RAISA

Il est bien sympathique leur bateau, mais après avoir vu un bout de mer, on les a tous vu. Je commence à tourner en rond sur le pont. Trop d’eau, trop de soleil, je choisis de m’échapper direction le sous-sol. J’avance à pas lent, attentif à tout ce qui m’entoure. Les bruits, les odeurs. Je laisse mon doigt glisser contre l’une des parois, avant de me figer brusquement. Je jauge avec méfiance la silhouette qui se détache tout au fond du puits aux chaînes pour finalement revêtir mon sourire charmeur à l’attention de Raisa, vampire. C’est pour le moment tout ce que je connais d’elle. Faut dire que ce ne doit pas être évident de se lier avec les autres lorsqu’on vit complètement en décalé par rapport au reste des candidats. Pour preuve, elle est obligée de rester terrée dans ce trou atrocement sombre. « Salut. » je lance joyeusement. Je me suis toujours demandé comment le soleil agissait sur les vampires. S’enflamment-ils en une fraction de seconde ? Brûlent-ils lentement comme une côtelette de bœuf sur la grille d’un barbecue ? « Une ballade sur le pont vous réjouirez-t-elle ? » je propose, grand prince, les yeux pétillants de malice comme si je n’avais pas deviné à quel type de créature la jeune –ou vieille qui sait- femme appartenait. Quoi ? Je suis simplement curieux. J’ignore d’ailleurs si les vampires ont une sorte d’horloge biologique qui leur permet de savoir quand il fait jour et quand il fait nuit. J’imagine qu’il vaut mieux que oui, vu le machiavélisme que certains peuvent avoir envie d’exprimer. Ce n’est pas mon cas bien évidemment. Loin de moi toute envie d’évincer mes concurrents aussi aisément qu’en les entraînant hors de l’ombre.

J’ai encore des vieux réflexes, comme mon verre d’eau à la main, qui n’a strictement aucun intérêt puisque je n’ai pas soif. Je me cale dans l’une des parties les plus glauques de ce château en attendant la tombée de la nuit. Je n’ai rien d’autre à faire. Je finis par être dérangée par un candidat. Je m’arrête et je le fixe de loin avant de m’en approcher doucement. Je le salue d'un rapide sourire. J’écoute sa proposition, je pose mes prunelles froides sur sa personne, dénudées d’émotions pour le coup, tout simplement neutres. J’attends quelques secondes ainsi, immobile devant lui, ah, bien, il n’a rien à ajouter de plus.  « Très bonne blague, ouais. » Je réponds alors en levant les yeux au plafond, presque blasée pour le coup. S’il savait comme cela me coûte de devoir rester ici, de ne pas être comme lui, de ne pas voir la lumière du jour ... Genre je vais allée me faire griller volontairement. « Si tu veux me voir me transformer en torche humaine, il faut le dire franchement, tu sais. » Je lui lui dis en haussant les épaules avant de chasser d’une mèche de cheveux qui obstrue ma vision d’un geste plus que vif. J’imagine qu’il sait ce que je suis, évidemment. Je penche la tête vers la gauche, et je l’observe un instant. Et toi, qui es-tu ? Mon regard est attiré par des bouts de tatouages qui dépassent de son col. Je balance soudainement le fond de mon verre d’eau –qui ne me servait à rien- sur le jeune homme. Il ne se passe rien. « Pas triton déjà. » J’en déduis en esquissant un sourire discret. Ouais, je teste mes hypothèses pour voir si elles sont vraies ou fausses. Une vraie scientifique.

J’esquisse un léger sourire face à l’immobilité de la jeune femme. Ils sont si drôles les vampires avec leur air sans cesse blasé, celui de ceux qui ont déjà tout vu ou tout vécut. Arracher un rire ou une quelconque réaction à ces créatures n’est jamais chose aisée. Raisa ne déroge pas à la règle, m’observant fixement d’un œil aussi glacé que peut l’être sa peau. Je place mes mains en une position défensive, les paumes dressées dans sa direction criant en faveur de mon innocence tandis qu’elle m’accuse de vouloir la voir s’enflammer. « Qu…quoi ? Tu es un vampire ? » je feins de découvrir, les yeux aussi rond que des soucoupes. « Merde, alors… » je souffle en faisant mine d’assimiler le fait que je me retrouve face à une morte, mais qui peut bouger, parler et surtout me bouffer si l’envie lui prend. Je continue de jouer mon rôle à la perfection pendant qu’elle m’étudie le regard. Et là, je sens quelque chose d’humide me coller à la peau et des gouttes d’eau roulant sur ma peau. Je lève la tête dans la direction de la jeune femme, avisant le verre vide encore tendu dans ma direction. « Hééé… » je proteste mollement. Elle semble s’interroger sur ce que je suis, capable de virer l’hypothèse du triton puisque je ne me suis pas transformer en thon à l’instant où mon corps est rentré au contact de l’eau. Je revête mon sourire de crétin séducteur en rivant mes iris dans les siens. « Qu’est-ce que tu veux que je sois ? » je la défie avec délices, comme si je vendais mes charmes. C'est si facile pour moi de donner l'illusion que je suis autre chose qu'un humain. « Fé ? » je soumet une nouvelle hypothèse à son jugement. Je ferme pendant un instant mes yeux pour rassembler toute ma concentration et je fais apparaître un jet lumineux. Si son apparence est assez convaincante, il suffirait de se trouver sur sa trajectoire pour mesurer ô combien il peut être inoffensif.

J'observe le brunet en soit-disant pleine assimilation. On y croit tous, bien évidemment. Il discute avec une morte, quand même, il y a du niveau ! « Je sais, j'comprends ta réaction, c'est choquant. » Je feins alors en hochant la tête comme si j'allais dans son sens. Enfin, ça va deux secondes ça ... « Comme si ta proposition était tout à fait anodine. » Je lui réponds. Il est très mauvais comédien, enfin, là, sur le moment bien sûr, je ne peux pas juger l'intégralité de son "talent" voyons. Je mets un petit six sur dix, pour le moment. A moi de savoir ce qu'il est. Le coup est parti tout seul, mes yeux s'accrochent à la courbe que décrit l'eau avant de s'écraser lourdement sur le candidat, éclaboussant partiellement son visage aussi. J'esquisse un fin sourire tant la réaction du mec est lente. Il lui a fallu quelques secondes pour percuter quand même. En tout cas première observation, il est toujours debout, aucune écaille à l'horizon, il n'a pas bougé d'un millimètre même lorsqu'il a reçu l'intégralité du contenu de mon verre. « Pas de réflexe. » Je commente quand même d'un ton doux. Sa question me fait sourire et l'air qu'il arbore, encore plus. Mes lèvres s'étirent légèrement. Je l'observe avec attention se concentrer, mon regard fixé sur mon visage, j'attends la suite. Fé ? « Comme tu veux. » Je lui dis en haussant les épaules, j'attends de voir. Quelques secondes plus tard, un éclair lumineux jaillit dans la pièce. Un seul mot: lumière. Première réflexe de survie dû à ma condition, je recule. Je pousse quand même un soupir de soulagement, heureusement que ce n'est pas le soleil. Je me rapproche de lui en une seconde et je me plante face à lui, juste à quelques centimètres de lui seulement. « Fais moi voir autre chose. » Je lui demande alors, sans réellement lui laisser le choix, bien que le ton un tantinet autoritaire dans ma voix ne soit pas volontaire.

Pauvre petit chou qui n’aime pas que je me foute de sa gueule. A vrai dire, les vampires n’ont rien de plus choquant que les sirènes ou encore les humains capables de balancer des éclairs uniquement avec leurs doigts quand on y pense. Je dirais presque que c’est l’inverse. On est habitué à être bercé depuis notre plus tendre enfance hors du monde magique par les légendes de vampires, contrairement aux centaures ou satyres qui remportent moins de succès dans la matière. Là où ça devient juste un petit peu plus dégoutant c’est leur régime alimentaire à base de sang, mais après tout maintenant qu’il en existe du synthétique alors… Est-ce que ça fait mal les crocs ? Je plisse les yeux en essayant de les apercevoir pendant qu’elle continue de m’accuser de tous les maux. Rien. Je fais une légère moue déçue, avant de daigner lui répondre. « Je suis très anodin comme gaçon. » Si, si. Si je le dis… Raisa souligne mon manque de réflexe et je me contente de lever les yeux au ciel. Tant que ça ne reste qu’un vulgaire verre d’eau, je pense que je peux me le permettre. Je me lance dans mes propositions, réprimant un ricanement lorsque je la vois reculer face à mon rayonnement lumineux. Si elle savait à quel point il peut être inoffensif. Faux, surtout. Un simple hologramme qui ne ferait pas de mal à une mouche. Je sursaute en la retrouvant juste sous mon nez. Il y a une demi-seconde elle était là-bas et maintenant elle est ici. C’est perturbant, mais je me force à faire bonne figure en affichant à nouveau mon sourire un brin énervant. C’est qu’elle en redemande. « Loup-garou ? » je souffle. Je clos mes paupières pour les rouvrir afin de laisser dévoiler mes deux iris tout nouvellement jaunes. Je commence à hurler comme ces crétins le font dès qu’ils aperçoivent un bout de lune, mais je finis par manquer de m’étouffer dans un rire. C’est tellement bizarre et surréaliste de faire ça, faut vraiment être barge. « Et si… » je commence en plantant mes yeux qui ont retrouvé leur couleur normale depuis que j’ai relâché l’illusion. « J’étais un vampire ? » J’entrouvre les lèvres pour faire apparaître les deux longues canines tout droit sorties de mon esprit.

Anodin ? « Je ne vais pas te contredire. » Je lui lâche, platement en attendant la suite. Il se fait passer pour un loup. Ses yeux se transforme, je reste à quelques centimètres de lui alors qu'il se met à hurler comme ... un chien. Un sourire s'étire sur mes lèvres pâles, ridicule. Puis il enchaîne, un vamp ? Curieuse de voir ce qu'il va me montrer cette fois, il se concentre seulement sur la dentition. J'observe en plissant légèrement, je m'approche même de quelques millimètres supplémentaires de son visage. « Presque. » je lui réponds en examinant ses pseudos canines. Les miennes sont un peu plus longues, l'humain. Je retrousse ma lèvre supérieure et je lui laisse le loisir de découvrir que mes crocs sont rétractables. Mes canines font leur apparition. J’attrape de force sa main et je fais glisser l'un de ses doigts le long de l'une de mes canines, assez délicatement pour ne pas lui sectionner un doigt, malheureusement, juste assez pour ne laisser qu'une légèrement entaille superficielle. L'action ne dure que quelques secondes, de toute façon, il ne peut rien faire, il a une force de mouche. J'écarte son poignet de ma bouche et je regarde naître une goutte de sang sur sa peau, une seule. Je retourne sa main, paume vers le sol et j'attends qu'elle s'écrase lourdement contre le sol. Mes yeux s'accrochent à l'infime tachée foncée sur sol, je préfère ne pas me concentrer sur son odeur. Maintenant je fais quoi ? Vous êtes sûr que je ne peux pas drainer l'intégralité de son sang ? Non ? « Oui, voilà, je cherchais, elles ont l'air plus tranchantes, les miennes. » Je lui dis avant de décoller un par un mes doigts glacés de sa peau, le tout accompagné d'un sourire faussement éblouissant.« Ce n'est que visuel ? » Je l'interroge sur ses tours de passe-passe avant de le toiser.

Quelle petite garce qui vient confirmer mon côté anodin. Je devrais être le seul à avoir le droit de le dire. Je lui sers toutefois mon habituel sourire qui vient se confronter à son visage absolument dénué de toute expression. Je me lance dans une transformation vampirique en tentant de me figurer la forme que peuvent avoir leurs canines pour en faire apparaître deux parfaites répliques dans ma dentition. Je vois bien que j’ai davantage piqué son attention avec cette proposition que celle du loup. Je crois même qu’elle s’est un peu moquée de moi sur ce coup là. Garce, garce, garce. Les hurlements d’animaux sont ma spécialité, elle n’a pas le droit de penser le contraire. Elle est si curieuse qu’elle s’approche encore un petit peu pour se pencher sur ma bouche. C’est un peu étrange comme situation quand-même. Elle, étudiant ma mâchoire. J’ai le droit à un vulgaire presque. Je fronce les sourcils quand elle fait apparaître ses deux canines, encore un peu plus lorsqu’elle se saisit de ma main. J’essaye de m’y opposer, mais je ne suis même pas sûr qu’elle se rende compte de ma résistance tant sa force est supérieure à la mienne. D’ailleurs, ça m’embête quelque peu cette histoire. D’où un petit bout de femme comme ça peut réunir autant de puissance, sérieux ? Elle fait glisser mon doigt le long de sa dent et je me dis que, définitivement, les créatures magiques ont des agissements bien bizarres. Heureusement qu’ils ont leur propre monde d’ailleurs. Fidèle à sa nouvelle réputation de garce, elle m’entaille légèrement ma peau si douce et si fragile. Et, JE SAIGNE. C’est pas une sorte d’agression, ça ? Elle est où la vieille quand on a besoin d’elle ? Je ne la quitte pas des yeux pendant qu’elle, elle fixe ma main. « Non, je ne suis pas un fé transformé en vampire et qui a ensuite été mordu par un loup-garou… » je me moque quand elle m’interroge sur mes petites démonstrations. D’ailleurs, c’est possible quelque chose comme ça ? « Ce sont des illusions. » je précise avec un brin de fierté. Je porte mon doigt à ma bouche, absolument pas dans un désir de provocation à son égard simplement pour faire coaguler le sang plus rapidement, mes prunelles dans les siennes. J’en jubilerais presque. « Je me suis toujours demandé, les vampires peuvent-elles être qualifiées de cougars ? Tien, t’as quel âge toi par exemple ? » Je suis sûr qu’elle est super vieille vu l’ennui qu’elle semble arborer perpétuellement quant à ce qui l’entoure.