Ronfler autant, ça ne devrait pas être autorisé par la loi, et encore moins par la prod’. Je me suis demandé un moment si cette fouine de vieille fée n’avait pas installé un haut-parleur dans sa tente magique pour diffuser ces ronronnements réguliers histoire de nous empêcher de dormir, mais je me suis rapidement rendu compte que ces grognements émanaient d’une silhouette sur ma droite. Probablement le bûcheron, vu la carrure. Quoique j’ai déjà eu des créatures fines et adorables dans mon lit qui faisaient plus de bruit qu’une machine à laver. Enfin je me dis que de toute façon c’est le deuxième soir, et que ma plastique de rêve ne souffrira pas trop de quelques heures en moins. D’autant que je suis habitué à dormir peu, c’est une perte de temps. J’enjambe quelques candidats pour me frayer un chemin jusqu’à l’extérieur, et la première chose que je distingue à travers le clair de lune –heureusement pas pleine- est l’étendue d’eau qui scintille sous les rayons pâles. Ne dites pas le contraire, vous venez d’avoir la même idée que moi. Je m’approche du bord tout en vérifiant qu’aucun panneau magique n’indique une interdiction quelconque, comme celle de se foutre à poil pour un bain de minuit –bien qu’une éventuelle restriction m’aurait probablement poussé à la briser-. Satisfait de n’en trouver aucune, je retire mon t-shirt sombre pour révéler mon corps d’Apollon au grand public, petits chanceux. Je ne suis pas du genre pudique, après tout si ça dérange quelqu’un c’est qu’il est probablement mal voyant, et je suis convaincu de faire un cadeau à l’ensemble des candidats et des téléspectateurs en faisant tomber mon boxer sur le sol. Bon je jette quand même un regard derrière mon épaule pour vérifier que je suis seul et plonge rapidement dans le lac, histoire qu’on ne me qualifie pas d’exhibitionniste dès les premiers jours de l’aventure. La fraîcheur de l’eau me saisit et mes muscles se tendent instinctivement, à tous les coups cette vieille bique vient de faire baisser la température de cinq degrés, parce que je n’avais pas le souvenir que mes orteils s’étaient gelés lorsque je les avais trempés plus tôt dans la soirée. Bref, on va dire que c’est revigorant et puis ça reste le pied de pouvoir faire un truc pareil même dans un liquide glacé, un pur moment de solitude bien méritée. Je commence par quelques brasses coulées, fermant les yeux pour éviter de me choper une infection avec les merdes qui traînent là-dedans, mais le rêve se transforme bientôt en cauchemar. Un truc gluant se referme sur mon pied au moment où mon épaule est heurtée par une chose dure et brutale. Je vis ça comme une agression –qui dira que ce n’en est pas une ?-, persuadé qu’un mécanisme a été installé pour emmerder les baigneurs paisibles, une sorte de test avant l’heure. Si ça s’trouve, un monstre aquatique a été chargé de révéler ma capacité à combattre, ouais c’est obligé. « Si tu crois que tu vas me baiser comme ça, toi. » La double signification de cette phrase est parfaitement involontaire, bien qu’adaptée à la situation. Alors, dans ma volonté de montrer à l’ancêtre que Sullivan est un gagnant, je plaque violemment ma main contre la chose qui m’a heurtée et qui ressemble à Samara dans The Ring en la poussant sous l'eau pour la maintenir hors de moi. De toute façon, si c’est une créature qui vit dans le lac elle doit avoir des branchies ou un truc comme ça, je ne risque donc pas de la blesser mortellement en maintenant sa tête hors de l'oxygène nécessaire à tout être humain -ou presque-.

Les nuits dernières avaient été éprouvantes et Eukleia souffrait d’un manque de sommeil incroyable, pourtant elle n’arrivait toujours pas à s’endormir malgré le temps qui défilait et son enfoncement un peu plus loin dans la nuit. Elle soupira dans son lit de camp au milieu des respirations qui montaient crescendo et qu’elle ne pouvait supporter. Elle espérait au moins que Serafin ne faisait pas une telle imitation du bruit des machines à laver des humains-ignorants. Il ne restait plus beaucoup de nuit au sein des tentes et bientôt elle pourrait retrouver un lit douillet. En attendant, il fallait faire avec. Et elle préférait s’extirper de l’intérieur des tentes plutôt que de subir plus longtemps la symphonie que lui offraient ses congénères. Elle sortir lentement dehors. La chaleur était agréable cette nuit-là, plus importante que les deux autres nuits qu’elle avait connues ici. Ses yeux se plongèrent dans la contemplation du lac calme qui se trouvait à leur disposition. Elle jeta un regard alentour. Tout le monde dormait. C’était le moment pour… un bain de minuit. Elle adorait ça et était persuadée que les producteurs adoreraient aussi quand ils verraient l’audimat grimper devant ses jolies fesses dénudées. Elle sourit. Déjà, ses vêtements tombaient au sol et elle rentrait dans l’eau glacée. Il fallait qu’elle ne cesse de bouger pour que ses muscles ne se glacent pas dans l’eau. Il serait vraiment ridicule de perdre l’aventure pour un bain de minuit gelé. Alors qu’elle nageait tout en savourant la tranquillité de ce moment, elle aperçut un peu plus loin une silhouette. Sa vue perçante lui permettait de découvrir que se trouvait devant ses yeux le pauvre idiot qui avait fait son malin au cours du prime. Elle sourit de plus belle, elle avait une petite farce en tête. Elle se rapprocha un petit peu puis elle plongea son l’eau. Elle se trouvait à présent près de ses jambes. Elle attrapa un de ses pieds et l’enferma entre ses mains. Elle le sentait déjà s’agiter. Il mourrait de trouille ce loup mouillé. Elle s’amusait à remonter un petit peu le long de la jambe et à le mordiller un petit peu. Cela aurait pu paraître sensuel, mais c’était juste… sadique. Seulement, au moment où elle voulut remonter car elle avait besoin d’oxygène, elle sentit les mains de Sullivan se poser sur son crâne et la maintenir dans l’eau. Elle s’étouffait mais la force de ce loup garou était trop forte pour qu’elle puisse la contrer. Alors qu’elle sentait ses propres forces l’abandonner, elle leva ses mains vers Sullivan et lui appliqua un sort qui l’envoya valser en arrière. Elle se releva d’un coup et prit un grand bol d’air avant de s’écrier : « MAIS C’EST QUOI TON PROBLEME PUTAIN ?!! T’as tant peur de tes adversaires que t’essaie de les noyer ? PAUVRE MALADE. » Alors qu’il se relevait, elle renvoya un sort qui le refit tomber la tête la première dans l’eau. Sa colère grandissait au fur et à mesure qu’elle voyait sa tronche devant ses yeux. Mais, malheureusement, elle ne pouvait pas le tuer tout de suite, cela aurait fait mauvais effet. « Y A INTERET QUE JE TOMBE EN DUEL AVEC TOI, que je puisse dégommer ta sale gueule ! »

Je suis à peu près convaincu d'être attaqué par le monstre du Loch Ness jusqu'au moment où une décharge m'envoie valser, m'obligeant à exécuter une parfaite pirouette. Pas de quoi m'éloigner de la silhouette qui commence à hurler, mais suffisamment pour m'enfoncer à un bon mètre sous l'eau et calmer mes ardeurs. J'émerge de nouveau en plissant les yeux pour reconnaître la propriétaire de cette voix stridente. « Oh merde, mais c’est toi ventouse buccale ? » Ouais je sais, je sais, ne dites rien. En même temps, comment j’aurais pu imaginer qu’une candidate s’amuserait à me faire des attouchements aquatiques dès le premier soir ? C’est vrai, vu ma plastique j’aurais pu m’en douter, mais habituellement elles ne sont pas aussi entreprenantes. J’ai à peine le temps de glisser une main dans mes cheveux humides qu’elle recommence avec sa magie. BON SANG, je déteste la magie. Je relève la tête et la fixe de mes yeux brillants de loup garou. « BON T’AS FINI PUTAIN ? » Je lève les bras et les fais retomber dans l’eau avec une certaine fureur que je calme rapidement. Pas mon genre de me laisser envahir par la colère, et pourtant ce serait la solution la plus simple et la plus adaptée à la situation. J’aime autant vous dire que cette petite accroc de la piqûre a de la chance de me trouver dans ma forme humaine, sinon elle aurait déjà une jambe en moins à l’heure où je vous parle. « Y’aura pas besoin d’attendre les duels si tu continues à me faire chier poupée. » Je poursuis ma transformation animale, faisant apparaître des crocs acérés en plus de mes iris jaunâtres, attrapant sa nuque comme si je m’apprêtais à la mordre. Sauf qu’il y a un truc qui chatouille mon torse, et qui brise mon élan. Je baisse la tête vers l’eau, interloqué. « Mais … t’es à poil bordel ! » Je relève mon visage débarrassé de toute trace animale en riant, comme si je n’étais pas dans une situation identique. Non non. Je me recule quand même un peu, même si la sensation n’est pas désagréable, cessant de faire entendre ma voix dans l’obscurité. D’habitude quand je me retrouve nu avec une nana, on ne s’engueule pas comme deux poissonnières à la criée. Et c’est alors qu’un déclic se fait dans mon esprit. « Tu m’as suivi, c’est ça ? » Ca me paraît tellement évident maintenant que je me demande pourquoi je n’y ai pas pensé avant. Il fallait bien que l’une d’elle passe à l’attaque, seulement je me disais qu’elles attendraient un peu d’être assaillies par les hormones, quelques jours au moins. « Tu sais, si tu voulais baiser y’avait qu’à demander. » Et je lui sors mon sourire de tombeur à deux francs six sous, légèrement moqueur aussi, parce que je me doute au fond de moi que j’ai sûrement tort et qu’elle va repartir pour une séance de magie gratuite.

Le petit surnom ne passe pas. Mais alors mais pas du tout. « A croire que c’est moi, saleté de pré… » Elle plonge sous l’eau le temps d’une minute et relève la tête pour terminer sa phrase. « Oui c’est bien ça, pré-pubère ou mal servi. Pour un loup, c’est décevant. » Eukleia sentait la colère l’envahir un peu plus. Elle n’était pas prête à oublier la main de ce loup de fête foraine sur son crâne tentant de l’étouffer du mieux qu’il le pouvait. Déjà, la sorcière pouvait voir des crocs jaunâtres particulièrement dégoutants se former sur le visage déjà pas gâté de Sullivan. « On devrait te parquer, l’caniche. Et t’offrir un petit passage chez le dentiste, ça s’impose. » Il était énervé aussi, le clebs. Et, il ne tardait pas à être choqué face à la tenue d’Eve d’Eukleia. Comme si lui-même n’était pas nu devant elle ! « Je sais bien que tu n’as pas eu beaucoup l’occasion de voir des filles nues, mais voyons ne prend pas cet air choqué, ça déforme encore plus ton visage. » Elle leva les yeux au ciel. Cette rencontre était carrément affligeante et elle avait hâte de mettre fin à cet entrevue hasardeuse. C’était sans compter les gamineries de ce loup d’opérette. Il en venait à présent à affirmer qu’elle l’avait suivi. Elle lui servit un rire jaune et une réplique cinglante en guise de réponse : « Ton narcissisme est ridicule car non justifié. Qu’est-ce que j’en aurais à foutre de suivre un clébard de ton espèce ?! » Mais elle n’était pas au bout de ses surprises, le comble du ridicule arrivait enfin, tel un dessert empoisonné. Et risible. « Tu sais, si tu voulais baiser y’avait qu’à demander. » En entendant ces mots, Eukleia s’étouffa presque avec sa propre salive. « J’hallucine. C’est que t’as réellement un problème en fait. Faut aller consulter là, c’plus possible. » Elle n’en revenait pas de tant de narcissisme. « Et remballe ton sourire, Don Quichotte. Si personne ne te l’a dit avant moi de peur de se prendre un coup de canines, je vais te faire la faveur de te dire que le peu que j’en ai vu… » Elle baissa les yeux vers l’entrejambe du minet. « … n’est même pas attrayant. » Sourire glacial.

Bon dieu j’ai jamais rencontré une fille aussi bavarde, la logorrhée c’est un symptôme de maladie mentale, non ? Je savais que les sorcières étaient chiantes, mais à ce point-là … J’hésite à l’assommer pour la faire taire, mais je renonce parce que je crois que ça ne se fait pas, et puis la vieille fée pourrait bien me balancer au cachot pour ça, par solidarité féminine. Franchement, elle aurait pu se contenter d’un ‘va te faire foutre’, j’aurais aussi bien compris le message. Mais la geisha, qui est d’une susceptibilité équivalente à celle de ma forme animale, me gratifie à la place d'une crise d'hystérie et préfère déblatérer au sujet de mon anatomie. A croire qu’elle fait une fixation là-dessus, pour quelqu’un qui n’est pas intéressé je trouve qu’elle en parle beaucoup. « Du calme, ma belle. Est-ce que je m’emballe moi, quand une fille suggère que je cherche à la sauter, hein ? » En même temps, quiconque me fera cette remarque aura probablement raison, mais je ne comprends vraiment pas pourquoi elle se met dans des états pareils. Comme on dit, ‘y’a que la vérité qui blesse’. C’est d’ailleurs pour ça que je ne m’offusque pas de ses diverses insultes à propos de mon outillage, que je sais parfaitement parfait. De toute manière, même Rocco Siffredi perdrait dix centimètres dans cette eau glaciale. Néanmoins je tiens à souligner un élément essentiel, au cas où des téléspectateurs influençables se laisseraient convaincre par son petit discours à peine crédible. « Cela dit j’admire ta vision nocturne et aquatique, deux en un. C’est une nouvelle option chez les sorcières de nouvelle génération ? » Parce que laissez-moi dire une chose, j’ai plongé deux fois sous cette eau boueuse remplie d’algues sans apercevoir la moindre parcelle de peau, sinon je me serais rendu compte bien plus tôt qu’elle était en tenue d’Eve. Oh bon sang, mais elle recommence ? La sensation d’un corps étranger qui se frotte à moi me paralyse de nouveau, glissant sur mes reins. Toutefois, au vue du regard dédaigneux qu’elle me lance, je me dis qu’il doit s’agir d’une espèce de poisson cannibale amoureusement placé là par notre vielle peau préférée. Je déteste cette alternative, pourtant cette fois je parviens à conserver mon calme. Si ça se trouve, un autre candidat essaie de me passer sur le corps. Je fais glisser ma main derrière mon dos en fronçant légèrement le nez, la refermant sur un truc gluant qui ressemble au toucher à un serpent de mer à deux têtes ou une anguille bariolée –charmant surnom dû aux petits boutons qui apparaissent sur le corps du malheureux qu’elle pique-. C’est dégoûtant et un peu risqué si j’ai raison, mais j’ai une motivation particulièrement … motivante. « Et puis, ce n’est pas moi qui me suis amusé à te mordre le mollet, faut assumer un peu. » J’ajoute finalement d'un sourire mutin pour l’embrouiller en tendant la main dans sa direction, écartant mes doigts pour libérer l’animal visqueux. Normalement, sa trajectoire le conduira directement entre les jambes de cette sorcière –dans tous les sens du terme-, et je dois bien avouer que je l’envie secrètement.

Bon. Il était temps de se calmer. Elle allait passer pour une folle furieuse. Bon, elle l’était peut-être un peu sur le coup mais après tout Sullivan l’avait cherché en essayant de remplir les poumons de la sorcière par l’eau du lac. Pourtant, le loup d’opérette ne semblait pas un poil impressionné et cela agaçait aussi Eukleia. Elle n’avait plus envie de perdre son temps à parler avec ce prétentieux – à croire que ceux qui se ressemblent… ne s’assemblent pas. Elle plongea sa tête un instant dans l’eau et en ressortit immédiatement. Des gouttes d’eau perlaient le long de son cou, son calme revenait petit à petit. Elle décocha à Sullivan un regard moqueur. « On ne peut pas réellement parler de quelque chose qu’on ne connait pas, mon p’tit loup. » renchérit-elle en réponse à la provocation du jeune homme. Il ne semblait pas en avoir fini avec leur petite conversation ridicule et Eukleia commençait à en avoir sérieusement marre de l’entendre piailler à quelques mètres d’elle, d’autant que le contact avec les quelques misérables algues présentes dans le lac commençait à devenir carrément désagréable. Pourtant, il continuait sur sa lancée : « Cela dit j’admire ta vision nocturne et aquatique, deux en un. C’est une nouvelle option chez les sorcières de nouvelle génération ? » Il semblait avoir été piqué au vif par la remarque d’Eukleia concernant ce qui se trouvait – ou pas – entre ses jambes. « Tu es un loup garou et tu ne vois même pas sous cette eau ? La lune éclaire suffisamment je t’assure. Mais si tu y tiens tant, disons que c’est l’eau glacée qui rend cette ‘chose’ – je ne saurais pas appeler autrement ce que je viens d’entrapercevoir – aussi minuscule. Du moins, je l’espère pour toi ! » Elle ricana. S’il y avait bien un défaut qu’on ne pouvait associer à Eukleia, c’était bien la mauvaise Foi ; elle disait tout, du tac au tac, comme elle pense. Franche jusqu’au bout des ongles, elle ne mentait jamais – ou seulement dans les cas extrêmes pour se sortir d’une situation délicate ou tout simplement pour manipuler une âme fragile. Bref, chers téléspectateurs si vos télés ou le flou ajouté par les producteurs vous empêchent de voir ce qu’il y a sous l’eau, sachez qu’il n’y a rien de glorieux. Etait-ce dû à l’eau glacée ? C’était à vérifier, pensa Eukleia. « Et puis, ce n’est pas moi qui me suis amusé à te mordre le mollet, faut assumer un peu. » ajoutait-il finalement. « A moins que tu ne veuilles me faire une nouvelle révélation sur ton anatomie, je doute que tu respires par le mollet. Ce n’était qu’histoire de te faire un peu peur, comment aurais-je pu me douter que tu serais tellement terrifié que tu tiendrais ma tête sous l’eau. » Elle leva les yeux au ciel. Ce gars-là était plus qu’affligeant. Soudain, elle poussa une… sorte de petit cri. Elle baissa les yeux vers sa cuisse : un mollusque y était collé et semblait parfaitement heureux de pouvoir lui sucer la peau. « C’EST QUOI CE LAC. » En un sortilège, la bestiole gluante s’était envolée un peu plus loin. Néanmoins, la peau d'Eukleia avait été brûlée par la créature qui, manifestement, l’avait trouvée à son gout.

Je ne juge pas utile de lui signaler que les loups-garous ont certes un odorat et une ouïe particulièrement développée, mais que leur vision est généralement plus mauvaise que la moyenne. Ils ont un petit avantage dans l'obscurité, c'est vrai, mais ce n'est pas non plus une vision infra-rouge qui me permet d'évaluer la taille de sa poitrine et à quand remonte son dernier passage chez l'esthéticienne. Je préfère me taire, parce que sinon elle n'a pas fini de jacasser. D'ailleurs je prends un malin plaisir à l'entendre gémir sous l'attaque de mon petit messager, l'envoyant valser à coup de magie -je compatis mec-. « Attends mais … tu ne viens pas juste de réagir d’une façon identique à la mienne en te faisant aspirer la jambe ? » Pour ne pas dire bien pire. Un sourire moqueur se dessine sur mes lèvres tandis que je lui fais comprendre qu’elle a légèrement sur-réagi suite à mon agression involontaire. Parce que si j’avais été à sa place, tel ce pauvre mollusque, j’aurais été grillé direct, sans sommation. Je ne juge pas utile de m’étendre davantage sur le sujet, la laissant se rendre compte toute seule qu’elle a de quoi avoir honte, mes yeux parcourant la surface du lac où la pauvre victime de ventouse buccale repose en paix. « Meurtrière. » Je tends le bras pour soulever de deux doigts le corps inanimé du poisson visqueux qui a eu le malheur de rentrer en collision avec cette hystérique, l’étudiant sous toutes les coutures. « Oh merde, je savais bien que cette connerie était une anguille bariolée. » Oups, je crois que je n’aurais pas dû dire ça comme ça, puisque ça sous-entend que j’ai déjà vu ou senti ce truc quelque part. Mais j’espère que la perspective de s’être faite piquer par un truc dangereux va la détourner de ce détail ma foi compromettant. « Elle t’as piquée ? Brûlée ? Parce que si c’est le cas t’as quinze minutes pour agir avant de ressembler à une gamine qui vient de choper la varicelle. » Et le pire, c’est que je suis sérieux. Ces bêtes-là c’est comme des serpents, ça te colle un truc dont elle n’a pas franchement envie, si vous voulez mon avis. Ça m’est arrivé une fois quand j’étais petit, et j’ai refusé d’aller à l’école pendant cinq semaines. Si les autres gamins m’avaient vu dans cet état, c’en était fini de ma domination sur ces losers. Ah, l’âge ingrat … « Et la magie n’y pourra rien. » Je juge utile de lui préciser, parce que je l’imagine déjà se jeter des sorts curatifs à la pelle pour se débarrasser de l’infection. Puis je relâche la bestiole qui m’échappe avec vivacité avant de replonger dans le lac –merde, il n’était pas mort ce truc-là ? D’habitude je sais mieux reconnaître les cadavres que ça, quoiqu’un vampire ou deux s’est déjà réveillé sous mon bistouri-. « En même temps j’vois pas pourquoi je te dis ça, la perspective de faire ma comptabilité sur ton dos est assez alléchante ... » Je me mordille la lèvre en haussant les sourcils l’air de dire ‘ouais, dommage hein’. Si je pouvais, je m'en lécherais les babines.

La brûlure prenait de l’ampleur sur la cuisse de la sorcière et la douleur se faisait de plus en plus vive. Eukleia s’apprêtait à utiliser un de ses sorts pour soigner la blessure mais Sullivan lui fit comprendre que cela serait tout à fait inutile. Or, il semblait qu’elle n’avait plus que quinze petites minutes pour trouver une solution à sa brûlure qui, au cas contraire, ne ferait qu’empirer. Elle inspirait, expirait, dans le but de faire passer la douleur. Une grimace se dessinait sur son visage et elle ne faisait même plus attention aux bêtises que débitait Sullivan à côté d’elle. Elle commençait à nager vers le bord, même si sa jambe semblait presque paralysée. Du moins, elle avait un mal fou à la faire bouger de manière coordonnée avec l’autre. Soudain, elle s’arrêta. « Sullivan, je dois faire quoi pour soigner ça ? » Elle savait qu’il devait connaître la réponse sinon il ne lui aurait pas annoncé qu’il ne lui restait plus qu’un quart d’heure avant d’elle ne ressemble à une grosse fraise boursouflée. Pourtant, quelque chose lui disait qu’il allait être assez compliqué de lui extirper cette simple information – d’autant que sa patience était alors au point zéro étant donné la violente douleur qui traversait toute sa jambe. Elle baissa les yeux, malgré la pénombre elle voyait la tache rouge s’agrandir au fur et à mesure. Ce qui était carrément désespérant c’était de le voir tout content ; elle ne serait même pas étonnée d’apprendre que c’était lui qui avait fait en sorte que la bestiole la brûle. Le problème primordial de ce contentement était le fait qu’il se plaisait particulièrement à la voir souffrir. En somme, il ne serait pas prêt à lui délivrer le précieux remède… Pourquoi avait-il fallu qu'elle ait été brûlée et que la seule personne réveillée connaissant la réponse pour soigner cela fut ce foutu loup ? Le sort s’acharnait sur elle.

Bon sang, j’ai rarement autant jubilé de ma vie. L’hystérique s’est désormais calmée et tente de rejoindre la rive avec autant d’efficacité qu’une baleine sur le point de s’échouer. Il faut dire que la douleur doit sacrément réduire sa liberté de mouvement, et lui cloue le bec par la même occasion. Ave maria, merci mon Dieu ! Et tout d’un coup elle me regarde avec ses petits yeux de Bambi en s’adressant à moi comme si j’étais son sauveur. En même temps, c’est exactement ce que je suis à ce moment précis, et je savoure ma position non sans un certain plaisir vicieux. Je m’attends presque à ce qu’elle pleure à chaude larmes, qu’elle me propose son corps pour une nuit, qu’elle m’implore de lui pardonner son sale caractère. Mais non, rien de tout ça, aussi je décide de me servir moi-même. Je la rejoins de quelques brasses, scrutant à travers l’obscurité ses yeux qui reflètent l’angoisse dont elle est saisie. Visiblement mes paroles ont fait mouche, la sorcière est morte de trouille. Je calcule mes chances de réussite pendant quelques secondes, prolongeant cet échange de regard qui –si elle me connaissait bien- ne présage rien de bon pour elle. Une respiration plus tard, mes lèvres viennent attraper les siennes pour leur offrir un baiser que je l’empêche d’esquiver en glissant ma main derrière sa nuque –même si l’effet de surprise suffira probablement-. Puis je me recule aussi rapidement que j’ai accompli mon geste, histoire d’éviter les conséquences immédiates d’une telle violation de l’intimité et de refréner le désir insidieux qui me pousserait à la violer sur place –quoiqu’un tel exercice se révélerait probablement très compliqué-. Finalement, je me contente de hausser les épaules. « Ouais, pas plus bizarre qu’embrasser une black. » Et je dis ça comme le mec qui veut simplement voir l’effet que ça fait de toucher des lèvres aussi volumineuses, comme si ce n’était qu’une expérience, en somme. Alors qu’en vérité, ça n’avait pas d’autre objectif que l’emmerder. Parce que je sais qu’à cet instant présent –si elle a assez de cervelle-, elle n’a pas intérêt à me réduire au silence par sa violence. Une gifle peut-être, un hurlement de colère … Aussi je décide de m’éclipser avant de lui en laisser la chance, rejoignant le bord du lac où reposent mes vêtements d’un crawl rapide. Je sors de l’eau, lui offrant la vue de mon postérieur –mais je suis certain que ça ne la choquera pas étant donné qu’elle a soi-disant aperçu le reste-, enfilant mon boxer en sifflotant, tel le parfait connard fier que je suis. Je saute dans mon jean sans le boutonner, prenant bien le temps de prolonger sa souffrance, et tourne finalement mon visage vers un arbuste planté près du lac et que j’ai repéré dès le premier soir. En voyant ce truc j’ai d’ailleurs hésité à sauter dans le lac, étant donné que je connais ses vertus curatives. J’arrache une branche pourvue de trois petits fruits rouges que je ramène au bord de l’étendu d’eau, puis m’accroupis en tendant le bras vers la jeune fille. « Deux ça suffit, trois et t’as de la fièvre jusqu’à la fin de la semaine. » Je le sais, parce que j’en ai avalé cinq et j’ai failli crever. Je passe ma main libre dans mes cheveux pour les ébouriffer tandis qu'un frisson me parcourt l'échine. Ça caille mine de rien. Bon, c'est le moment pour me casser en courant, non ?

Elle ne cessait toujours pas, cette foutue douleur. Elle s’en prenait à toute sa jambe. Elle lacérait lentement mais sûrement. Sûrement et violemment. Quel genre de bestiole pouvait donc provoquer une telle brûlure ? ça devrait pas exister, merde alors. Deuxième chose qui ne devrait pas exister : un loup-loup qui se croit tout permit. La surprise était là. Et une large grimace s’étalait sur le visage d’Eukleia. Qu’est-ce qu’il venait de foutre là ? Elle cauchemardait, mon Dieu. Non, elle savait ! C’était la Vieille Fée qui avait créé une illusion de ce loup dégueulasse et qui voulait lui jouer un joli tour ! Aha c’était bien réussi ! Mais non, bordel. C’était bien lui. Le loup d’opérette qui n’avait cessé de faire son kéké depuis le début de l’aventure. Seule réaction : elle cracha. Sa salive se mêlait à l’eau du lac et elle s’en éloignait. Qu’est-ce qui était le plus cuisant : l’idée que cet abruti venait de lui aspirer les lèvres – parce que c’est ce qu’il avait fait BORDEL – ou cette douleur lancinante ? Elle avait tendance à élire la première solution. Et puis… IL AVAIT HAUSSE LES EPAULES. Elle aussi elle pouvait le faire de hausser les épaules ! hé regarde, je viens de t’aspirer la bouche et j’hausse les épaules, baby ! héééé. Eukleia se sentait hors d’elle. Elle hésitait entre… lui découper sa tronche avec une cuillère sale ou lui cisailler deux parties de son service trois pièces : AU CHOIX. Quelle générosité hein ? Elle recracha. Elle allait faire des cauchemars, la pauvre. Il y pensait à ça lui avant d’assouvir ses pulsions de mâle en rut ? Aucun mot ne lui sortait de sa bouche. Bon, ne pense qu’à une chose, ma p’tite, le remède. Le remède et après tu pourras faire ce que tu veux de ce loup de fête foraine. Pourquoi pas du hachis ? Ouais, du hachis. C’pas mal. Elle recracha une nouvelle fois. Et nagea vers le bord. Il faisait froid, mais elle n’en avait un peu rien à foutre. Ce n’était pas une brise de rien du tout qui pourrait surpasser ses deux ‘malheurs’ de la nuit. Heureusement, il la fit pas poireauter trop longtemps : elle n’avait eu le temps que de mettre au point une petite centaine de manière de la tuer. Elle lui arracha la branchouille de la main. Elle avala deux des petits… petits heu ? C’était quoi au juste ? « Oh merde. T’essaie de m’empoisonner après m’avoir gober les lèvres ? Je vais me coucher, moi. Et cou-couche panier toi. NON, pas d’invitation dans mon lit. Tu ne palperas que mes lèvres ce soir. Tu ne palperas que mes lèvres tout court, l'clébard. » Elle était désespérée et espérait que ses petites conneries marcheraient. Lui tournant le dos, elle lança d’une voix étrange : « j’espère que t’aime le hachis, Sullivan, j’espère que t’aime le hachis » Ce n’était même pas sur un ton de menace… c’était presque une intonation clownesque qui signifiait : ‘j’en ai ras le bol’.

Elle n’a pas fini de faire cette tête à la fin ? Je vais me vexer si elle continue. Roh bon sang, à tous les coups je viens de lui voler son premier baiser à la pauvre ventouse, peut-être que tous les mecs ont eu peur de se faire avaler tout cru … Ouais, c’est la seule explication à cette mine déconfite qu’elle me sert. Et elle ose cracher dans le lac avant de nager avec l’aisance d’une gamine handicapée par ses flotteurs jusqu’à moi, comme si le goût de mes lèvres était du poison. En fait ça me fait rire doucement, parce que je la sens au bord du suicide, ce qu’elle me démontre lorsqu’elle ouvre la bouche après avoir avalé les petites boules rougeâtres. Ok là, il faut appeler l’hôpital psychiatrique le plus proche pour un internement de force, elle perd complètement les pédales. Pour le coup, j’ai parfaitement accompli ce que je fais de mieux : pousser les gens à bout. Cela dit je crois que je viens de battre un record personnel concernant la magnitude de l’énervement sur l’échelle de la ventouse. Elle est carrément en train de délirer, mais il faut dire que je porte peu d’attention à ses paroles étant donné que je suis concentré sur autre chose de bien plus intéressant. En même temps elle sort à poil sous mon nez, une vraie provocatrice cette petite garce. Et je dois bien avouer qu’elle a les atouts pour en jouer, même si là je doute fort qu’elle soit consciente de s’exposer nue devant un parfait inconnu. Pourquoi diable me parle-t-elle de hachis, quelqu’un m’explique ? Enfin j’imagine que ses mots n’ont pas le moindre sens, et je pourrais presque tenter de lui arracher quelques secrets sur sa façon de combattre pendant qu’elle est prise de folie. Je cours vers la jeune fille qui s’éloigne tel un zombie, attrapant sa main de la mienne pour la retenir une seconde. « Attends Eukle … » Merde, elle va savoir que je connais son prénom. Je la relâche et me gratte la nuque en soupirant. « Ouais non, laisse tomber. » Et en croisant son regard terne, je me demande si je n’ai pas un tout petit peu abusé. Elle a l’air carrément déboussolée et si ça se trouve elle va errer toute la nuit dans cet état. Choc, état de choc. C’est exactement à ces rescapés de crash d’avion qu’elle me fait penser, du coup je ne lui dis pas ce que je voulais lui confier, parce que ça risquerait de l’achever. A la place, je la gratifie d’un « Tu veux que je te raccompagne ? » qui reste sans réponse. Je fixe sa silhouette qui s’éloigne en silence avant d’aller m’installer au bord du lac, les yeux rivés sur la surface mouvante, pensif.