidat de ce château. Je tire le manche des quatre couteaux avant de les laisser tomber sur le sol, m’approchant de la jeune fille en haussant un sourcil. « Et puis explique moi quelque chose. Tu as si peu d’estime pour toi-même que t’étais prête à baiser avec un type exaspérant, insupportable et médiocre ? » C’est vrai, c’est une interrogation pertinente, aussi je me dis qu’elle ne doit pas beaucoup s’aimer pour avoir brûlé au contact de mon corps. Ou alors elle ment. « C’est ce que font les putes généralement. Sauf qu’elles se font payer. » J’ai décidé de ne plus me retenir là, si elle veut vraiment que je sois un connard je peux l’être. Galérer pour essayer de lui faire comprendre ce qu’elle est incapable de voir c’est terminé. J’ai trop donné vous voyez, trop donné. Je viens la défier tout près, le regard durci par la colère. « T’es une putain de salope aigrie sans aucun sens de l’humour avec autant de considération pour les autres que pour toi. » C’est exactement mon sentiment là, tout de suite, et je lâche ça d’un ton glacial. « T’es pire que moi en fait, et je crois que c’est ça qui t’emmerde profondément. » Mais je n’ai pas fini, parce que là elle n’a pas assez mal. « Je comprends pourquoi t’as des problèmes avec tes parents, avoir une fille comme toi ça a dû être la déception de leur vie. » J’espère au moins que je touche juste. Et je chasse toutes mes limites parce qu’elle me fait perdre le contrôle, parce que je cherche à la blesser autant qu’elle le fait, parce que j’essaie de coller au mieux au rôle qu’elle m’attribue. Et je souris en secouant légèrement la tête, claquant la porte de la salle de remise en forme, préférant fuir que de me confronter à sa réaction.

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